search-form-close
Abaya en France : un coup politique à l’objectif inavoué ?

Abaya en France : un coup politique à l’objectif inavoué ?

La rentrée scolaire 2023-2024 en France a été marquée par la mise en place de l’interdiction de l’abaya dans les écoles. Il s’agit de ce vêtement long venant du Moyen-Orient, considéré comme une tenue musulmane adéquate pour les femmes. Son apparition en France par effet de mode est devenue une menace à surveiller pour les autorités françaises.

Le gouvernement français a mis l’accent sur cette mesure pour en faire une action politique symbolique qui incarne la relance de la lutte contre la montée d’un Islam radical.

Pour ce faire, le gouvernement français a monté un arsenal législatif impliquant même une validation du Conseil d’État, mais aussi des moyens techniques. Policiers aux entrées des établissements scolaires pour veiller à son application, possibilité de renvoi des élèves récalcitrantes, etc. Tout a été mis en place pour être sûr que les élèves ne puissent porter une abaya dans les écoles.

Contrôle des vêtements des jeunes femme inapproprié et délit de faciès

Le dispositif mis en place à une vitesse folle pour faire respecter l’interdiction de l’abaya choque une partie de l’opinion en France. Outre le fait que cette mesure ne concerne qu’une poignée de jeunes femmes, ce qui inquiète c’est l’ingérence des autorités françaises dans l’apparence des femmes musulmanes.

Mais aussi le pouvoir d’évaluation d’une « tenue décente », octroyé à un établissement scolaire. Si le gouvernement a énoncé une décision ferme, il est resté flou sur sa définition de l’abaya. Est-ce que toute femme ayant un vêtement long et large est potentiellement considérée comme une personne faisant du prosélytisme religieux ?

Il semblerait que ce serait le cas. Quelques jours après son officialisation, l’interdiction de l’abaya a d’ailleurs connu des débordements. Une lycéenne à Lyon a été exclue temporairement de son établissement pour avoir porté un long kimono ouvert avec un jean. Nous sommes bien loin d’un habit religieux assumé.

Pourtant, malgré un dialogue avec la lycéenne et sa famille, l’exclusion a été maintenue. La jeune fille qui s’est sentie humiliée envisage de porter plainte pour contester cette décision. Son simple choix de style vestimentaire a provoqué sa mise à l’écart publique.

Un second témoignage rapporté par le Collectif contre l’islamophobie en Europe évoque une situation similaire :

Autre incident raconté par une enseignante. Cette fois, la professeure évoque les remarques déplaisantes qu’elle doit désormais subir dans le cadre de son travail.

Ce genre de scènes ne cesse de se répéter dans les établissements scolaires français. Notamment auprès de jeunes femmes que l’on suppose musulmanes parce qu’elles ont des origines arabes. Il n’est plus question de mesurer la longueur d’une robe, mais plutôt de trouver une excuse pour limiter les femmes qui auraient "le" mauvais ADN.

Les établissements scolaires peuvent décider unilatéralement d’exclure des élèves pour une durée indéfinie s’ils considèrent qu’elles font l’objet d’un acte anti-laïc. Ils se doivent de proposer un dialogue avec les élèves exclues. Cependant l’équipe pédagogique est la seule à pouvoir désigner une tenue vestimentaire comme laïque ou non.

Du côté des lycéennes comme des professeures, la crainte d’être vilipendée pour un simple bout de tissu soupçonné d’être un signe religieux lié à l’islam est devenue quotidienne.

Une situation invivable pour des femmes qui ont le sentiment d’être en faute et surtout de ne pas avoir de place légitime au sein de l’école française.

Cette décision laisse surtout entendre qu’il est difficile d’être musulmane et bonne citoyenne française, laissant penser que la nationalité française est incompatible avec la pratique de l’Islam.

Une décision inexplicable et inexpliquée

Malgré une levée des boucliers dans les milieux de gauche et féministes ou encore au sein de la communauté musulmane, le gouvernement maintient sa position.

Il y a un "système", qu’il faut attaquer, expliquait presque mal à l’aise et sans convictions Emmanuel Macron, lors d’une interview avec le youtubeur de la chaîne Hugo Décrypte.

Interrogé sur cette mesure, le président français s’est pressé de faire un lien entre cette tenue qui fait polémique et l’assassinat de Samuel Paty. Une justification floue qui justifie difficilement l’effet qu’aurait le contrôle des tenues de lycéennes mineures sur le recul du radicalisme religieux et du risque terroriste.

Un positionnement difficile à accepter au moment où l’école française connaît des difficultés majeures. L’Éducation nationale est en pénurie de professeurs. Cette rentrée par exemple s’est faite avec plus de 3.100 postes non pourvus aux concours d’enseignants dans le pays.

Il faut aussi citer le niveau scolaire général en constante baisse, le manque de mixité sociale qui établit des inégalités entre les établissements et donc un accès à l’éducation fortement inégal en France. On peut aussi citer l’accueil quasi inexistant d’élèves présentant un handicap. La liste est longue.

Les équipes pédagogiques demandent sans cesse davantage de moyens pour accueillir les élèves et redresser le niveau.

Finalement les équipes pédagogiques déjà surchargées se retrouvent à devoir jouer la police du vêtement et du comportement trop religieux. La surveillance des jeunes filles à l’école ajoute un climat délétère et de méfiance au sein des établissements scolaires déjà en pleine tension. Un pari politique risqué pour Emmanuel Macron qui doit faire face à une France divisée, encore marquée par la disparition de Nahel, ce jeune tué par un policier lors d’un contrôle routier fin juin à Nanterre.

L’abaya qui cache l’avenir politique d’Emmanuel Macron ?

Autant d’acharnement de la part du gouvernement français contre l’abaya laisse penser que cette action fait partie d’un autre agenda politique.

Vincent Brengarth, avocat de l’association Action Droits des Musulmans qui a déposé un référé auprès du Conseil d’État au sujet de l’interdiction de l’abaya, n’a pas caché sa déception face au rejet de sa demande.

Pour l’avocat, il est clair que cette décision manque d’éléments de motivation. "Cette décision, qui se contente de faire sienne la position gouvernementale, n’est pas à la hauteur des enjeux« . L’avocat est convaincu qu’il s’agit d’une »interdiction qui ne trouve aucunement à se justifier, si ce n’est par un pur effet d’annonce politique« .

D’autant plus que ce thème de l’effacement de l’Islam dans l’espace public a toujours été la chasse gardée de l’extrême-droite française. Extrême-droite qui d’ailleurs, monte en puissance à un peu plus de trois ans avant la prochaine présidentielle.

D’après un récent sondage Viavoice mené pour le journal Libération, 44 % des Français estiment que Marine Le Pen "peut apporter des solutions utiles".

La candidate du Rassemblement National semble s’avancer de plus en plus sur l’échiquier politique. Après deux passages aisés au second tour des dernières présidentielles, on pourrait croire que Marine Le Pen peut espérer une victoire concrète au prochain scrutin national. Pour 42 % des sondés, elle aurait même "la stature d’une cheffe d’État".

À travers la question de l’abaya, Emmanuel Macron et son entourage politique peuvent alors se positionner de la sorte sur la question des musulmans de France et récupérer un sujet majeur dans la société française sans avoir à s’allier à l’extrême-droite. On pourrait croire à une appropriation politique visant à diminuer l’influence d’extrême-droite et à garder coûte que coûte un électorat qui s’échappe vers les extrêmes.

Une décision politique qui semble faire un choix clair. La droitisation assumée de la macronie, qui clairement n’a plus d’appuis au sein de la gauche pour contrer l’extrême-droite.

Le président a besoin d’un deal avec la droite traditionnelle pour finir un mandat compliqué qui a commencé sous les pires auspices.

Emmanuel Macron cherche-t-il à faire passer ses projets de loi comme celui sur l’immigration ou veut-il éviter de devenir le premier président français à remettre les clés de l’Élysée à l’extrême droite en 2027 ?

Une perspective qui le force à donner des gages à la droite traditionnelle qui elle se bat pour récupérer les terrains cédés à l’extrême-droite. Et parmi ces gages figure l’interdiction de l’abaya à l’école, ce vêtement étant considéré par une partie de la classe politique comme un signe religieux. Ou encore le durcissement de la politique migratoire ainsi que le rééquilibrage de la politique française au Maghreb en faveur du Maroc et au détriment de l’Algérie.

Ou tout simplement prépare-t-il la suite pour son parti et éventuellement sa succession ? La question de l’abaya ne serait alors qu’un pion dans un long processus de stratégie politique.

SUR LE MÊME SUJET : 

Interdiction de l’abaya : la France perdue dans sa lutte contre l’islamisme

Algérie, Maroc, Niger : les messages du président Macron

Accord de 1968 : un successeur pressenti de Macron revient à la charge

  • Les derniers articles

close