Économie

Algérie – Espagne : les faux calculs de Pedro Sanchez

Le gouvernement espagnol n’a pas vu venir la ferme réaction algérienne à son revirement historique sur la question du Sahara occidental.

La colère d’Alger n’a pas été très prise au sérieux par Madrid et il a fallu aux autorités algériennes sortir le grand jeu pour que de l’autre côté de la Méditerranée, on comprenne enfin qu’on n’est pas devant un nuage passager. Les craintes de Madrid sont aujourd’hui multiples.

Derrière la dégradation sans précédent des relations entre l’Algérie et l’Espagne, se trouvent le président du gouvernement socialiste Pedro Sanchez et son parti, le PSOE (parti socialiste ouvrier espagnol).

Le 18 mars dernier, il a annoncé son soutien au plan marocain d’autonomie du Sahara occidental qu’il a qualifié de base la plus « sérieuse, crédible et réaliste » pour le règlement du conflit vieux de près d’un demi-siècle.

En rompant ainsi avec la neutralité historique de l’Espagne dans ce conflit, le gouvernement de Pedro Sanchez pouvait-il ignorer qu’il allait provoquer la colère de l’Algérie dans un contexte de dégradation des relations algéro-marocaines ?

L’Algérie a réagi immédiatement au revirement espagnol en optant pour la plus soft des mesures, soit le rappel de son ambassadeur à Madrid. Même lorsque des officiels algériens se sont mis à évoquer la question du gaz, les Espagnols sont restés droit dans leurs bottes.

Une source algérienne a confié le 25 mars au journal espagnol El Confidencial que l’Algérie allait moduler ses relations en direction de l’Italie, « qualifiée à devenir le hub gazier de la région ».

Le 11 avril, c’est la passage à l’acte avec la signature entre Sonatrach et ENI d’un contact pour l’augmentation des livraisons de gaz algérien pour l’Italie. Fin mars, un haut responsable du ministère algérien des Affaires étrangères a confié à un journal italien que l’Algérie va « revoir tous les accords avec l’Espagne ».

Fin avril, le gouvernement algérien a enjoint aux Espagnols de ne pas livrer du gaz algérien au Maroc, faute de quoi les approvisionnements seraient suspendus.

Y voyant peut-être une colère passagère, le gouvernement espagnol a cru pouvoir la calmer par le discours diplomatique classique. Le 18 avril, Pedro Sanchez a fait le vœu d’une « relation positive » avec Alger et appelé au retour de l’ambassadeur d’Algérie à Madrid.

« Ce qui se passe entre Alger et Madrid n’est pas juste un nuage d’automne qui va se dissiper rapidement. Ceux qui parlent d’une colère passagère de l’Algérie, ils ne sont pas en phase avec la réalité », a rétorqué Amar Belani, Envoyé spécial algérien chargé du Sahara occidental et des pays maghrébins.

La crainte des Espagnols

L’Algérie attendait du concret sur précisément la question objet de la crise, c’est-à-dire la position de l’Espagne sur le Sahara occidental.

Malgré des représailles d’ordre économique, comme la fermeture du marché algérien au bœuf espagnol, le gouvernement de Madrid a ignoré la colère, continuant à défendre « la justesse » de sa nouvelle position sur le Sahara occidental.

Et c’est un de ces plaidoyers, fait par Pedro Sanchez devant le Parlement de son pays mercredi 8 juin, qui a provoqué les dernières mesures extrêmes d’Alger.

La suspension du traité d’amitié entre les deux pays vieux de 20 ans et du commerce extérieur avec l’Espagne, sont deux mesures que les Espagnols ne croyaient pas envisageables. Peut-être parce que l’Algérie n’est pas allée aussi loin dans sa récente crise avec la France ?

En tout cas, cette fois, elle est passée à l’acte, mettant le gouvernement espagnol devant ses responsabilités. Déjà très critiqués en interne après le revirement du 18 mars, Pedro Sanchez et son parti devraient l’être davantage après avoir mené vers cet état les relations avec un partenaire important.

L’Algérie est le principal fournisseur de gaz de l’Espagne, c’est également un débouché important pour les produits espagnols avec des importations qui ont atteint les 3 milliards de dollars en 2019.

En saisissant l’Union européenne, devant laquelle il a mis en avant les dispositions de l’Accord d’association avec l’Algérie, le gouvernement espagnol espère faire plier les autorités algériennes.

Il est soutenu par Bruxelles, mais la question n’est plus de savoir si l’Algérie maintiendra ou pas ses mesures, mais si elle ne prendra pas d’autres, encore plus douloureuses. On pense à la suspension de l’approvisionnement en gaz ou à la non-reconduction du contrat actuel, ce que toute l’Espagne redoute désormais.

Les autorités algériennes ont indiqué qu’elles respecteraient leurs engagements contractuels, les officiels espagnols qui se sont exprimés ces deux derniers jours ont aussi déclaré ne pas croire à l’éventualité de la coupure du gaz, mais la fermeté montrée par le gouvernement algérien fait planer une grande incertitude.

L’Espagne a certes diversifié ces dernières années ses sources d’approvisionnement en optant notamment pour le gaz américain, mais elle reste fortement dépendante des livraisons algériennes qui constituent 45 % de ses importations, soit un volume impossible à remplacer au moment où toute l’Europe est censée tirer dans le même sens pour réduire sa dépendance des hydrocarbures russes.

C’est justement le contexte qui rend le calcul de Pedro Sanchez complètement incompréhensible : en pleine tension mondiale sur le gaz et alors que l’Espagne renégocie les prix avec l’Algérie, son principal fournisseur, il a pris le risque de froisser cette dernière pour arrondir les angles avec un autre voisin qui a nettement moins de cartes en main.

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