Économie

Baisse de la récolte céréalière : la sécheresse n’explique pas tout

Dans l’attente des chiffres du ministère de l’Agriculture, tout pense à croire que la production de céréales 2021 de l’Algérie sera en baisse.

L’économiste Ali Daoud parle déjà d’une “année très difficile” et le Département américain de l’agriculture anticipe une baisse de 30 à 40% de la production pour la campagne de commercialisation 2021-2022, en raison de la sécheresse qui frappe l’Algérie depuis trois ans.

Une tendance confirmée par l’Union nationale des agriculteurs algériens (UNAA) qui évoque une une baisse de 40% de la récolte céréalière pour la compagne 2020-2021. L’UNAA met en cause la sécheresse.

La production céréalière en baisse de 40%

En fait, la situation est très contrastée. Les céréales cultivées au sud avec irrigation sous pivot, n’ont pas souffert du manque d’eau, contrairement aux régions de l’ouest, durement touchées par la sécheresse. Pour bon nombre d’observateurs, la sécheresse n’explique pas tout.

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L’année céréalière a commencé sous de mauvais auspices. Les pluies automnales ont été tardives. Comme la plupart des agriculteurs attendent l’arrivée des pluies pour semer, cette pratique se traduit par des semis tardifs synonymes de faibles rendements.

À l’ouest du pays, après ces semis tardifs, une deuxième période de sécheresse est survenue. Malgré des barrages à moitié vide, les services agricoles ont conseillé aux agriculteurs d’irriguer leurs parcelles.

Mais c’est oublier qu’il y a une diversité de pratiques. Elles vont des conduites intensives avec engrais et désherbage chimique des agriculteurs leaders à d’autres plus extensives où, après semis, plus aucune intervention n’est réalisée jusqu’à la récolte, que ce soit apport d’engrais ou irrigation.

Flambée du prix de l’orge

Dès la fin de l’hiver, dans certaines zones, le manque de pluies était tel que des agriculteurs ont préféré lâcher leurs moutons sur les parcelles de blé, sacrifiant ainsi les céréales mal en point, pour sauver leurs moutons.

Le manque de pluie du printemps a également affecté les terres en jachère traditionnellement réservées au pâturage des bêtes. Cette situation a provoqué une tension sur l’orge en grain, seule alternative pour nourrir le bétail en période de sécheresse.

En juin, les premières récoltes d’orge ont été décevantes. Le prix de l’orge en grain a alors flambé, de même que la paille et les fourrages. Sur le marché libre, le prix du quintal de blé tendre a atteint 4.500 DA contre 3.500 DA proposés par les Coopératives de céréales et de légumes secs (CCLS).

Ce phénomène jamais vu auparavant est le signe indéniable que des quantités notables de blé destinées à l’alimentation humaine ont été détournées vers l’engraissement des moutons. Une activité beaucoup plus rentable que les céréales.

Des rendements qui doublent avec engrais et désherbants

Ces dernières années, les conditions matérielles se sont considérablement améliorées. C’est le cas de la production de tracteurs sous licence Deutz, Massey-Fergusson ou Sonalika. Les moissonneuses-batteuses Sampo produites localement permettent de réduire les pertes à la récolte. Le récent équipement des CCLS en matériel moderne de tri et de traitement permet d’accroître les quantités de semences certifiées fournies aux agriculteurs.

Sous pivot dans le sud, selon le niveau des entrepreneurs, les rendements atteignent 50 à 80 quintaux par hectare. Mais ces cultures en plein désert, ne tiennent qu’à coups de subventions sur le matériel d’irrigation, ou les tarifs de l’électricité.

À El Ménea, des voix s’élèvent pour obtenir de l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) un relèvement des prix du blé.

Plus au nord, à peine 25% des surfaces céréalières sont désherbées et moins de 50% reçoivent des engrais. Quant à la paille qui devrait être enfouie au sol pour maintenir la fertilité, elle est systématiquement prélevée pour les besoins de l’élevage. Résultats, des sols qui s’appauvrissent.

Pourtant, il existe des réserves de productivité. Le Pr Arezki Mekliche de l’École Nationale Supérieure d’Agronomie d’El Harrach estime le potentiel de production supplémentaire à 100 millions de quintaux.

En 2011, dans la commune de Ras El Ma (Sétif), l’utilisation de désherbants et d’engrais azotés et phosphatés a permis un rendement de 23 qx/ha contre seulement 10 qx/ha sans apports. À Oum El Bouaghi, une équipe dirigée par Arezki Mekliche a montré qu’il est possible de doubler les rendements de l’orge. Alors que les parcelles témoin arrivaient à peine à 26 qx/ha, celles suivies par les agronomes ont produit 44 qx/ha.

Plus grave est le retard généralisé des semis. La période optimale se situe entre la mi-octobre et la mi-novembre. Malgré une plus grande disponibilité en tracteurs, ces semis s’étalent jusqu’en décembre. Par ailleurs, malgré les subventions pour encourager la culture des fourrages et du colza, 40% des 7,5 millions d’hectares de terres de grandes cultures restent en jachère, c’est-à-dire non travaillés.

Aux côtés des opérateurs publics, le secteur privé de l’agrofourniture participe à la vulgarisation des désherbants et fongicides. Mais leurs prix restent élevés avec parfois des marges de 500%.

Concernant les engrais, nombreux sont les agriculteurs qui se plaignent des prix. À la récolte, les agriculteurs doivent parfois attendre jusqu’à 48 h devant les CCLS pour livrer leurs grains. Contrairement à leurs homologues étrangers, ces “coopératives” ne sont pas habilitées à investir dans le secteur juteux de la transformation des céréales ; ce qui permettrait de reverser les bénéfices aux agriculteurs.

Pour augmenter la production, il existe donc tout un panel de solutions : réduction des coûts, amélioration du niveau technique, augmentation de la marge bénéficiaire des agriculteurs ou meilleure répartition de la valeur ajoutée liée à la transformation des céréales. L’irrigation n’est donc qu’une option parmi d’autres.

Face aux actuels dysfonctionnements, cette année encore, l’OAIC devra avoir recours aux importations de blé. Mais le partenaire français, traditionnellement pourvoyeur de blé, a connu une année particulièrement humide. Résultats, des blés qui ont germé sur pied et donc impropres à la fabrication de pain.

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