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Béni Abbès, la perle oubliée du Sahara aux trésors cachés

Béni Abbès, la perle oubliée du Sahara aux trésors cachés

TSA

Béni Abbès, située à plus de 1300 km au sud-ouest d’Alger et à 250 km au sud de Béchar, broie du noir en plein haute saison touristique. Elle vit à l’ombre de Taghit, la star de la Saoura, et se dit « victime » d’une certaine marginalisation malgré ses atouts touristiques et sa beauté naturelle. Reportage.

Béni Abbès ou l’Oasis blanche est quelque peu desservie par la géographie et par les routes. Située entre deux pôles touristiques, Taghit et Kerzaz, elle est quelque peu à l’écart de la Route nationale numéro 6, la route des Oasis.

(TSA ©)


Béni Abbès, qui compte actuellement 13.000 habitants, est, depuis mai 2015, érigée en wilaya déléguée avec un territoire vaste de 101.350 km² qui comprend les daïras de Tabelbala, d’Ouata, de Khoudir, de Kerzaz et d’Igli.

Une évolution administrative qui n’a pas amélioré la promotion touristique contrairement à Taghit qui est à 90 km seulement de Béchar et donc de l’aéroport.

(TSA ©)


« Je parle en tant que président d’APC et en tant que citoyen. Nous subissons depuis longtemps une injustice. Celui qui visite Béni Abbès et constate sa beauté naturelle dira que la ville mérite mieux que cet oubli », estime Mohamed Teyebi, président de l’APC de Béni Abbès.

«Il n’y a pas de promotion de la destination de Béni Abbès. Pour moi, la direction du tourisme de Béchar est responsable de cette situation. Nous avons eu plusieurs promesses par le passé sans rien voir venir », regrette-t-il.

« Certains responsables considèrent Taghit comme un hôtel ! »

« Taghit est plus proche de Béchar. Elle est mieux dotée en infrastructures touristiques que le chef-lieu de wilaya. C’est un véritable poumon pour toute la région. Certains responsables considèrent Taghit comme un hôtel où ils se reposent ! Chaque responsable qui passe, laisse des consignes pour s’occuper de Taghit. C’est une habitude », ajoute-t-il.

Selon lui, Taghit s’appuie sur un grand soutien médiatique pour rester visible contrairement à Béni Abbès. « Il y a probablement un problème de relations. À mon avis, Béni Abbès a plus d’atouts touristiques que Taghit, avec tous mes respects pour ses habitants », tranche-t-il.

Rivalité ? Concurrence ? Benachour Badis, responsable à la commune, ne le pense pas mais estime que Béni Abbès cache beaucoup de trésors qui méritent d’être connus des visiteurs.

« Béni Abbès est une perle. Elle a un vieux ksar qui a une forme particulière, vu d’en haut, il ressemble à un scorpion. Sa palmeraie est riche en jardins verdoyants. Elle est connue aussi par ses gravures rupestres, ses minerais et son élevage camelin », dit-il.

Ouvrir la caisse de perles

Abdelkader Telmani, qui est président de l’Association Ouarourout de solidarité et revivification des traditions depuis 2003, observe que toutes les chaînes de radios et de télés algériennes « ne se concentrent que sur Taghit et ignorent Béni Abbès».

« À mon avis, il y a une concurrence déloyale entre les pôles touristiques de la Saoura. Il y a plein de choses à voir à Tabelbala ou à Kerzaz mais personne ne parle de ces belles régions. Elles sont exclues par les médias mais aussi par les organisateurs des circuits touristiques. Dans la tête des décideurs politiques et des hommes d’affaires, il n’y a que Taghit et parfois Béni Abbès », constate-t-il.

La porte principale de l’hôtel Grand Erg (TSA ©)


Selon lui, la marginalisation de Béni Abbès n’est pas voulue mais elle est liée à une certaine habitude à « avantager » Taghit au détriment des autres destinations dans le sud-ouest algérien.

« Kerzaz souffre comme Béni Abbès. Dans la pratique touristique mondiale, il ne faut pas tout dévoiler au visiteur étranger. Il faut toujours lui proposer d’autres pistes pour qu’il revienne. S’il visite Taghit et qu’il ignore l’existence de Béni Abbès ou de Kerzaz dans la Saoura, il ne reviendra pas, car il aura tout vu. L’idéal est de lui ouvrir la caisse et lui dire qu’il y a plein de perles à voir dans la Saoura. Il reviendra les découvrir l’une après l’autre », explique-t-il.

La route qui mène vers le vieux ksar de Béni Abbès (TSA ©)


« Il y a des cités et des régions dans la Saoura qui doivent être découvertes. Il y a toute une Histoire et une grande diversité culturelle ici qui méritent d’être connues. Le tourisme peut aider », soutient, pour sa part, Benachour Badis. Pour Mohamed Teyebi, Béni Abbès est un musée à ciel ouvert. « Notre climat est clément et permet une activité touristique à longueur d’année », dit-il.

Le rituel festif du Mawlid

Il évoque le caractère particulier des festivités du Mawlid Ennabaoui (Naissance du prophète Mohammed) à Béni Abbès. « C’est la meilleure célébration au niveau national avec le Sbou’e de Timimoun. Plusieurs ministres ont assisté par le passé à cette fête dont Ahcene Mermouri, l’actuel ministre du Tourisme. Khalida Toumi, ancien ministre de la Culture, est restée trois jours ici. Elle a eu une bonne impression et nous a fait des promesses », se souvient le maire.

La célébration du Mouloud Ennabaoui à Béni Abbès a une saveur particulière (TSA ©)


À Béni Abbès, la célébration du Mawlid a plusieurs aspects : religieux, social, folklorique, culturel et humain. « C’est une manifestation qui est organisée par la population. Les autorités locales ne se mêlent pas. Le rituel de la célébration est un héritage transmis de père en fils. Chacun a son propre programme à suivre durant douze jours. Des repas sont distribués et les mausolées sont entretenus », explique Abdelkader Telmani.

D’après lui, tous les habitants, du plus jeune au plus âgé, participent à la fête. « La fête est divisée en plusieurs parties. La période d’avant le début des festivités s’appelle Fdhila avec un programme qui commence à 6h du matin jusqu’au coucher de soleil. Le jour du Mouloud, la fête est appelé Feza’a. Le Sbou’e est le nom donné à la période des Sept jours qui suivent el Mawlid », précise-t-il.

Il détaille les traditions culinaires de la région en parlant de plats qui sont préparés pour chaque manifestation religieuses : l’Achoura, El Mouloud, l’Aïd El Fitr et l’Aïd El Adha. « La Ch’ma, par exemple, est un plat préparé le jour du Mouloud. Il est composé de fèves, de pois chiches, de cacahuètes, de fromage frais et d’amandes. Le tout est mélangé et broyé pour obtenir une recette qui ressemble à la tamina. Elle est distribué lors de la fête du Mawlid », explique Abdelkader Telmani.

Une montagne de marbre noir

Benachour Badis rappelle que Béni Abbès était par le passé le lieu de pèlerinage des chercheurs universitaires en géologie. « C’est une région riche en zinc, en magnésium et en plomb. Nous avons ici une qualité d’argile considérée comme une excellente matière première pour la fabrication des briques. Une briqueterie de Boumerdès s’approvisionne ici à Béni Abbès », souligne-t-il.

La réception de l’hôtel Grand Erg (TSA ©)


Béni Abbès est aussi connue par son marbre noir. « Savez-vous que nous avons ici la Grande muraille de Chine ? Il s’agit de centaines de kilomètres d’une chaine montagneuse qui s’étend de Zghamra jusqu’à In Salah en passant par Chfar Lahmar et Djebel Sirat à Timimoun. Elle est riche en animaux marins fossilisés incrustés dans du marbre noir. Vous pouvez y trouver des coquillages qui remontent à la nuit des temps.  Il y a aussi plusieurs stations de patrimoine préhistorique comme Zghamra, Kknag Tlya, Marhouma, Anfidh où l’on trouve des gravures rupestres. C’est la preuve du passage de l’Homme préhistorique par cette région il y a des millions d’années. Et, encore, on a rien découvert de cette richesse culturelle de la région », détaille Abdelkader Telmani.

La chaîne montagneuse va, en fait, au-delà de Timimoum, jusqu’au Maroc voisin. Selon les experts en archéologie, il sera difficile d’exploiter économiquement ce gisement, sans doute l’un des plus importants au monde pour le marbre noir.

Un musée rongé par la poussière 

À Béni Abbès, la visite du Musée saharien est indispensable. À notre arrivée, la responsable n’était pas sur les lieux. « Elle est partie. Je ne sais pas si elle va revenir. Mais revenez à 14 h. On verra », nous conseille le gardien.

Le Musée a donc des horaires de bureau ! Retour à 14 h, comme prévu. « Désolé, mais, la responsable n’est pas revenue ! », nous lance le même gardien.

Il ne nous autorise à entrer qu’après négociations. À l’intérieur, les richesses zoologiques, botaniques, entomologiques, biologiques, géologiques et archéologiques sont livrées à la poussière.

Les quelques écrits et explicatifs accrochés au mur sont noirs de saleté. Il n’y a ni prospectus ni guides. Le visiteur doit voir, essayer de comprendre tout seul et de « déchiffrer » les petites mentions à côté du patrimoine exposé. Il peut découvrir la faune et la flore du Sahara, du bois pétrifié, des instruments anciens…

Le Musée qui est une station (avec celle d’El Ménéa) relève du Centre de recherche scientifique et technique sur les régions arides (CRSTRA) Omar El Bernaoui de Biskra depuis 2017.

Auparavant, il était mis sous la responsabilité du Centre national de recherche sur les zones arides de l’institut de biologie de l’université de Bab Ezzouar (USTHB) à Alger. Ce changement administratif de statut n’a pas été d’un grand secours à ce musée qui a besoin, en urgence, d’entretien. Surtout que le musée figure en bonne place du circuit touristique à Béni Abbès.

L’hôtel Rym sera géré par la chaîne El Aurassi

Un circuit où est mentionné aussi l’hôtel Rym, fermé pour rénovation. Cet établissement trois étoiles sera sur le même modèle que l’hôtel Saoura de Taghit qui est géré par la chaîne El Djazair. Il sera mis sous le label de la chaîne de l’hôtellerie publique El Aurassi.

« Il est prévu que les travaux de rénovation se terminent en juin prochain pour que l’hôtel soit prêt à l’exploitation commerciale à partir de septembre 2018. C’est une promesse du PDG de la chaîne El Aurassi », annonce le président d’APC.

Le Grand Erg est le deuxième hôtel de Béni Abbès.  Ancienne auberge, construite en 1940, à l’époque de l’occupation française, l’établissement a été transformé en hôtel et récupéré par la commune de Béni Abbès. L’hôtel est actuellement géré par Ali Sahnoun, un privé d’Alger.

Le hall entrée de l’hôtel Grand Erg (TSA ©)


« Le Grand Erg compte 18 chambres, un restaurant et une salle. Vous voyez là, cette belle terrasse qui offre une vue panoramique sur la palmeraie et le vieux ksar de Béni Abbès.  Lors de la fin de l’année, nous avons organisé ici des soirées. Nous avons travaillé avec une agence de voyage d’Alger », précise Tahar Gharnaout, responsable d’accueil à l’hôtel.

La terrasse de l’hôtel Grand Erg offre une vue sur une partie de la palmeraie de Béni Abbès (TSA ©)


Les tarifs à l’hôtel Grand Erg ne changent pas durant l’année. « Les chambres singles sont à 4100 dinars et les doubles à 5100 dinars. Le prix pour les suites est à 9700 dinars, petit déjeuner compris », indique-t-il.

Selon lui, la période touristique commence à partir de fin septembre jusqu’au début mai de chaque année. « Le pic est atteint au mois de décembre surtout avec les vacances scolaires. Il y a aussi une importante fréquentation au mois de mars. Nous travaillons beaucoup avec les sociétés comme Sonelgaz qui gère une centrale ici. De temps en temps, nous recevons des touristes étrangers qui viennent de partout », souligne Tahar Gharnaout.

Le salon traditionnel de l’hôtel Grand Erg (TSA ©)


Depuis la fermeture du Rym, les agences de voyages conseillent moins Béni Abbès puisque l’offre d’hébergement se trouve limitée.

Au ksar Ouarourout, l’Association de Abdelkader Telmani s’occupe d’un espace d’accueil traditionnel, Le gîte de la grotte. Décoré d’une manière traditionnelle avec des murs en argile couverts de peinture vivace et des plafonds tressés à l’ancienne avec du bois de palmier, le gîte offre la possibilité, peut être unique, de dormir ou de veiller dans des chambres et salons en forme de grotte.

À l’intérieur du gite de Ouarourout (TSA ©)


Une chambre dans le gîte de Ouarourout décorée à l’ancienne (TSA ©)


L’ermitage de Charles de Foucauld

En 1901, Charles de Foucauld, religieux catholique et linguiste français, est venu s’installer à Béni Abbès, après avoir abandonné une carrière militaire. Aidé par des soldats français, il a construit une chapelle appelée « khawa » (Fraternité du Sacré Cœur) avec des matériaux locaux.

« Je veux habituer tous les habitants, chrétiens, musulmans et juifs, à me regarder comme leur frère, le frère universel », a écrit le religieux en 1902. Quatre ans plus tard, Charles de Foucauld, explorateur également, part vivre dans le Hoggar.

Mais, « la khawa » continue de fonctionner. Aujourd’hui, l’ermitage est toujours ouvert avec la présence de religieuses, les Petites sœurs de Jésus, venues du Madagascar. Elles exploitent un potager et assurent des cours de langue française aux habitants. L’endroit est régulièrement visité par les touristes.

Selon Benachour Badis, les touristes nationaux visitent la région surtout durant la célébration du Mawlid Ennabaoui, la fin de l’année et durant les vacances scolaires.

« Donner un beau visage à Béni Abbès »

« Nous avons reçu dernièrement un groupe de touristes italiens à la faveur d’échanges médicaux. Nous comptons beaucoup sur le tourisme familial à travers la formule du tourisme chez l’habitant. Cette tradition de bien accueillir les visiteurs commence à devenir contre-productive pour nous. Nous ne pouvons plus continuer à assurer l’accueil sans contrepartie », se plaint Mohamed Teyebi.

Il évoque les travaux menés pour améliorer l’activité touristique dans la région. « Nous travaillons actuellement pour la réhabilitation et l’élargissement de la piscine municipale à la faveur d’un complexe touristique. L’Institut régional de formation hôtelière, visité récemment par le ministre du Tourisme, va bientôt ouvrir ses portes », annonce-t-il.

L’APC a consacré un budget pour embellir la ville. « Nous voulons donner un beau visage à Béni Abbès en nettoyant et en rénovant ses ruelles et ses bâtisses », ajoute le président de l’APC.

L’Association d’Abdelkader Telmani, présente sur les réseaux sociaux, travaille pour la promotion de la destination Béni Abbès avec les jardins où l’on peut trouver des figues et des grenades, la source Ain Sidi Othmane, les trois ksours Gsiba, Ouarourout et Béni Abbès, un héritage de plusieurs siècles, la plus haute dune du Grand Erg occidental, la rive gauche de la Saoura où est construite la ville et les Hmadas.

« Un carrefour de plusieurs modes de vie »

Pour Abdelkader Telmani, la protection du patrimoine ancestral contribue grandement à la relance de l’activité touristique et culturelle dans la région. « Notre association œuvre pour justement protéger ce patrimoine. Après la rénovation du ksar entre 2008 et 2010, nous essayons d’animer le ksar en organisant plusieurs activités culturelles et touristiques. Nous développons par exemple un tourisme populaire solidaire dont le but n’est pas commercial », souligne-t-il.

L’histoire de la région est, d’après lui, une véritable mosaïque ethnique. « Béni Abbès est la seule ville d’Algérie qui a réussi à garder ensemble le mode de vie urbain et nomade. Les deux tribus nomades, qui sont originaires du Sud-ouest, du sud-est algérien et de l’extrême Sud, sont présentes aussi à Béni Abbès. Il s’agit bien entendu des Reguibat et des Touareg. C’est un carrefour de plusieurs modes de vie », dit-il.

Comme ailleurs en Algérie, il y a, à Béni Abbès, un problème de transmission du savoir-faire en matière d’artisanat. « Des efforts sont fournis au niveau du centre de formation professionnelle pour assurer que la connaissance ancestrale en matière d’artisanat ne se perd pas et soit perpétuée », assure le président d’APC qui invite les Algériens à venir nombreux visiter Béni Abbès. « Vous n’allez pas le regretter », insiste-t-il.

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