Politique

Ce que les Algériens reprochent à Bouteflika

Ce n’est pas tant son état de santé qui vaut aujourd’hui au chef de l’Etat une grosse contestation populaire que le bilan de sa gestion. En plus clair, Abdelaziz Bouteflika n’a pas fait bon usage des mandats précédents, particulièrement du quatrième qui s’achève, pour avoir le droit moral d’en solliciter un cinquième.

Sa candidature dans l’état où il se trouve peut être perçue comme l’élément déclencheur de la colère de la rue, sans plus. Réduire les manifestations qui gagnent toute l’Algérie à l’expression de l’indignation d’un peuple contre la candidature à la fonction suprême d’un homme impotent, c’est prendre le risque de reconnaître à ce même homme qu’il ne traîne de boulet que sa santé chancelante et que son bilan, et plus globalement celui du système qui l’a imposé et qu’il incarne, est irréprochable.

En 2014, Bouteflika avait certes reculé dans les urnes, mais il a eu son quatrième mandat et le peuple a laissé faire. Sa santé n’était pas pourtant flamboyante. Il sortait d’un AVC, faisait de rares apparitions publiques sur une chaise roulante et ne s’était pas adressé au peuple depuis déjà plus d’une année. C’est que les errements de sa politique n’avaient pas encore éclaté au grand jour.

Ceux qui avaient mis en garde contre l’aventure du quatrième mandat n’avaient sans doute pas tort. Cette mandature fut celle de trop et pour le pays et pour le président, contraint aujourd’hui à quémander une « sortie honorable » qu’il lui sera, au vu de la tournure des événements, difficile à obtenir.

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Dérive autoritaire

C’est sur le plan des libertés que le bilan de Bouteflika est le plus difficilement défendable. Le mandat qui s’achève est celui de toutes les régressions. Le rapport 2018 d’Amnesty international publié ce mercredi 26 février, le rappelle. Restriction de façon injustifiée des droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association, arrestation et détention arbitraire de journalistes et de militants sur la base de dispositions très restrictives du Code pénal, refus d’agrément d’associations, atteintes à la liberté religieuse.

Ce fut ainsi tout au long du règne de Bouteflika, mais la chape de plomb a pris des tournures dramatiques durant le quatrième mandat. En 2015, le journaliste Mohamed Tamalt, détenu arbitrairement pour offense au chef de l’Etat justement, meurt en prison à l’issue d’une grève de la faim. On a cru un moment que la mort de Tamalt n’allait pas être vaine, mais le pouvoir, suivant on ne sait quelle logique, va redoubler de pressions sur la presse et réduire les rares espaces de liberté existants.

Durant les derniers mois de l’année 2018, une vague d’arrestation de journalistes allait dévoiler d’un coup plusieurs tares du système Bouteflika : le harcèlement de la presse, l’instrumentalisation de la justice et la manipulation de l’opinion puisque certaines de ces arrestations semblent relever du simulacre.

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La corruption ne s’est jamais aussi bien portée

La corruption ne s’est jamais aussi bien portée que sous ce quatrième mandat. La montée de l’oligarchie, qui se compte parmi les membres du cercle présidentiel, est accompagnée dans l’opinion de sérieux soupçons d’enrichissement illicite.

Sûr de lui, le pouvoir va même réhabiliter des personnes qui symbolisent aux yeux de l’opinion cette corruption. En mars 2016, Chakib Khelil, sous le coup depuis août 2013 d’un mandat d’arrêt international lancé par la justice algérienne qui le soupçonnait d’avoir perçu des pots-de-vin, rentre en Algérie comme si de rien n’était. Abdelmoumène Ould Kaddour, condamné pour de graves chefs dans l’affaire BRC est lui aussi réhabilité est nommé à la tête de Sonatrach en mars 2017.

On ne peut préjuger de la culpabilité ou de l’innocence des deux personnages, mais le fait est que leur « blanchissement » ne s’est pas fait à l’issue d’un procès public mais sur une décision politique dont tout le monde en Algérie devine la paternité.

L’affaire de la cocaïne saisie en mai 2018 au large d’Oran finira par tout dévoiler de la jungle qu’est devenu le pays. Plusieurs hauts responsables sécuritaires en feront les frais, sans que l’opinion ne sache, aujourd’hui encore, s’ils sont impliqués ou en quoi ils ont failli.

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Blocage de l’investissement, l’incurie de trop

L’autre haut fait d’arme du pouvoir durant ce quatrième mandat, c’est d’avoir achevé de casser les rares ressorts qui subsistaient encore dans la société, affaibli comme jamais l’opposition et maintenu l’hégémonie du FLN et du RND par des élections boudées par la population et entourées de soupçons de fraude.

En octobre 2018, les députés des partis de la majorité ont déposé le président de l’Assemblée au mépris des lois et de la Constitution. Un cadenas et une chaîne en fer, dont les images ont fait le tour du monde, ont suffi. On ne se soucie même plus des formes.

Mais le plus grand échec de Bouteflika en ses vingt ans de pouvoir, c’est de ne pas avoir réussi à défaire l’économie nationale de son indépendance aux hydrocarbures. La chute des prix de pétrole en 2014 a révélé aux Algériens que leurs gouvernements successifs n’avaient pas mis à profit la manne qui a duré plus d’une décennie pour diversifier l’économie. Le coup de grâce à la politique de Bouteflika est venu d’où il ne l’attendait pas.

En septembre 2017, Ahmed Ouyahia, de retour aux affaires, avait révélé que les caisses de l’Etat étaient vides et qu’il n’y avait pas de quoi payer les salaires à venir des fonctionnaires. Le peuple avait bien raison de se demander « où sont passés les 1000 milliards de dollars », soit les revenus cumulés du pays en deux décennies.

Hélas, le gouvernement n’a donné à la population aucune raison d’espérer des jours meilleurs, en optant pour des mesures de facilité comme la planche à billets et surtout en bloquant le seul segment sur lequel des espoirs de redressement peuvent être fondés : l’investissement.

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