search-form-close
Décès du Pr Charef Zidane : Tiaret et l’Algérie perdent un valeureux fils

Décès du Pr Charef Zidane : Tiaret et l’Algérie perdent un valeureux fils

Après une longue maladie, le Professeur Charef Zidane vient de nous quitter. Il est parti entouré de la chaleur de sa famille et de l’amour de ses enfants. Une de ses filles n’a pas hésité à demander un congé de longue durée pour s’occuper de lui.

Il sera malheureusement enterré hors de son pays, loin de sa ville natale Tiaret qu’il chérissait tant. Il est né, en effet dans cette ville des Hauts Plateaux, le 15 janvier 1935. Il devait fêter ses 87 ans dans trois jours. Il est issu d’une famille enracinée, connue parmi les grandes familles de Tiaret même si comme la majorité d’entre elles, elle appartenait à un milieu modeste.

Il a passé toute son enfance à Tiaret. Après l’école coranique, il a entamé sa scolarité à l’école primaire d’El-Karma puis est passé au collège moderne de la ville qui a été érigé en lycée, connu aujourd’hui sous le nom de lycée Ibn Roustom. C’est donc dans le même établissement qu’il a pu préparer son bac et l’obtenir avec brio à la fin des années cinquante.

Les jeunes du lycée de cette époque étaient pratiquement tous imprégnés par le sentiment nationaliste. Considérée comme une famille de soutien potentiel aux indépendantistes, la famille Zidane faisait l’objet d’une surveillance de la part de l’administration coloniale. L’arrivée d’un bachelier en son sein ne pouvait que jeter plus de suspicion sur elle, aussi celle-ci fit tout ce qu’elle pouvait pour l’envoyer en France continuer ses études. Très compréhensif, le proviseur du lycée a apporté un appui décisif à cette translation.

Dès son arrivée en France, Charef Zidane a aussitôt entamé des études de médecine à la faculté de médecine de Rennes. Dès sa première année, il a adhéré à la section locale de la Fédération FLN de France.  Il convainquit sa fiancée, une bretonne connue à l’université, de faire autant car elle offrait une couverture importante aux actions menées à travers la France (préparation et diffusion de documents, transfert de fonds, cache pour les éléments du FLN recherchés…). La Fédération FLN de France, suite aux recommandations du GPRA, avait exhorté les étudiants algériens de terminer leurs études car l’indépendance était inéluctable et l’Algérie indépendante avait besoin de cadres.

Cette activité militante ne l’a pas empêché de continuer ses études médicales d’abord en France puis à Alger dès le recouvrement de l’indépendance nationale.

A l’appel du docteur Mohamed Séghir  Nekkache, premier ministre de la santé de l’Algérie indépendante, Charef Zidane comme les étudiants en médecine et les quelques médecins algériens qui avaient terminé leurs études ont rejoint pour les premiers la faculté de médecine d’Alger et pour les autres l’hôpital Mustapha.

L’Algérie devait relever un défi majeur, celui de la réouverture de la faculté de médecine. Les 150 étudiants musulmans algériens que comptait la faculté de médecine et de pharmacie d’Alger avaient eu une année académique très perturbée suite à la guerre meurtrière menée par l’OAS contre les populations civiles et devaient, par conséquent, reprendre rapidement leurs études.

De plus le retour du maquis, des frontières et de l’étranger d’un nombre équivalent d’étudiants qui avaient pour certains interrompu leurs études pour rejoindre l’ALN, faisait que le pays était confronté à une grande attente. Ainsi, en plus des soins que requerrait une population meurtrie, il fallait surtout ne pas rater la formation supérieure de toute une génération.

Les sciences fondamentales étaient peu prisées alors que les besoins étaient cruciaux. Charef Zidane effectue son internat au service de cytopathologie du Professeur Slimane Taleb. Il sera rejoint par Abdelhak Bererhi et tous deux vont soutenir leur thèse de médecine en 1966.

Le sujet sur lequel a travaillé Zidane était « Contribution à l’histopathologie de la trame du tissu myeloïde ». Au cours de la même année, plusieurs futurs professeurs avaient soutenu leur thèse de doctorat. Outre Abdelhak Bererhi, il y a eu Ahmed Bou Salah qui deviendra chef de service de neurochirurgie à l’hôpital Ait-Idir, Mohamed Hammani qui sera chef de service de chirurgie à la clinique Débussy, Rabah Nait Abdallah qui choisira l’ophtalmologie, Ahmed Djedhri qui occupera le poste de directeur de la santé de la wilaya de Constantine pendant de longues années ou encore Gabriel Timsit qui optera pour la néphrologie. Ce dernier avait fait partie des étudiants communistes qui ont apporté leur soutien à la révolution algérienne.

Charef Zidane choisit la carrière universitaire et réussit à passer son agrégation pour être nommé professeur d’enseignement supérieur. Il a à son actif plusieurs publications et a été consacré lauréat du prix Georges Ayem à Paris. Il restera attaché à la recherche et même en semi-retraite, il continue de publier des articles dont l’un a retenu mon attention car consacré au diagnostic par PCR de Leishmania infantum en Algérie.

L’article a été publié dans une revue britannique de la Royal Society of Tropical Medicine and Hygiene en 2008. Il est cosigné avec Nabila Seridi, Miloud Belkaid, Wilber Quispe-Tintaya, et Jean Claude Dujardin.

Malgré les difficultés administratives, le choix de Charef Zidane se révéla payant car il devint l’un des plus brillants enseignants d’embryologie, de cytologie et d’histologie de l’Algérie postindépendance.

Il est resté le seul enseignant de la matière pendant une longue période après le départ de Slimane Taleb à la retraite et la bifurcation de Abdelhak Bererhi vers des postes administratifs (recteur puis ministre de l’enseignement supérieur). Je me souviens personnellement des cours qu’il nous donnait à l’amphi C à la fac centrale.

Malgré les 350 étudiants, on entendait les mouches voler. Ses cours se caractérisaient par une clarté et une rigueur remarquables. Il avait le don de faire aimer aux étudiants une matière à priori repoussante en raison de sa complexité. Les nombreux postes qu’il occupera durant toute sa vie professionnelle, ne l’empêcheront pas de revenir toujours vers sa spécialité d’origine. Il a ainsi formé de nombreux spécialistes qui dirigent aujourd’hui les services de cytopathologie de nombreux hôpitaux.

Le Pr Zidane qui s’était marié durant ses études a eu six enfants. Parmi ces derniers, deux vont suivre sa vocation, l’ainée d’abord qui est radiologue en France et le cadet qui est spécialiste en chirurgie vasculaire à Berlin et que j’ai eu l’agréable surprise de rencontrer dans l’avion sur un vol Frankfurt-Berlin, il y a quelques années.

Dès 1974, le Pr Charef Zidane fait partie de l’équipe de direction de l’Université des sciences et de technologies de Beb Ezzouar en tant que directeur de l’Institut de biologie, l’un des onze instituts que comptait l’USTHB à ses débuts, avec Bénali Benzaghou comme recteur. Il a même été appelé à assurer l’intérim du poste de recteur de l’université entre 1979 et 1980.

Après cette date, il a été sollicité pour prendre les rênes de l’Union médicale algérienne en tant que secrétaire général après le départ du Pr Said Chibane. Il s’acquitte honorablement de sa tache en ouvrant la porte de l’UMA aux jeunes médecins et en encourageant les manifestations scientifiques.

Appelé à d’autres fonctions, il cède lui-même la place au Pr Abdelkader Boukhroufa mais la crédulité de ce dernier ouvre la voie à Djamel Ould Abbes pour faire une OPA sur l’institution et la détourner de sa vocation médicale.

Durant son mandat à la tête de l’UMA, le Pr Charef Zidane a été désigné membre de mon jury de thèse de docentat en 1984. Comme lui, j’ai souffert des entraves administratives car certains enseignants ont contesté le fait que je pouvais soutenir ma thèse alors que j’étais au service national. Le Pr Zidane leur a alors rétorqué qu’il ne voyait pas d’inconvénient à cela car même les prisonniers étaient autorisés à poursuivre leurs études et à passer leurs examens. La même année, il m’a fait le privilège de préfacer un de mes livres sur les « urgences pédiatriques ».

En 1997, il a été sollicité par la population de Tiaret pour faire partie de la liste RND aux législatives. Elu député, il s’acquitta consciencieusement de sa tache. La porte de sa maison était toujours ouverte aux habitants de Tiaret en quête de défendre leurs droits. Très apprécié au Parlement, Charef Zidane est élu Vice-président durant le mandat qu’il a effectué à l’APN. Il a honoré le pays lors des multiples rencontres avec les parlementaires des autres pays. Son travail, sa clairvoyance et son dévouement ont attiré l’attention des autorités sur lui. Il déclina poliment le poste de ministre de la santé qui lui a été proposé pour des raisons personnelles.

Au cours des années quatre vingt dix, alors que de nombreuses personnalités en vue ont préféré se mettre au vert sous d’autres cieux en raison des menaces qui pesaient sur l’élite nationale, le Pr Charef Zidane a continué ses activités de médecin, comme chef de service de cytopathologie au CPMC.

En dépit du danger, il est resté seul chez lui, continuant ses activités médicales comme si de rien n’était. Tous les matins, il descendait à pied d’Hydra jusqu’à l’hôpital Mustapha. Il sortait très tôt de chez lui, traversant les rues désertes sans être inquiété par la situation sécuritaire qui prévalait.

Il considérait son métier comme un sacerdoce et il a continué à travailler jusqu’à être touché par la limite d’âge de 75 ans. Il offrit ses services en tant que bénévole par la suite car il savait qu’il rendait un service inestimable aux femmes malades qui s’agglutinaient dans les couloirs du CPMC dès l’aurore.

La maladie a malheureusement interrompu cet altruisme et l’a obligée de se ménager puis de rejoindre ses enfants établis à l’étranger pour pouvoir mener toutes les investigations nécessitées par son état de santé. « Il avait fini par tirer le frein à main, comme il le répétait souvent… ».

Le Professeur Charef Zidane a aussi eu une activité humanitaire. Il a été Vice-président de la Forem (Fondation pour la promotion de la santé et le développement de la recherche) avec le professeur El-Hourari Abed, le chef de service de pharmacie de l’hôpital d’Hussein-Dey pendant deux mandats. Il avait notamment présidé le jury de la Forem pour l’attribution de prix d’encouragement aux jeunes chercheurs à coté du Pr Belkacem Azzout, professeur de nutrition à l’INA d’Alger. Il a aussi présidé un colloque sur la greffe d’organe, organisé au Palais de la Culture en 2008, colloque qui a ouvert le dossier de cet important et complexe geste thérapeutique.

Le Pr Charef Zidane avait un grand charisme. Il était toujours affable. Il recevait ses visiteurs avec le sourire et trouvait toujours les mots qu’il fallait pour les aider à surmonter une peine. Il n’hésitait pas à solliciter ses confrères de différentes spécialités pour faire admettre des malades à des consultations ou à l’hospitalisation ou pour effectuer certains examens. C’était un homme d’une grande modestie, qui se rendait disponible chaque fois qu’il était sollicité. Il était apprécié par tous ceux qui l’ont connu.

Après un long combat avec la maladie, il a été rappelé par Dieu le 2 janvier 2022 à l’aube. Entouré de toute sa famille, il est parti en silence, lui qui aimait tant la discrétion. Il fait partie des hommes que le Coran qualifie par ceux qui ont accompli leur mission dignement sur terre. Puisse-t-il bénéficier de la grande et sainte miséricorde divine et que Dieu, Tout puissant l’accueille dans son vaste paradis.

*Pr Mostéfa Khiati, président de la Forem

  • Les derniers articles

close