Économie

Des dattes algériennes retirées du marché en France

Dans une palmeraie de Biskra dans le sud-est algérien, un pulvérisateur projette un insecticide sur les palmiers. Il s’agit de diflubenzuron, un produit interdit par l’Union Européenne pour le traitement des dattes.

Les autorités sanitaires françaises ont donc demandé le retrait à la vente des dattes algériennes incriminées. C’est l’Apoce qui a donné l’information jeudi sur sa page Facebook.

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Le pulvérisateur appartient à l’Institut national de la protection végétale (INPV). Installé sur la plateforme d’un camion, il permet un traitement rapide des palmiers.

Grâce au financement du Fonds national de développement rural (FNDR), l’INPV se targue de traiter chaque année plusieurs dizaines de milliers de palmiers à Ouargla, Ghardaïa, El Ménéa, Biskra et El Oued.

Des actions qui ont démarré dès 2018 à la demande des agriculteurs. Le ravageur visé, le boufaroua, est un acarien. Les pertes peuvent être considérables pour les agriculteurs. Les traitements visent également à combattre la pyrale, un papillon qui est à l’origine de larves se développant à l’intérieur du fruit.

La question a été évoquée jusqu’au sein de l’Assemblée populaire nationale (APN). En janvier dernier le ministre de l’Agriculture a été interpelé par Ahmed Boubekeur un député de la circonscription de Meghaier qui s’inquiétait de l’étendue des ravages.

Le ministre avait alors promis une extension du programme de lutte et rappelé que 2,5 millions de palmiers avaient été traités en 2021 insistant cependant sur « l’impératif d’éviter l’utilisation abusive des pesticides » comme le rapportait alors l’agence officielle APS.

Retrait des lots Deglet Enour B&S La Pause

La demande de retrait de dattes algériennes des rayons des supermarchés français a fait l’effet d’une bombe au sein de la profession. Cette demande ne concerne pas l’ensemble des dattes exportées mais seulement celles des lots de la marque B&S La Pause.

Dans son bureau, l’exportateur Mohamed Ali Benghezel confie à Ennahar TV : « C’est dans le cadre de la campagne de lutte contre le boufaroua qu’est utilisé le diflubenzuron. Or, dans tous les pays du monde, ce produit est homologué sur les agrumes mais pas sur les dattes. Nous avons procédé à des recherches en Allemagne et en avons eu la confirmation. »

Amer, cet investisseur qui approvisionne le marché européen poursuit : « Son utilisation actuelle fait que la production ne peut être valable pour l’exportation et même pour la consommation locale. »

Le producteur Messaoud Boussanina apporte des précisions : « il y a des arrêtés internationaux qui montrent que cette substance peut être utilisée sur les agrumes. Car ceux-ci sont protégés par une peau externe, mais les dattes sont des produits qu’on consomme directement. Aussi, nous demandons aux autorités et à Monsieur le ministre que les traitements soient effectués avec des produits biologiques qui n’impliquent pas de produits chimiques. »

Les dattes Bio appréciées des consommateurs allemands

De la datte bio, des producteurs en produisent déjà en Algérie. Les consommateurs Allemands en sont friands. Dans la palmeraie de Hadj Ghoulem à Biskra, des ouvriers effectuent un désherbage méticuleux. Mais pas le moindre herbicide n’est utilisé. Les mauvaises herbes sont éliminées à l’aide d’une débroussailleuse car elles constituent des foyers potentiels où hivernent les insectes.

Ce producteur confiait en 2019 à Canal Algérie TV : « Ce sont les techniciens de l’entreprise allemande Ecocert qui nous expliquent les techniques que nous devons utiliser pour la protection contre les parasites, le conditionnement et la température à respecter dans les chambres froides. »

Pour lutter contre les insectes, Hadj Ghoulem utilise des pièges à phéromones que dispose à intervalles réguliers une technicienne. Les ravageurs sont attirés par une capsule renfermant une substance chimique. Une capsule posée sur une plaque enduite de glue.

« Le cahier des charges en bio exige l’absence de produits chimiques ou d’engrais » explique Mohamed Bourahla, responsable des services agricoles de Biskra.”

Hadj Ghoulem concède que la production en bio est moindre, mais pour rien au monde il n’en changerait : “Ce qui nous a poussé à nous lancer dans le bio, c’est que ces dattes sont très demandés en Europe. Il y a un circuit organisé, on a donc la garantie d’écouler toute la production, ce qui n’est pas le cas des autres dattes. »

Les progrès de la lutte biologique à l’ENSA

Dès les années 1980, l’équipe du professeur Salaheddine Doumandji de l’Ecole nationale supérieure agronomique a testé la lutte biologique.

Contre le boufaroua, les lâchers d’une coccinelle locale sur des palmiers infestés ont conduit à « des efficacités prédatrices relativement importantes » notait en 2011 le doctorant Idder Azzedine.

Contrairement aux traitements physique et chimique qui peuvent provoquer jusqu’à 90% de mortalité chez les insectes auxiliaires, les traitements biologiques sont inoffensifs. Passer à la lutte biologique nécessiterait de procéder à l’élevage de ces insectes auxiliaires.

L’INPV confirme l’importance de la lutte préventive et préconise « l’entretien régulier de la palmeraie, car les mauvaises herbes se trouvant à l’intérieur ou aux alentours de la parcelle constituent les premiers refuges et foyers de ce ravageur. »

70 millions de dollars d’exportations de dattes

Quant aux traitements chimiques, l’INPV insiste sur l’emploi de « produits phytosanitaires homologués contre le boufaroua. » Mais le sont-ils pour le traitement spécifique des dattes ? Obligation qui aurait été omise à priori par les équipes de terrain.

Déjà en 2018, le ministère du Commerce avait confirmé le refoulement d’une cargaison de dattes algériennes du Canada pour « non-respect des délais d’exportation.»

La décision des autorités françaises est grave dans la mesure où elle impacte l’activité d’une filière créatrice d’emplois dont la nombreuse main d’œuvre féminine des ateliers de conditionnement. Elle met en relief la nécessaire coordination entre les intervenants de la filière. Une filière qui a exporté pour plus de 70 millions de dollars de dattes en 2020.

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