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Covid-19, durée de vie des anticorps : entretien avec le Pr Melikechi

Covid-19, durée de vie des anticorps : entretien avec le Pr Melikechi

Le Professeur Noureddine Melikechi, physicien algérien à la Nasa, a publié avec d’autres scientifiques une étude dans la revue Nature sur le covid-19. En exclusivité à TSA, il revient dans cet entretien sur son contenu et lance un appel aux Algériens.

Vous venez de publier dans la Scientific Reports de la revue Nature un article qui touche au covid-19. Vous avez abordé la durée de l’immunité des personnes infectées et l’évolution dans le temps du niveau des anticorps contenus dans leur plasma. Qu’avez-vous trouvé ?

Effectivement, mes collègues et moi-même avons publié les résultats d’une étude interdisciplinaire motivée par l’apparition, fin décembre 2019, de la pandémie du syndrome respiratoire aigu sévère corona virus 2.

Notre étude a commencé avant la mise en place des vaccins pour lutter contre le virus corona, mais, à ce moment-là, plusieurs personnes à travers le monde étaient déjà atteintes de la covid-19.

Le plasma sanguin des personnes qui se sont remises du covid-19 contient des anticorps contre le virus. Les spécialistes en médecine se posaient alors la question de savoir si la transfusion de plasma de patients en convalescence pourrait augmenter les chances de guérison des patients gravement atteints par la covid-19.

Il était aussi question de savoir si une personne atteinte gravement de la covid-19 a une protection immunitaire plus forte que celle d’une personne restée asymptomatique.

Pour répondre à ces questions, il est utile et même nécessaire de connaitre avec précision la durée de vie des anticorps dans le sang. Un des objectifs étant de pouvoir prédire avec une meilleure fiabilité, les réponses immunitaires contre la covid-19.

Pour cette étude, nous avons suivi 943 patients atteints de la covid-19 sur une période de sept mois. L’objectif était d’analyser l’évolution dans le temps du niveau des anticorps contenus dans leur plasma.

Nous avons comparé de manière quantitative les taux de réduction des anticorps des patients convalescents présentant initialement des niveaux d’anticorps élevés à ceux des patients avec des niveaux d’anticorps initialement plus bas.

Ces données nous ont permis de développer un modèle mathématique qui décrit l’évolution dynamique des anticorps dans le plasma des patients atteints par la covid-19 et de calculer avec précision leur taux de décroissance dans le temps.

Notre étude montre, entre autres, que le taux de réduction des anticorps dépend des niveaux initiaux d’anticorps existant chez le patient. Les résultats de cette étude pourront contribuer à prédire les réponses immunitaires contre la maladie corona virus-19. Nous pensons qu’elles fourniront des informations supplémentaires pour les futures études au sein des populations vaccinées.

Cette recherche associe des chercheurs de disciplines diverses. Pourriez-vous nous dire comment est née l’idée d’effectuer ce travail par votre groupe ?

Vue la complexité du problème, son impact, et la vitesse avec laquelle peut se propager ce virus, il nous a paru utile et pertinent de considérer une approche multidisciplinaire qui rassemblerait des scientifiques de différents horizons ; le but étant d’appréhender ce problème à partir de points de vue divers et variés, où chaque contributeur apporte un éclairage spécifique.

Un peu partout dans le monde, et certainement ici dans le Massachusetts (USA), des équipes scientifiques multidisciplinaires se sont formées relativement rapidement.

Cette approche est souvent nécessaire pour aborder des problèmes complexes. Elle n’est donc pas exceptionnelle pour ce cas. Il s’agit en premier lieu de définir clairement les objectifs scientifiques tout en construisant stratégiquement l’équipe de chercheurs.

Pour ce projet, notre équipe de recherche est constituée de biologistes moléculaires de l’école de médecine de l’université de Boston, de mathématiciens de l’Université de Bentley, d’une volcanologue de l’université de Mc Gill de Montréal, d’un biochimiste, le CEO d’une compagnie qui développe des tests sérologiques, et d’un physicien, de l’université de Massachusetts (autrement dit, moi-même).

En fait, ce sont les questions scientifiques que l’on se posait qui ont guidé la constitution de l’équipe. Dans le même temps, d’autres équipes pluridisciplinaires se sont formées avec d’autres objectifs scientifiques et technologiques pour combattre la pandémie.

En Algérie, des personnes se font vacciner mais d’autres restent incertaines et hésitent. Quel est votre message aux personnes qui hésitent à se vacciner ?

Le développent d’un vaccin est un processus long, complexe et coûteux qui nécessite un suivi attentif et une évaluation rigoureuse avant sa mise en place.

Les vaccins contribuent de manière très efficace à combattre certaines maladies et même à presque en éradiquer quelques-unes telle que la polio. Concernant la covid-19, la science montre qu’à l’heure actuelle, les vaccins et les interventions non pharmaceutiques sont ce que nous avons de mieux comme armes pour nous défendre contre ce virus.

Comme beaucoup de personnes, je suis fier du fait que le peuple algérien ait montré plusieurs fois, et plus récemment durant les incendies ravageurs qui ont touché une partie du territoire algérien notamment la Kabylie, qu’il sait être solidaire avec les autres et capable de volontairement et presque unanimement combattre les grands maux.

D’ailleurs je saisis cette occasion pour lui rendre hommage et pour envoyer un message de sympathie aux familles touchées par cette tragédie. A présent, et depuis déjà presque 3 ans, nous avons un ennemi invisible à l’œil nu qui non seulement nous a forcés à changer les plus anodins de nos gestes, mais plus grave, emporte tous les jours des vies humaines.

Cette invisibilité à laquelle je peux rajouter la fatalité contribuent aux hésitations constatées en Algérie et ailleurs. Il serait souhaitable que chaque Algérien et chaque Algérienne soit solidaire des autres contre cet ennemi invisible : le virus corona pour ne pas le nommer. Cela passe par la vaccination et par le port d’un masque quand cela est nécessaire.

Je lance ici un appel aux Algériens et Algériennes : si vous n’avez pas une condition médicale qui vous en empêcherait, vaccinez-vous pour vous protéger et pour protéger vos proches.

Vaccinez-vous pour contribuer à diminuer l’impact de la pandémie et espérons-le à l’éliminer. Vaccinez-vous pour contribuer à la solution et non au problème.

Si vous le permettez, j’aimerai saisir cette occasion pour rendre hommage aux professionnels de la santé en Algérie qui, dans des conditions loin d’être idéales, se battent tous les jours contre la covid-19 et bien d’autres maladies.

Que disent les scientifiques sur la fin de la pandémie de la covid-19 ? Va-t-elle disparaître ou allons-nous vivre avec pendant longtemps ?

Quelques semaines seulement après le premier cas signalé, les scientifiques ont séquencé l’intégralité de son génome et identifié le virus responsable de la maladie, un nouveau coronavirus, le SARS-CoV-2.

Ceci était possible grâce aux progrès scientifiques et technologiques réalisés notamment par le projet du génome humain lancé vers les années 1990. Depuis l’apparition de la pandémie, les scientifiques ont beaucoup appris sur la covid-19.

Ces nouvelles connaissances ont permis d’établir une série d’interventions non pharmaceutiques efficaces tels que l’application des règles d’hygiène, le port du masque, la distanciation physique, l’isolement des personnes infectées et surtout le développement de plusieurs vaccins. Tout cela a contribué à contenir quelque peu la pandémie.  Cela dit, il demeure une incertitude sur la progression de la pandémie et sur les scenarios possibles.

A ma connaissance, il n’y a pas de consensus entre les scientifiques sur ce que nous réserve le futur car la maîtrise totale de la pandémie, de son impact et éventuellement sa disparition dépendent de plusieurs facteurs et peuvent demander plusieurs mois, voire des années.

Toutefois, il y a déjà des leçons à tirer. Premièrement, bien que plusieurs vaccins contre la covid-19 aient été approuvés pour une utilisation généralisée, beaucoup de personnes à travers le monde ne le sont pas encore.

Cette situation fait que le virus continuera à se propager ce qui augmentera sa probabilité de muter, potentiellement en un virus encore plus compliqué à combattre. Il est évidemment souhaitable que les nouveaux vaccins soient efficaces contre toutes les variantes de la covid-19 qui peuvent se manifester dans le futur mais, à l’heure actuelle, le meilleur moyen d’empêcher le virus de muter est d’arrêter sa propagation et pour cela se faire vacciner et porter des masques.

De plus, il me semble raisonnable de rappeler, si besoin est, que pour augmenter les chances de protection durable et efficace contre la covid-19, il est essentiel d’obtenir des niveaux élevés de vaccinations non pas à travers un pays, ou même une région mais à travers le monde entier.

Une approche globale de la vaccination contribuera à la maîtrise efficace et durable de la pandémie sur toute la planète. Deuxièmement en plus de la vaccination, il est essentiel réduire les chances de transmission du virus.

Ceci passe par l’observation des mesures non pharmaceutiques aussi longtemps que nécessaire, c’est-à-dire jusqu’à ce que la pente de la propagation de la pandémie dans le temps soit négative durablement et partout.

Cela implique que nous devons nous préparer à vivre avec des contraintes pas toujours faciles à accepter. Troisièmement, il est important de ne pas ignorer le problème du manque d’instruction scientifique qui existe un peu partout dans le monde. Ne pas faire de différence entre une information basée sur des faits et une « information » d’une autre nature est problématique et même dangereux.

Il serait souhaitable que les scientifiques vulgarisent et communiquent aussi souvent que nécessaire afin d’expliquer la démarche scientifique qui a conduit à une découverte et à l’incertitude qui lui est associée.

Créer des programmes pour que les populations, notamment les plus jeunes aient une plus grande compréhension de la méthode scientifique peut réduire la méfiance envers la science.  Nous ne pouvons faire face de façon effective et efficace aux grands défis mondiaux qui nous font face, tels que les maladies, le changement climatique, les catastrophes naturelles, ou la pauvreté, sans l’apport de la science.

Que diriez-vous pour conclure ?

En somme, pour diverses raisons, nous vivons une période assez compliquée qui demande de nous beaucoup de travail à tous les niveaux. Il est grand temps de penser avec courage, sagesse et raison à l’avenir.

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