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Entretien avec Idir : « J’éprouve une joie immense de venir chanter en Algérie »

Entretien avec Idir : « J’éprouve une joie immense de venir chanter en Algérie »

espacemalraux-chambery.fr

Idir sera en concert à Alger, à la Coupole du complexe du 5-Juillet, les 4 et 5 janvier 2018, à l’invitation de l’Office national des droits d’auteurs (ONDA). Des concerts sont prévus en mai et juin 2018 à Oran, Batna, Tlemcen, Constantine, Béjaia et Tizi Ouzou. Un gala de fin d’année est programmé pour décembre 2018 à Tamanrasset. L’interprète du célèbre « Avava Inouva » n’a pas animé de concert en Algérie depuis presque 38 ans. Entretien.

Vous revenez en Algérie pour animer un concert depuis 1979. Comment expliquez-vous ce retour ?

Parce que j’ai envie de chanter en Algérie. Le moment est venu d’y aller. Toutes les conditions nous ont été acceptées. Certains vont peut-être dire, qu’est-ce qu’il vient faire ici ? Mais, ils ne connaissent pas les vraies raisons qui nous motivent. Ce qui est sûr est que j’éprouve une joie immense de venir chanter en Algérie. On dit, quarante ans après ? Je dis, pourquoi pas. Il y a toujours un moment. Je vais animer des concerts un peu partout en essayant de toucher les différentes zones de l’Algérie. Je vous annonce que je vais chanter sans être payé. L’argent des recettes servira, dans chaque région où on va, à aider des associations. Moi, je viens parce que c’était la moindre des choses à l’égard de mon pays. Cela dit, je vais me faire payer sur les sponsors.

Et qu’est-ce qui vous a empêché de chanter auparavant en Algérie ?

Les gens et le pouvoir. Chanter pour X ou pour Y alors que nous voulions chanter pour le peuple. Il y a eu des événements dramatiques, des tas de choses. Des obstacles existaient. Je ne pouvais pas accepter de venir chanter ici. C’était impossible. À l’époque, on ne me reconnaissait pas dans mon identité. Maintenant, ça va un peu mieux, même s’il y a encore des choses qui manquent. Nous devons continuer. Ce n’est pas encore complet, mais un pas a été fait en avant.

Aviez-vous peur de la récupération politique de vos concerts en Algérie ?

Je n’avais pas peur de la récupération politique. En fait, il n’y avait rien à récupérer. Je suis un gars simple qui chante. J’ai dit ce que je pensais au moment qu’il fallait devant les gens. J’ai toujours dit qui j’étais et ce que j’allais devenir. Si les gens veulent penser autre chose, ça les regarde.

Est-ce que la situation a évolué pour la revendication amazighe en Algérie ?

Bien sûr, il y a vingt ou trente ans, il n’y avait pas de télé. Bonnes ou mauvaises, elles sont quand même là ces télés. Il y a vingt ou trente ans, il n’y avait pas de clips. Les choses évoluent. Ce qui, par contre, n’a pas évolué, c’est la qualité du travail que l’on fait. Cela laisse toujours à désirer. Une télé, ce n’est pas amazigh, ce sont des programmes. Une chanson, ce n’est pas amazigh, c’est de la musique, de la mélodie et des textes qu’il faut savoir défendre.

Tamazight est entrée dans la Constitution comme langue nationale et officielle. Vous en pensez quoi ?

Elle n’est pas encore officielle puisqu’on a introduit à côté une langue d’État qui lui est supérieure (l’arabe). Lorsque la langue est officielle, elle est ni inférieure ni supérieure. Elle est au même niveau que les autres mais il y a encore beaucoup de conservatisme. Il faut donc faire attention. Enfin, ce que je peux vous dire est que ça ne passera pas par moi. Je resterai toujours celui que j’étais. Et je continuerai à être comme ça parce que je ne peux faire autrement.

Qu’est-ce vous allez chanter le 4 et 5 janvier ? Y aurait-il des inédits ?

Je vais essayer d’allier les chansons à des chorégraphies ou à des chorales, construire des choses pour leur donner plus d’étoffes. Je veux que le public se rende tout de suite compte qu’on a pensé à lui et qu’on lui a offert un grand concert.

La chanson d’expression kabyle d’aujourd’hui se porte-t-elle mieux que par le passé sur les plans paroles et mélodies ?

Une chanson ce n’est pas que des paroles. C’est un tout. Il y a une image qu’on donne à travers la mélodie et un texte que nous acceptons ou pas. Il ne s’agit pas de faire aimer des mots et de dire en faire une chanson. En dehors des grands de la chanson, le reste est assez moyen dans ce qui se fait aujourd’hui.

La relève est-elle assurée ?

Non ! Un Ait Menguellet ne se trouve pas tous les jours. Il ne faut pas chercher. Mais, comme on dit, autres temps, autres mœurs. Des gens vont venir avec de nouvelles idées qui n’ont rien à voir avec les nôtres mais qui seront belles. Donc, il ne faut pas perdre espoir.

Vous avez fait des duos avec Francis Cabrel, Ait Menguellet, Mami, Patrick Bruel… Etes-vous prêts à reproduire l’expérience avec eux ou avec d’autres interprètes ?

Je veux bien partager des choses avec d’autres chanteurs, notamment de la Méditerranée. Nous avons, par exemple, beaucoup pris de la musique espagnole. Cabrel a choisi une composition espagnole (pour la chanson « La corrida », titre de l’album « Ici et ailleurs »). J’ai eu l’idée de la mettre dans le style châabi. Cela a donné de l’authenticité pour que l’Algérien qui écoute la chanson ne soit pas désorienté. D’autres duos avec Ait Menguellat et Mami ? Pourquoi pas…

Quels sont les chanteurs avec qui vous vouliez avoir des duos et que vous n’avez pas pu le faire ?

Beaucoup sont décédés malheureusement. Je parle des anciens chanteurs. J’adore la musique ancienne.

Existe-t-il une transmission artistique entre votre génération et la génération de chanteurs actuels ?

Notre génération appartenait aux ambiances coin de feu avec une guitare entre nous, entre copains. Maintenant, on fait de la musique avec des ordinateurs et avec des DJ. La démarche est complètement différente. C’est bien, à mon avis.

Vous avez longtemps travaillé sur les paroles. Aujourd’hui la chanson algérienne, kabyle ou autre, souffre de la mauvaise qualité des textes…

Je peux parler de ce que je fais. Je poursuis mon petit bonhomme de chemin. Je suis toujours intéressé de tout ce qui est identité. Il n’y a pas de raison d’arrêter. Après, le reste, les gens font ce qu’ils veulent (…) Ce dont je rêve, c’est de voir des jeunes artistes monter et faire de belles choses. Il n’y a pas longtemps, j’ai écouté un groupe qui s’appelle Babylone (célèbre notamment avec la chanson « Ya zina »). Super ! De la musique minimaliste, quelques accords avec une voix claire. On ne demande pas plus que cela. J’aimerais qu’il ait autant d’intelligence ailleurs.

Peut-on former un chanteur ?

Le talent ne s’achète pas, on l’a ou on ne l’a pas !

Nous vivons l’époque du piratage et du plagiat. Vos droits d’auteurs sont-ils respectés ?

J’espère ! On nous donne nos droits. Maintenant, est-ce qu’ils correspondent à la réalité, je pense que oui. Il n’y a pas de raison de douter. Le DG de l’Onda (Sami Bencheikh El Hocine) veut faire avancer les choses. Donnons-lui une chance de prouver qu’en Algérie, on peut faire des choses positives.

Sur le plan politique, comment trouvez-vous l’Algérie aujourd’hui ?

Je n’ai pas de définition à donner, mais l’Algérie ressemble à un souk aujourd’hui. Ce n’est pas encore un État de droit. Donc, la voie est ouverte à toutes les spéculations et à tous les excès. Cela dit, quand je regarde mes petits frères et tous les gens qui essaient de faire des choses, cela me redonnent espoir. Heureusement qu’il y a l’espoir, sinon on sera foutu. Et si on doit être foutu, autant y aller maintenant.

Comment la chanson peut-elle contribuer à renforcer le climat de liberté ?

Dans les années 1960 et 1970, la chanson a prouvé sa force avec le phénomène des hippies et les concerts de Woodstock (festival de musique rock qui a eu lieu pour la première fois en août 1969 aux États-Unis). Elle a prouvé aussi son efficacité durant la même période. Nous avions réussi à changer certaines idées, nous, qui étions considérés comme les ploucs du bled. Cependant, le politique doit à chaque fois prendre le relais. Ce n’est pas la chanson qui va changer les choses, mais les gens s’ils en ont envie.

La chanson engagée a-t-elle de l’avenir devant elle ?

Je ne le pense pas. Nous avons déjà chanté la plupart des discours. Et, la plupart des théories sont déjà connues. On sait tout ce qui se passe aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Tant que c’est l’argent qui tient le haut du pavé, il ne faut pas espérer grand-chose.

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