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ENTRETIEN. Le ministre de l’Industrie pharmaceutique nous dit tout

ENTRETIEN. Le ministre de l’Industrie pharmaceutique nous dit tout

Dr Lotfi Benbahmed, ministre de l’Industrie pharmaceutique.

Fabrication du vaccin anti-covid CoronaVac de Sinovac en Algérie, les contacts avec Sinovac, les étapes du projet, les pénuries de médicaments, régulation du marché du médicament, homologation du vaccin Sinovac fabriqué en Algérie, réouverture totale des frontières, la surfacturation…

Dans cet entretien, le ministre de l’Industrie pharmaceutique, le Dr Lotfi Benbahmed nous dit tout.

L’Algérie a lancé mercredi 29 septembre la production du vaccin anti-covid CoronaVac du laboratoire chinois Sinovac. Comment se projet a-t-il abouti ? Pourquoi avez-vous opté pour Sinovac ?

La production du vaccin anti-covid-19 en Algérie a été tout d’abord une volonté politique forte qui a été exprimée par monsieur le Président de la République devant le peuple algérien en février 2021.

Il faut rappeler que ce vaccin a été créé il y a moins d’une année et que mondialement la vaccination n’a débuté pour les pays les plus avancés qu’au premier trimestre de cette année.

Il était assez complexe de pouvoir projeter une production dans d’autres pays. La démarche de l’ensemble des multinationales pour répondre à la demande mondiale c’était d’identifier des pays qui avaient les capacités technologiques et les moyens pour pouvoir mettre en place les plateformes de fill and finish dans différents continents et pays.

C’est ainsi que les plus grands laboratoires ont opté pour un certain nombre de labos qui justement pouvaient produire les vaccins. AstraZeneca a ainsi divisé le monde en sept zones, Pfizer a fait le même chemin.

« Et c’est ainsi que les responsables de Sinovac se sont rapprochés de l’Algérie dès le mois de mai 2021. »

Pour Sinovac c’était la même chose et le laboratoire a essayé d’identifier dans les différents continents les pays pour lesquels ils avaient bien sûr des affinités diplomatiques et économiques mais aussi ceux qui avaient les moyens techniques pour pouvoir fabriquer ce vaccin.

Et c’est ainsi que les responsables de Sinovac se sont rapprochés de l’Algérie dès le mois de mai 2021. Les premiers contacts ont été noués. Après négociation, un MoU (mémorandum d’entente) a été signé en juin 2021, et le début de juillet après la visite du ministre chinois des Affaires étrangères en Algérie et son audience avec Monsieur le président de la République, une réunion de haut niveau a eu lieu au ministère des Affaires étrangères (MAE) entre la délégation ministérielle chinoise et algérienne dont notre ministère faisait partie.

Nous avons pu, dès la semaine qui a suivi, signer le contrat avec Sinovac et au courant du mois de juillet les experts chinois étaient présents en Algérie et ont validé l’unité de production.

L’avantage de l’Algérie a été d’avoir pu mettre en place ce programme de production en quelques mois parce qu’elle était prête. Nous avions une unité qui était fin prête pour accueillir cette plateforme. Nous étions préparés.

Depuis janvier-février 2021, à travers des contacts que nous avions avec le fabricant russe du Sputnik V et d’autres fabricants de vaccins comme Sinovac, nous avions à la fois préparé l’outil de production, et mis en place les formations à travers le comité des vaccins que nous avions installé au ministère de l’Industrie pharmaceutique comprenant également le ministère des Affaires étrangères, l’Agence nationale de la sécurité sanitaire, et l’Institut Pasteur d’Algérie.

Après la validation de l’unité industrielle par les experts chinois qui n’ont quasiment fait aucune remarque, dès la fin août nous avons reçu la matière première et le processus de préparation à la fabrication du vaccin s’est mis en place. À partir de là, nous avons lancé les trois premiers lots de validation ce 29 septembre.

La fabrication du vaccin est la résultante d’une forte volonté politique, de l’existence d’un site de production validé aux meilleurs standards internationaux et d’un personnel qualifié maîtrisant les bonnes pratiques de fabrication et le contrôle qualité des vaccins.

Certains disent que le groupe Saïdal se contente de remplir des flacons, qu’est-ce que vous leur répondez ?

Ceux qui disent cela ne maîtrisent pas la répartition aseptique ou le fill and finish, ce qui dans le jargon de l’industrie pharmaceutique désigne le processus allant de la matière première vers le produit fini.

Cela demande une maîtrise technologique que beaucoup de pays africains ne maîtrisent pas. Mais au-delà de cela, les matières sont souvent produites dans une ou deux unités souvent d’ailleurs en Chine ou en Inde.

De plus je m’étonne que certains qui critiquent en parlant du projet Saïdal (partenaire du chinois Sinovac) de mise en flacon, ce sont les mêmes, en tout cas dans certains pays, qui parlent de plateformes de fill and finish d’ailleurs sans finalisation jusqu’à maintenant.

Le vaccin Coronavac fabriqué en Algérie sera-t-il accepté comme le vaccin Sinovac pour les voyages à l’étranger ? Ou doit-il encore être homologué par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ?

Notre Agence nationale des produits pharmaceutiques et le ministère de l’Industrie pharmaceutique feront toutes les démarches nécessaires pour que ce produit-là réponde à tous les critères pour être homologué.

Le CoronaVac est déjà homologué, il s’agit exactement du même produit fabriqué en Algérie et non pas d’un générique. Les partenaires chinois l’attestent en donnant cette licence ce qui fait la différence avec d’autres types de projets dans d’autres pays.

Bien entendu toutes les démarches seront faites pour que ce vaccin, à l’instar des différents vaccins fabriqués dans le monde, soit reconnu.

« Le CoronaVac est déjà homologué, il s’agit exactement du même produit fabriqué en Algérie et non pas d’un générique. »

Mais je tiens à souligner que ces reconnaissances des vaccins et les difficultés de déplacement inhérentes cachent souvent des intérêts géopolitiques malheureusement contre-productifs par rapport à la situation sanitaire et à l’intérêt qu’a l’humanité de coopérer pour sortir de cette pandémie.

La fabrication locale du CoronaVac  va permettre à l’Algérie d’accélérer la campagne de vaccination anti-covid. Des spécialistes comme le Pr Riad Mahyaoui sont favorables à la réouverture totale des frontières après la vaccination de la majorité de la population. Êtes-vous d’accord ? 

La question n’est pas seulement dans la réouverture des frontières, elle est dans la prise en compte de la situation de la pandémie dans le monde. Les déplacements des populations favorisent la propagation du virus et des variants.

Cependant, aucun pays ou continent ne peut vivre sous cloche. Quelle que soit l’intensité des échanges, le virus finit par traverser l’ensemble des frontières même les régions insulaires.

Au-delà du contrôle des frontières, il y a l’importance d’une coopération internationale réelle qui permet à l’ensemble des pays à travers ces plateformes de production de généraliser la vaccination et les rappels. Posséder une unité de production permet de répondre à ces besoins.

TSA. Au début de la pandémie du covid-19, l’Algérie s’est retrouvée complètement dépendante de l’étranger en matière de moyens de lutte anti-covid. Notre système de santé a montré son extrême fragilité face aux pandémies. Au plan de l’industrie pharmaceutique, quelles sont les leçons à tirer de la pandémie covid-19 ?

Lotfi Benbahmed : En fait ce n’est pas tout à fait le cas puisqu’on ne s’est pas retrouvé dépourvu. Les premiers mois, on a pu tenir par exemple en termes de masques avec cinq petits producteurs locaux.

Grâce à la disponibilité de la matière première, nous produisons aujourd’hui plusieurs millions de masques chirurgicaux, de KN 95 et de FFP2. Nous répondons très largement à la demande.

Je peux vous annoncer que nous en exportons même en Europe. Pour ce qui est de médicaments, l’Algérie était pourvue de tous les médicaments nécessaires pour le protocole thérapeutique nécessaire et utilisé à l’époque, comme l’hydroxychloroquine.

Aussi, toutes les formes d’antibiotiques étaient produites en Algérie, en tout cas celles qui sont utilisées dans le traitement du covid.

La même chose pour les corticoïdes (injectables, comprimés) qui sont fabriqués localement. Nous en exportons aussi. Finalement en matière de médicaments, il ne nous restait que le vaccin à produire localement ce qui est le cas aujourd’hui.

« Cela nous permettra d’ici à la fin de l’année d’arriver à plus de 800 000 litres/jour d’oxygène produit localement. »

En plus de médicaments, nous fabriquons aussi les tests (de détection du covid-19) : sérologiques, antigéniques et les tests PCR. Une partie est importée mais on peut répondre désormais aux besoins de l’Algérie très largement.

Et enfin en ce qui concerne l’oxygène, je rappelle qu’au début de la crise nous fabriquions 120 000 litres par jour, aujourd’hui ce sont plus de 500 000 l/J. Une unité est entrée en production ce mois-ci, deux unités sont en cours de livraison l’une à Arzew et la deuxième à Ouargla.

Cela nous permettra d’ici à la fin de l’année d’arriver à plus de 800 000 litres/jour d’oxygène produit localement. Nous répondrons ainsi très largement à la demande locale et même régionale.

TSA. Les citoyens et des spécialistes comme le Pr Kamel Bouzid se plaignent régulièrement des pénuries de médicaments, souvent essentiels à la sauvegarde de la vie des malades. 

Le Pr Bouzid a dit à plusieurs reprises que des enfants cancéreux meurent faute de médicaments. Un commerce parallèle de médicaments qui sont ramenés de l’étranger dans des cabas est en train de se développer dans le pays. Pourquoi de nombreux médicaments ne sont pas disponibles en Algérie ?

Lotfi Benbahmed : Il faut d’abord rappeler que ce phénomène est mondial. Beaucoup de produits essentiels pour les malades chroniques notamment les enfants cancéreux sont abandonnés par les grands laboratoires pharmaceutiques ou alors ils en fabriquent très peu en raison de leur faible rentabilité.

Ce constat a été fait même en Europe : en France près de 80 % des produits en rupture sont effectivement à faible rentabilité. Ceci pour les causes exogènes. S’agissant des raisons endogènes, en ce qui nous concerne pour ne pas vivre cette problématique, nous avons mis en place une véritable politique pharmaceutique qui était jusque-là balbutiante sinon inexistante.

Cela s’est traduit tout d’abord par la mise en place d’un dispositif réglementaire. Un comité des médicaments essentiels a été mis en place. L’Agence nationale des produits pharmaceutiques qui n’existait jusque-là que par le nom est dotée aujourd’hui d’un budget, de moyens et de prérogatives, et surtout de textes réglementaires.

« Mais la meilleure façon de répondre à cette problématique de la disponibilité des médicaments c’est la production nationale. »

Pour répondre à l’exigence de disponibilité, nous avons mis en place une plateforme numérique au ministère de l’Industrie pharmaceutique qui nous permet de monitorer les programmes de production et aussi d’importation.

Producteurs et importateurs remplissent cette plateforme en indiquant leurs programmes de fabrication et d’importation en quasi-temps réel. Cette plateforme nous permet d’anticiper sur d’éventuelles ruptures. Et ainsi réagir en incitant tel ou tel fabricant ou importateur à y répondre.

Il reste d’imposer à la Pharmacie centrale des hôpitaux (PCH) d’intégrer le nouveau dispositif réglementaire mis en place afin d’avoir la visibilité sur d’éventuelles ruptures dont elle n’est pas directement responsable de sorte à ce qu’on puisse les anticiper.

Et ainsi pouvoir mettre en place d’autres mécanismes permettant de trouver de nouveaux fournisseurs et répondre aux besoins. Mais la meilleure façon de répondre à cette problématique de la disponibilité des médicaments c’est la production nationale.

Je peux d’ores et déjà vous annoncer que cinq opérateurs, dont Saïdal, ont des projets concrets de production de produits d’oncologie. Dès la fin 2022 on devrait être beaucoup moins dépendants par rapport à cette classe thérapeutique.

« Nous avons désormais beaucoup moins de ruptures qu’avant. » 

De plus, à travers un nouveau cahier de charges à l’importation, nous avons limité l’importation aux seuls médicaments essentiels. Il est question de ne pas importer les produits fabriqués localement, déjà disponibles, mais aussi d’importer utile en fonction de nos besoins.

Cette rationalisation et cette régulation du marché du médicament ne s’est pas faite au détriment de la disponibilité, loin de là. Nous avons désormais beaucoup moins de ruptures qu’avant.

Nous sommes également tributaires effectivement de facteurs exogènes, pour ce qui est de certains médicaments hospitaliers que j’ai évoqués précédemment.

Il arrive que des laboratoires qui ont pris des marchés avec la PCH ne répondent plus à leurs obligations. Du coup, la PCH se trouve dépourvue.

D’ailleurs, une des actions que nous menons depuis quelques semaines c’est d’abord de réunir l’ensemble des experts, chefs de service notamment en oncologie pédiatrique qui vivent ces problématiques.

Le but est de mettre en place un plan d’urgence pour répondre à ces besoins. Le nouveau dispositif permettra d’avoir une visibilité réelle et d’anticiper, et c’est là où est l’intérêt, toute éventuelle rupture qui puisse être préjudiciable à la santé publique.

TSA. Entre réduire la facture des importations, assurer la disponibilité des médicaments et la souveraineté sanitaire du pays, quelle est la priorité ?

Lotfi Benbahmed : Il n’y a pas d’arbitrage à faire entre la disponibilité et la baisse de la facture d’importation des médicaments. L’objectif est à la fois de réduire les importations et d’améliorer la disponibilité par la production nationale et une meilleure régulation.

Nous nous interdisons le fait de ne pas importer des produits essentiels dont ont besoin nos malades. Les économies se font par l’augmentation de la production nationale, par l’interdiction d’importer des produits fabriqués localement et l’importation uniquement des produits essentiels.

Mais aussi par la lutte contre les phénomènes de spéculation et surfacturation. Contre le fait également d’importer des matières premières et des produits finis qui périmaient, tout simplement pour pouvoir transférer de l’argent. À des prix très élevés pour certaines matières premières, soit jusqu’à 200 à 300 fois les prix d’opérateurs qui fabriquaient le même produit localement.

C’est par le développement de la production nationale et la rationalisation des importations en priorisant les médicaments essentiels, par la lutte contre les phénomènes de la spéculation et de la surfacturation que nous aboutirons à la baisse de la facture des importations de médicaments.

TSA. Depuis votre nomination au gouvernement comme ministre délégué puis comme ministre, vous avez fait de la régulation du marché du médicament votre cheval de bataille. Comment avez-vous trouvé ce marché et avez-vous réussi à le réguler ?

Lotfi Benbahmed : Nous étions dans une situation de non-gestion et de dépenses importantes consenties par l’État et par la Sécurité sociale. Ces situations nous conduisaient pourtant à des pénuries récurrentes et à une désorganisation totale du marché du médicament préjudiciable à l’économie nationale.

Un marché tellement extraverti que toute valeur ajoutée allait vers l’étranger. L’objectif de la création du ministère de l’Industrie pharmaceutique est à la fois de répondre à la disponibilité et à la qualité du médicament.

C’est ce que nous faisons par la maîtrise des prix, et par le renforcement des moyens de l’Agence nationale des produits pharmaceutiques pour assurer une meilleure qualité et davantage d’inspection. C’est ce que nous faisons aussi par la mise en place d’un observatoire sur  la disponibilité du médicament et la plateforme numérique pour monitorer le marché de la production et de l’importation en quasi-temps réel.

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