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ENTRETIEN. Pr Senhadji : « La vaccination en Algérie est un échec patent »

ENTRETIEN. Pr Senhadji : « La vaccination en Algérie est un échec patent »

Le président de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSS), le Pr Kamel Senhadji dresse un état des lieux de la situation sanitaire liée à la pandémie du Covid-19 en Algérie.

 Il s’exprime aussi sur le faible taux de vaccination et propose des pistes pour inciter la population à se vacciner.

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Avec la propagation du variant Omicron, le Pr Senhadji juge qu’il faut garder une vigilance tout en laissant les frontières ouvertes « mais de façon très bien contrôlée ».

On croyait la pandémie de Covid partie, aujourd’hui elle reprend. Au niveau des structures de santé on compte de plus de plus de malades surtout en réanimation. Quelle est votre lecture de la situation à l’heure actuelle ?

La pandémie de la Covid montre bien que la 4e vague est bien là. Les deux indicateurs essentiels existent : le taux de contaminations, qui est passé en moins d’un mois d’une moyenne de 70-80 cas par jour à près de 200. Le taux a plus que doublé.

Le second indicateur, le plus important, ce sont les répercussions sur le système de santé et l’on voit bien que les services de prise en charge des soins critiques commencent à être sollicités. On est probablement au tout début.

Un paramètre existe et aurait pu être une arme importante et essentielle pour contrer la gravité de cette vague, en l’occurrence la vaccination.

La survenue de variants a-t-elle un lien avec la faible vaccination ?

Tout à fait. Ça nous fait une crise sanitaire dans une autre crise sanitaire. Je ne souhaite pas que la confusion puisse persister : nous vivons une pandémie qui est dominée par le variant Delta à 99 % en ce qui concerne les contaminations actuelles en Algérie.

L’antidote c’est le vaccin, accompagné bien entendu des gestes barrières. Le faible taux de vaccination est un premier problème auquel il faut s’attaquer.

La vaccination permet de conférer une immunité intéressante pour les citoyens vaccinés, avec l’avantage qu’après les délais d’extinction des anticorps, entre 6 et 8 mois après la vaccination, nous avons un point intéressant qui permet d’éviter les décès. C’est un gros avantage.

L’immunité apportée par la vaccination pourrait également nous aider à nous projeter par rapport au mutant Omicron. Avec les vaccins actuels on pourrait tirer un avantage pour affronter probablement la vague qui sera engendrée par l’Omicron.

En se vaccinant avec les vaccins existants, on va produire les anticorps les plus intéressants comme la protéine Spike. Mais si celle-ci est modifiée et mute dans l’Omicron, il risque d’y avoir un problème.

Cependant, on aura aussi produit des anticorps contre les autres constituants du virus, les protéines M, E, HE… qu’on retrouve dans les autres variants. Par conséquent, quand l’Omicron va arriver, nous avons quand même une immunité de base constituée grâce aux anticorps autres que ceux de la Spike.

La personne vaccinée va se défendre au moins d’une manière basique pour éviter une aggravation de la maladie et cela se vérifie déjà sur le terrain. Les médecins en Afrique du Sud (où l’Omicron a été détecté, ndlr) affirment que le variant Omicron est beaucoup plus contagieux mais qu’ils n’ont observé aucun décès.

Cela veut dire que le variant Omicron va engendrer une immunité collective naturellement. Ces hypothèses sont basées sur l’observation, on doit donc raisonner en toute logique. Ce qui pourrait signifier que ce sera peut-être la fin de cette pandémie, puisque cette importante contagiosité de l’Omicron va immuniser toute la population mondiale sans l’exterminer.

L’Institut Pasteur d’Algérie a indiqué que l’Algérie n’a enregistré aucun cas du variant Omicron. Dispose-t-on des moyens de détecter et de séquencer ce nouveau variant ?

Il y a peut-être des moyens de base, mais ce n’est toujours pas suffisant. L’Agence nationale de sécurité sanitaire lance un appel aux laboratoires des universités et aux centres de recherche qui possèdent ces équipements de séquençage pour apporter leur concours.

C’est la seule façon pour avancer et d’être beaucoup plus efficace quant à l’identification et la détection exacte des prochaines contaminations…

Les laboratoires du secteur de l’Enseignement supérieur et de la recherche doivent s’atteler et mettre en place leurs équipements, en coordination avec le secteur de la Santé, afin de gagner du temps et pour avoir des outils de détection et de séquençage beaucoup plus efficaces.

Il y a de la réticence parmi la population par rapport au vaccin, y compris chez les personnels de la santé. Que propose l’ANSS pour inciter les Algériens à aller se faire vacciner ?

Il est clair que la vaccination en Algérie est un échec patent. La vaccination n’a pas atteint les espoirs de la stratégie vaccinale. Et c’est assez paradoxal quand on sait que lorsqu’il y avait un problème de disponibilité, on avait des demandes (pour les vaccins).

Aujourd’hui, malgré l’acquisition et la fabrication ici en Algérie des vaccins, avec un stock de 13 millions de doses, on ne trouve pas beaucoup d’engouement. Il y a lieu de se poser beaucoup de questions. Il y a lieu de mener une étude sociologique qu’il va falloir mener vite pour comprendre ce refus de la population à se vacciner.

Ce qu’il faut peut-être privilégier c’est la méthode pédagogique. C’est la meilleure. Mais ce travail pédagogique aura son effet en situation d’apaisement.

Il est par conséquent logique qu’on puisse réglementer parce qu’il y a urgence. Tout en préservant la liberté de se soigner ou pas, on peut agir de façon à imposer le pass sanitaire dans tous les lieux recevant du public. C’est la seule façon pour affronter cette pandémie, et si les chiffres augmentent encore, il est tout à fait normal que cette procédure doive être imposée. La liberté de ne pas se soigner ne doit pas signifier qu’on a le droit de contaminer autrui.

L’Algérie se retrouve avec 13 millions de doses qui risquent de se périmer…     

Figurez-vous que même ces 13 millions de doses ne sont pas suffisantes. En principe, elles doivent être administrées en quelques heures ou quelques jours.

Quand on sait que pour toucher la population ciblée il lui faudra 50 millions de doses, en sachant que la population cible a été réévaluée à 25 millions de personnes.

Avec l’arrivée du variant Delta, ce n’est plus 20 millions ciblés mais 36 millions d’Algériens qui sont éligibles à la vaccination. On a vacciné 11 millions de personnes. Il reste 25 millions de citoyens à vacciner pour lesquels il faut 50 millions de doses.

La disponibilité des vaccins ne devrait pas se poser dès lors que l’Algérie en fabrique. Qu’en dites-vous ? 

Effectivement. On est passé d’une situation très compliquée à une disponibilité de vaccins en quantités importantes par l’acquisition et aussi, c’est beaucoup plus important, grâce à la fabrication locale.

Le problème ne se pose plus dans les mêmes termes aujourd’hui par rapport à la situation d’avant. On est passé du néant à la profusion. Beaucoup de pays d’Afrique n’ont pas cette chance que nous devons saisir pour vacciner complètement la population algérienne.

Et aussi distribuer des vaccins au reste des pays voisins. S’il reste encore des pays qui ne sont pas vaccinés, il y aura un effet boomerang. L’immunité collective est une illusion si on ne vaccine pas toute la planète.

Faudrait-il, selon vous, durcir les contrôles sanitaires aux frontières. Faut-il fermer les frontières avec les pays touchés par le nouveau variant ? 

La fermeture des frontières est une décision politique. Il est certain qu’on ne peut pas le faire d’emblée, mais il est par contre très important de garder l’œil rivé sur les contrôles des (arrivants) en provenance des pays où l’Omicron sévit.

Il faut garder une vigilance tout en laissant les frontières ouvertes mais de façon très bien contrôlée.  S’il le faut imposer des contraintes s’il y a des cas suspects, comme des confinements ponctuels par rapport à certaines provenances. Ce n’est pas de la discrimination. Ce sont des mesures de bon sens et d’intérêt sanitaire et collectif tout simplement.

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