Économie

Gestion des grands projets : les trois tares de l’Algérie

La grande mosquée d’Alger, l’autoroute des gorges de la Chiffa, les pénétrantes autoroutières de Bejaia et Jijel, les stades de football de Baraki et Douera, l’autoroute Est-Ouest, les chemins de fer, les LPP… Ces grands projets d’infrastructures, entièrement financés sur le budget de l’État, ont trois points en commun : délais de réalisation non respectés, surcoûts et malfaçons.

Par exemple, l’autoroute Est-Ouest, qui a été lancée en 2006, pour un délai de réalisation de 40 mois, est toujours en chantier. Même constat pour la Grande mosquée d’Alger dont les travaux ont commencé en 2012 pour un délai de 42 mois, soit trois ans et demi. La réalisation de l’autoroute entre Chiffa et Berrouaghia n’est pas encore achevée, alors que le projet, lancé en 2013, devait être livré cette année.

Des ministres omniprésents

Pourtant, le gouvernement a tout déployé pour la réussite de ces projets : la disponibilité des fonds, de grandes entreprises étrangères pour la réalisation et un suivi assuré par des ministres, qui se rendent régulièrement sur les chantiers, donnent des instructions, poussent des coups de gueule contre les responsables, promettent de livrer les projets dans les délais, jurent qu’ils n’accepteraient pas de surcoûts. En réalité, les sanctions contre les entreprises retardataires sont rares, sinon inexistantes.

Les pénalités de retard, pourtant prévues dans chaque contrat, ne sont pas appliquées, les malfaçons acceptées et le gouvernement finit toujours par sortir le chéquier pour payer les factures des surcoûts, présentées par les entreprises. Résultat : non seulement, les projets ne sont pas réalisés dans les délais, mais aussi, ils reviennent beaucoup plus chers.

La non maîtrise des coûts et des délais constitue donc la principale tare de l’administration algérienne dans la conduite des grands projets d’infrastructures, auxquelles les autorités doivent s’attaquer, sans délai.

Ce manque de maîtrise est le résultat de trois grands défauts qui collent à la peau de l’administration. Le premier est la rédaction du cahier des charges pour l’appel d’offres et du contrat avec l’entreprise qui a été sélectionnée pour la réalisation du projet. Les études d’avant-projet sommaire (APS) et d’avant-projet détaillé (APD) sont souvent bâclées. C’est connu, les autorités algériennes n’accordent pas beaucoup d’importance à la maturation des projets. Pour des raisons politiques, ces derniers sont lancés dans la précipitation.

Souvent, le cahier des charges est incomplet, ce qui profite aux grandes entreprises étrangères. Ces dernières « sont dotées de services juridiques qui exploitent la moindre faille dans le cahier des charges et le contrat », explique le patron d’une entreprise de BTP. Nos administrations en charge des projets ne sont pas outillées en ressources humaines pour traiter avec de grands groupes internationaux. La faiblesse des études mène à des rectifications conséquentes lors de la réalisation des travaux, ce qui conduit inévitablement à des surcoûts importants.

Parfois, ce sont des ministres qui demandent des travaux supplémentaires et ordonnent des modifications lors des visites sur le terrain, oubliant parfois, que tout a un prix. Bien sûr, les groupes étrangers raffolent de ce genre de comportements qui leur permettent d’alourdir la facture de la réalisation.

L’éternel problème des expropriations

Le deuxième facteur est lié au dégagement de l’assiette de terrain destinée à accueillir le projet. L’administration ne profite pas des expériences passées pour apporter les corrections nécessaires. Au contraire : ses agents tombent refont les mêmes erreurs et se retrouvent toujours face aux mêmes problèmes. Les projets sont lancés avant même la fin des opérations d’expropriation des propriétaires terriens, ce qui est à l’origine des retards et des surcoûts.

Pendant la période de négociation avec les propriétaires, l’entreprise de réalisation facture la mobilisation des engins par exemple. Elle facture aussi la présence de son personnel, qui se retrouve au chômage technique, par la faute de l’administration. Il faut savoir que sur un chantier, tout a un prix. La méthode appliquée aux entreprises locales, qui subissent et connaissent les tares de l’administration, n’est pas valable avec de grands groupes internationaux.

Le troisième facteur à l’origine des retards et surcoûts qui caractérisent les chantiers de BTP en Algérie est le suivi de la réalisation de ces projets. Au début des années 2000, l’administration algérienne, qui gérait auparavant de petits projets de quelques centaines de millions de dollars, s’est retrouvée du jour au lendemain, en charge de grands projets qui valent des milliards de dollars.

En dépit du recrutement de grands bureaux étrangers pour le suivi des travaux, ces derniers se retrouvent confrontés à des injonctions politiques pour éviter de contrôler sévèrement l’entreprise de réalisation.

De grands projets comme l’autoroute Est-Ouest ou la grande mosquée d’Alger sont gérés par des politiques, au détriment des techniciens, qui se retrouvent marginalisés, sans prérogatives réelles, pour faire respecter les termes du contrat.

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