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La France assume désormais son désir d’extrême droite

La France assume désormais son désir d’extrême droite

La France vient de vivre une élection présidentielle tourmentée. Jusqu’à la dernière minute beaucoup de Français ont retenu leur souffle, craignant de voir Marine Le Pen accéder au pouvoir.

L’envie de faire barrage à l’extrême droite était aussi forte que la déception de voter pour Emmanuel Macron, qui n’a pas convaincu ces cinq dernières années. Réussite ou total échec, comment peut-on réellement qualifier le scrutin présidentiel ?

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« Grande victoire, grands défis », titrait ce lundi matin le quotidien Le Figaro pour saluer la victoire d’Emmanuel Macron face à Marine Le Pen. Le journal est bien seul à désigner la réélection du président français de « grande victoire », ailleurs, la presse française est plus amère.

Impossible d’ignorer la barre historique des 40% franchie par l’extrême droite. C’est sans doute ce chiffre qui résume cette élection française. L’extrême droite a été fortement désirée et désormais la France semble être arrivée au point de non-retour, cette tendance politique est clairement assumée. Marine Le Pen progresse. Que ces résultats incarnent un vote sanction ou une vraie croyance dans les valeurs d’extrême droite, peu importe, c’est un fait.

Marine le Pen légitime l’héritage de Jean-Marie Le Pen

Le résultat de cette élection est d’autant plus symbolique, parce qu’il arrive 20 ans après la qualification de Jean-Marie Le Pen au deuxième de la présidentielle de 2002.

Il s’agissait d’un moment historique, puisque c’était la première fois que l’extrême droite gagnait autant de voix. A l’époque, Jean-Marie Le Pen affrontait Jacques Chirac, le président sortant. La France avait utilisé un vote sanction pour punir le président français.

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Cet événement avait été bien mal perçu à l’époque. Les appels à faire barrage étaient plus insistants, toute la France s’était mobilisée à travers des manifestations et des débats. Il était impossible, voire honteux, de laisser l’extrême droite arriver au pouvoir, étant donné le passé de la France.

Jean-Marie Le Pen avait finalement perdu face à Jacques Chirac, ne remportant que 17,79% des suffrages. Lors de l’élection de 2007, il était même en recul, ne parvenant pas à se qualifier au second tour.

Aujourd’hui la situation est bien différente. Sa fille, Marine Le Pen parvient à chaque scrutin à gagner davantage de voix. Plus de 13 millions de Français ont voté pour elle lors de ce second tour qui a eu lieu le 24 avril. Lors de sa dernière participation au scrutin présidentiel (2017), Marine Le Pen avait obtenu le vote de 7.678.491 personnes, la candidate a donc quasiment doublé son électorat. En France, on assume haut et fort de voter pour Marine Le Pen.

La candidate du Rassemblement National a conservé l’électorat de son père mais elle est aussi parvenue à en gagner un, bien plus diversifié. Bien qu’elle ait tout fait pour se détacher de l’image plus radicale de son père, elle a tout de même recyclé le Front National et gardé la base de sa politique.

L’oubli du passé sulfureux du Front National et de Jean-Marie Le Pen

Marine Le Pen a gagné ses voix grâce à la déception d’une partie de l’électorat qui a longtemps cru en Emmanuel Macron. Mais aussi par une communication renforcée.

La candidate a adouci l’image de l’extrême-droite en changeant le nom de son parti politique en faisant parfois preuve de diplomatie que son père n’avait pas.

Elle s’est même adaptée aux nouveaux moyens de communication, en partageant des bribes de sa vie privée sur les réseaux sociaux, en soignant son physique, ses tenues. Le désir de se différencier de son père a été constant chez la candidate. A un tel point qu’elle est passée pour une candidate modérée face à un Eric Zemmour, plus extrémiste.

Pourtant peut-on réellement détacher Marine Le Pen de son père ? Tous deux ont plus ou moins pacifié leurs relations, ils se fréquentent à nouveau. Au moment des résultats du second tour, Jean-Marie Le Pen a confié à l’Express à propos de la défaite de sa fille : « Elle sait ce que je pense, que mon cœur bat pour elle et pour tous les militants ».

Impossible d’oublier l’ombre du patriarche Le Pen. Tout comme ses déclarations xénophobes. Il faut rappeler que Jean-Marie Le Pen c’est l’homme qui a justifié la torture en Algérie, lors de la guerre d’Indépendance. S’il a toujours démenti avoir pratiqué la torture, il a affirmé qu’il l’aurait  « sans doute » appliqué en Algérie, si on le lui avait demandé. Un geste qu’il aurait eu par « devoir » envers la France.

Jean-Marie Le Pen c’est aussi un homme politique, un ancien élu de la République Française qui a renié les chambres à gaz durant l’holocauste, estimant qu’il s’agissait d’un « détail de l’histoire de la Seconde guerre mondiale ».

Sa défense de « l’inégalité des races », « une évidence », pour Jean-Marie Le Pen. Ou encore ses mots sur les footballeurs d’origine étrangère qui ne représentent pas la France. Bref, c’est cet homme qui a élevé Marine Le Pen et qui l’a formée en politique.

Si le Front National a changé de forme en devenant le Rassemblement National, il y a un socle commun : cibler les étrangers notamment ceux d’origine algérienne comme racine du mal français.

(vidéo : Jean-Marie Le Pen : 30 ans de dérapages en vidéo)

Les électeurs français semblent désormais s’en accommoder. La haine entretenue par la famille Le Pen, les atteintes à la dignité, à l’histoire et à la mémoire de vies humaines sacrifiées dans des guerres indicibles, sont soit ignorées soit assumées par le large électorat de Marine Le Pen. Qui rappelons-le est désormais composé de 13 millions de Français.

Les Français vont-ils asseoir le pouvoir de l’extrême droite durant les législatives ?

Le prochain rendez-vous électoral est donc très attendu. Les élections législatives qui arrivent en juin seront une nouvelle échéance qui confirmera ou infirmera le poids de l’extrême-droite en France.

Si la volonté de punir Emmanuel Macron est trop forte, est-ce que le pouvoir législatif, seul véritable contre-pouvoir à l’exécutif présidentiel pourrait voir une vague Marine déferler ?

Eric Zemmour s’est allié au Rassemblement National lors du premier tour, les législatives pourraient donc devenir la nouvelle conquête de l’extrême droite. Ce dernier a appelé à faire un bloc national contre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon aux prochaines élections. 

Les premiers sondages sur les législatives prouvent qu’Emmanuel Macron est bien loin d’obtenir une majorité à l’Assemblée Nationale. Un récent sondage Opinionway effectué pour Cnews, révèle que 63% des Français souhaitent voir une cohabitation politique. Mais avec qui ?

Quelle position va adopter Emmanuel Macron ?

Il serait dangereux de fermer les yeux sur les derniers résultats électoraux de l’extrême droite. Outre les 13 millions d’électeurs de Marine Le Pen, il ne faut pas oublier les 7% obtenus par le très radical Eric Zemmour au premier tour de la présidentielle. Il faut aussi prendre garde aux 28% d’électeurs qui ont voté blanc ou se sont abstenus.

Que va faire Emmanuel Macron de ce constat ? Président mal élu, quelle stratégie préférera-t-il emprunter ? Celle qui lui ramènera l’électorat d’extrême droite, ou celle qui lui permettra de récupérer les électeurs déçus de la gauche et de la droite ?

Le plus dur commence pour le président réélu Emmanuel Macron. Menacé par les législatives, sa seule chance pour remporter le soutien nécessaire à l’Assemblée Nationale sera de négocier et de s’allier en politique. Son parti La République En Marche ne convainc plus. Il devra sans doute taper à la porte de la gauche mais aussi celle de la droite, s’il veut une majorité conciliante avec sa politique.

Bien moins soutenu qu’en 2017, Emmanuel Macron va donc se retrouver en position de faiblesse dans les négociations politiques.

Le président de la République a aussi arraché de justesse sa réélection dans l’un des pires contextes internationaux. Bien qu’il soit resté distant, il devra prendre en compte la menace conflit russo-ukrainien sur le continent européen. Ni pro-russe, ni pro-ukrainien, Emmanuel Macron a été sans retoqué pour son manque d’audace. Ses décisions sur ce plan auront quoi qu’il arrive des conséquences sur la vie économique et sociale de son pays.

Sans oublier qu’Emmanuel Macron va également poursuivre sa présidence annuelle de l’Union européenne, entamée début 2022. Là c’est la question de l’immigration qui est majeure. Celui qui se fait le chantre de la réduction drastique de l’immigration extra-européenne, ne peut défendre deux positions différentes. La logique voudrait qu’il maintienne sa politique de durcissement vis-à-vis de l’accueil des étrangers.

Enfin la position vis-à-vis de l’Islam est aussi primordiale. Ses gouvernements ont eu à cœur de réduire la visibilité des musulmans en France durant son premier mandat.

Emmanuel Macron devrait aligner son discours sur sa campagne pour les législatives. Là encore, le président français ne pourra jouer la neutralité. Il a fait de l’Islam un sujet politique clivant, il devra en assumer les conséquences.

La question de l’Islam pourrait influencer le choix des listes de candidats pour les législatives. Va-t-il tirer un trait définitif sur l’électorat issu de l’immigration et de confession musulmane ? Ou va-t-il poursuivre son acharnement ?

La course électorale est loin d’être terminée et le bref soulagement de ne pas voir l’extrême droite au pouvoir ne va pas durer. Les prochaines semaines donneront certainement la tendance du nouveau mandat d’Emmanuel Macron. Le président qui s’était présenté en 2017, sans couleur politique, sera obligé de s’affilier à un courant, qu’il le veuille ou non.

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