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Le film « Nous n’étions pas des héros » dévoile les tortures du camp « Morand »

Le film « Nous n’étions pas des héros » dévoile les tortures du camp « Morand »

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«Nous n’étions pas des héros », le premier long métrage de Nasreddine Guenifi projeté en avant-première ce mardi 24 octobre à la salle Ibn Zeydoun, à l’office Riad El Feth à Alger, évoque les mois d’internement d’un groupe de nationalistes algériens au camp de Morand ou Boughari, dans la région de Médéa, entre février 1961 et juin 1962.

Le cinéaste s’est appuyé sur « Le camp », un récit de Abdelhamid Benzine, journaliste et militant communiste, qui a été transféré, avec 60 autres prisonniers, de la prison de Lambèse vers ce camp « spécial ». Le réalisateur a récolté quelques témoignages pour restituer l’histoire de ce camp où des militaires de la légion étrangères, dont d’anciens soldats nazis, étaient chargés de la mission psychologique de « retourner » des militants et combattants de l’ALN pour leur faire admettre l’idée de « l’Algérie française ».

Tout le film, qui s’étale sur 115 minutes, se déroule dans ce camp en une sorte de huis clos ouvert. Benzine et son groupe sont soumis à toutes formes de maltraitance et de tortures. « À Boghari, nous étions insultés, écrasés, humiliés. Rien ne manqua, pas même la folie, pas même l’assassinat. L’homme valait moins qu’un chien », avait écrit Benzine dans « Le camp ». Le journaliste écrivait sous la couverture à la lumière de la bougie de peur d’être découvert par les légionnaires.

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Des soldats nazis dans le camp

Fier d’être un ancien nazi, un sous-officier prend un malin plaisir à dire qu’il n’aime pas les arabes, les juifs et les communistes. Mais pourquoi la France coloniale a-t-elle fait appel à d’anciens soldats nazis alors que les fidèles d’Hitler devaient être jugés après la fin de la guerre mondiale en 1945 ? Le capitaine Samary, un pied noir, ne cache pas sa haine. Il laisse ses subordonnés faire ce qu’ils veulent des internés en les humiliant. L’un d’entre eux a demandé à un interné de lui lécher ses bottes. Benzine rappelle à l’officier et ses lieutenants que les conventions de Genève sur notamment les prisonniers de guerre devaient être respectées dans ce camp militaire. Aucune réponse.

Affaiblis par les travaux forcés, le froid et le manque de nourriture, les internés résistent comme ils le peuvent face à des légionnaires ne reculant devant rien. Ils recourent à « la corvée de bois » au mépris du règlement militaire. Maâmar Senouci, co-détenu, est assassiné dans ces conditions. Nasreddine Guenifi n’a malheureusement pas filmé cette séquence pourtant importante dans le long-métrage. Demander à un prisonnier de fuir et lui tirer dans le dos, ou corvée de bois, est une exécution sommaire pratiquée par les soldats français surtout contre les civils dans plusieurs régions d’Algérie durant la Guerre de libération nationale. Le cinéma algérien continue d’ignorer cette thématique malgré son caractère évocateur des mœurs coloniales.

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Plusieurs actes de tortures

« Benzine a décrit plusieurs actes de torture mais je n’ai pas tout montré, sinon le film aurait été interdit. J’ai repris presque 90% de la matière du film à partir du livre de Benzine mais ce n’est pas une adaptation fidèle du récit. Il y a beaucoup de choses que Benzine n’a pas écrit et que j’ai complété en prenant le témoignage d’autres internés », a souligné Nasreddine Guenifi. Les conditions d’internement ne s’améliorent pour Benzine et son groupe qu’après le départ des légionnaires sur décision d’un général français.

Le film semble suggérer que le calvaire des internés n’était lié qu’à la présence de la légion étrangère surtout que l’arrivée des soldats du contingent est présentée presque comme « une chance ». « La vérité est que la grande violence s’est arrêtée avec le départ de la légion étrangère. Il y a eu un allègement des conditions d’internement. Des lettres sortaient clandestinement et alertaient l’opinion internationale, notamment en France, sur la vie dans le camp. Le livre de Benzine a donné plus de détails qu’une simple lettre », a relevé le réalisateur.

Nasreddine Guenifi, ancien militant du PAGS, a cassé l’image classique qui colle aux longs-métrages liés à la Guerre de libération nationale avec la « héroïsation » excessive et « la sacralisation » étouffante des protagonistes (comme dans « Lotfi » ou de « Krim Belkacem » d’Ahmed Rachedi). D’où le choix du titre, « Nous n’étions pas des héros ». L’héroïsme est collectif dans un camp d’internement militaire alors que la lâcheté est individuelle, représentée par un Algérien chargé d’informer les officiers français sur tous les faits et gestes des autres internés. Le cinéaste n’a pas suffisamment présenté Abdelhamid Benzine, qui s’est engagé dans le mouvement national dès les années 1940 avant de rejoindre l’ALN au milieu des années 1950, de peur d’en faire « l’unique héros » du camp de Morand.

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Le caractère des personnages peu exploré

La mise en avant du « collectif » a fait oublier la nécessité de mieux traiter le caractère des personnages qui apparaissent parfois comme des fantômes autour de Benzine, modestement interprété par Ahmed Rezzak. Benzine est le narrateur. L’histoire se déroule à partir de son point de vue. Comme Benzine n’a pas tout vu et entendu, le cinéaste a ajouté des éléments fictionnels pour appuyer l’histoire.

Réalisé à la faveur de la célébration du 50e anniversaire de l’indépendance, le film a été produit par l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC). La postproduction a été -pour la première fois- entièrement réalisée en Algérie dans les studios-laboratoires du cinéaste et producteur Belkacem Hadjadj à Alger.

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