Société

Le Pr. Tliba alerte sur l’ampleur des tumeurs cérébrales en Algérie

Le Pr. Souhil Tliba est chef de service neurochirurgie au CHU Frantz-Fanon de Blida. Dans cet entretien, cet éminent chirurgien alerte sur la fréquence des tumeurs cérébrales en Algérie. Le spécialiste esquisse quelques pistes pouvant expliquer ce phénomène.

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TSA. Parlez-nous de votre activité au niveau de votre service de neurochirurgie du CHU de Blida ?

Pr. Tliba : C’est un département de neurochirurgie qui est géré par une équipe de 33 médecins (professeurs, maîtres de conférences, maîtres assistants, assistants, résidents et médecins généralistes) et de 138 personnel soignant non médecins (paramédicaux, agents de service).

Le département est doté de quatre salles opératoires spécifiques et une salle commune aux urgences médico-chirurgicales.

Notre département tente de répondre aux besoins des malades avec une forte activité neurochirurgicale. Comme il s’agit d’une structure hospitalo-universitaire, notre département qui assure à la base une activité de soin, a entre autres des activités de formation et de recherche.

Soit une recherche académique dans le cadre de la progression universitaire pour soutenir des thèses de doctorat, ou bien de la recherche sectorielle sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur ou de projets de recherche intersectoriel qui impliquent le ministère de la santé.

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L’activité pédagogique est assurée pour la formation graduée des étudiants en médecine qui font leur stage, et les résidents de neurochirurgie dans le cadre d’une formation post-graduée pour devenir des spécialistes.

Concernant les soins, notre service assure les soins de neurochirurgie aussi bien que les soins d’urgence. Nous avons une activité de garde très intense. Cette dernière est structurée puisque chaque jour une équipe, composée d’un spécialiste avec deux résidents, couvre les 24 h aux urgences médico-chirurgicales du CHU. Durant ses gardes, les équipes opèrent en moyenne 3 à 5 malades par jour.

TSA. D’où viennent les malades que vous traitez dans votre département au CHU de Blida ?

Pr. Tliba : Comme Blida est un passage sur l’axe autoroutier est-ouest entre Alger et Oran, il y a beaucoup d’accidents de la voie publique.

Il y a aussi d’autres urgences pendant l’été, comme les accidents de motos, les accidents de plongeons sur le littoral, les rixes, les tentatives de suicide ….

Il y a aussi les accidents domestiques comme lorsque des enfants tombent des toits des maisons, chose rare sous d’autres cieux…

TSA. Concernant les accidents de la route, dans quel état recevez-vous les malades ?

Pr. Tliba : C’est très variable. Il y a des malades qui arrivent dans un état de mort apparente, il n’y a pas grand-chose à faire. C’est une minorité. On opère surtout les hémorragies cérébrales (les hématomes), certaines fractures du crâne et de la colonne vertébrale.

L’avantage c’est que l’activité de garde est structurée : à tout moment, le bloc est ouvert pour la prise en charge du malade. Après, il y a d’autres paramètres qui nous échappent : la distance, les conditions de ramassage et d’évacuation et la gravité de l’accident.

Par contre, on a sauvé énormément de malades. Nous en effectuons plus d’une cinquantaine de consultations d’urgence.

Il y a d’autres activités d’urgences neurochirurgicales comme les tumeurs cérébrales qui peuvent s’aggraver à tout moment et les compressions médullaires tumorales ou infectieuses.

Nous avons cumulé pendant les deux années de Covid une liste d’attente très importante que nous essayons d’éponger en doublant d’effort. Nous avons beaucoup de malades qui n’ont pas été opérés, nous essayons d’en opérer le maximum.

D’ailleurs, nous opérons une à deux tumeurs cérébrales par jour. Parfois on en programme deux par jour. C’est énorme pour un service, pour un bloc opératoire et un service de réanimation d’avoir deux tumeurs à opérer par jour.

Des interventions qui durent entre 6 et 8 heures. C’est épuisant pour les équipes et cela demande beaucoup de moyens, parce qu’on est en surutilisation de nos équipements.

Ces derniers comme le microscope opératoire, la colonne de neuro-endoscopie, la neuronavigation, les moteurs de craniectomie, l’aspiration ultrasonique, les respirateurs…. Demandent une maintenance spécifique, spécialisée très coûteuse.

Nous sommes aussi l’un des rares centres qui font de la chirurgie vasculaire-cérébrale (anévrismes cérébraux, malformations vasculaires). Par contre, la demande est plus importante que les prestations de soin d’où l’orientation de beaucoup de malades vers l’étranger.

Je rappelle que la prise en charge de cette affection (neuro-vasculaire) est partagée entre les neurochirurgiens et les neuro-radiologues interventionnistes.

En effet, il demeure urgent de mettre en place des centres de neuro-vasculaire. Ce modèle est initié au CHU de Blida avec la participation des quatre spécialités :  la neurochirurgie, la radiologie interventionnelle, la neurologie et la réanimation médicale.

Notre objectif est d’abord de maintenir puis de renforcer cette activité par des équipements pour les soins et d’autres pour la formation.

TSA. Vous dites que les tumeurs cérébrales sont fréquentes en Algérie, à quoi sont-elles dues ?

Le sujet est très compliqué. Il y a plusieurs hypothèses dont certaines sont confirmées comme la prédisposition génétique, l’implication de certains virus, les antécédents de traumatismes crâniens …

Il faut aussi signaler deux autres éléments qui influent sur l’incidence des tumeurs cérébrales : l’accès aux moyens de diagnostic (la radiologie) et le prolongement de la survie des cancers d’où l’accroissement du nombre des métastases cérébrales.

Aujourd’hui, les articles scientifiques évoquent certaines hypothèses mais aucune force de certitude. Certains parlent d’onde électromagnétique comme la surutilisation des téléphones portables surtout chez les enfants car le crâne est encore fin et fragile et la chaleur se transmet plus facilement au cerveau.

Sur une cohorte de 600 malades atteints de tumeurs cérébrales, on a fait une étude épidémiologique comparée aux autres études réalisées en Afrique du nord et celles que l’OMS a publiées en Europe et dans le monde en général.

Il y a quelques caractéristiques qui sont réellement inquiétantes. La moyenne d’âge en Algérie des malades atteints de tumeurs cérébrales est de 47 ans.

Alors que dans le monde cette moyenne d’âge est de 58 ans. Chez nous, la tumeur cérébrale touche plus la population jeune par rapport à la moyenne mondiale. C’est le premier paramètre inquiétant. Ceci n’est pas en rapport avec la pyramide des âges.

Deuxième élément, c’est la mortalité à cause des tumeurs cérébrales.

Dans le monde, les tumeurs cérébrales sont classées en 12e position en termes de mortalité tumorale, alors que chez nous cette maladie vient à la 6e position.

En matière de fréquence, ce type de cancer occupe la 18e place dans le monde, selon les chiffres de l’OMS. En Algérie, la tumeur cérébrale occupe la 9e place. Maintenant il faudrait qu’on cherche des hypothèses. Je peux vous en donner quelques-unes…

TSA. Allez-y…

Pr. Tliba : Je voudrais plutôt aborder l’hypothèse des produits phytosanitaires comme les pesticides. On a fait un travail qui a été publié avec les collaborateurs et les collègues chercheurs de l’université de Bejaia.

On a parlé d’une prédisposition mais l’hypothèse qui se rapproche peut-être de la réalité c’est l’utilisation des pesticides et les insecticides dans l’agriculture et ce d’une manière quelque peu anarchique.

C’est réglementé mais est-ce qu’il y a un suivi de terrain pour leur utilisation ? Est-ce que les utilisateurs (agriculteurs et consommateurs) respectent les règles de prévention ? On parle à titre d’exemple du DAR (le délai avant récolte). Sommes-nous sûrs que ce délai est respecté ?

On a fait un travail de laboratoire sur des souris et nous avons constaté qu’il y avait une causalité entre les pesticides et le développement d’une tumeur cérébrale. C’est une étude algérienne.

TSA. Les enfants sont-ils touchés par cette maladie ?

Pr. Tliba : Le travail a été publié, nous avons fait des communications, des conférences et nous avons parlé de tout cela. Encore une fois, c’est une hypothèse à prouver de manière un peu plus approfondie.

On ne peut pas interdire ces produits (pesticides), parce que c’est une nécessité ; par contre, on sait que c’est réglementé mais il faudrait que l’utilisation soit bien suivie et surtout contrôlée dans les laboratoires.

Les tumeurs cérébrales sont de plus en plus fréquentes en Algérie. Ce que nous avons constaté c’est qu’il y a beaucoup d’enfants qui sont atteints. Ils naissent avec des tumeurs cérébrales. C’est inquiétant. Encore une fois, on est dans le constat.

Il y a les tumeurs cérébrales, les malformations. D’ailleurs, nous sommes en train de faire un travail sur le Covid et les malformations. Ces derniers temps, nous avons constaté qu’il y a des nouveau-nés avec des malformations du système nerveux.

Ce sont des mamans qui ont été infectées par le Covid pendant la grossesse. Est-ce qu’il y a une causalité ? On sait que le virus perturbe le mécanisme de développement du fœtus. Est-ce que le virus a attaqué le fœtus et provoqué des mutations ?

Il y a en outre de plus en plus de problèmes de la colonne vertébrale chez les jeunes et les enfants. Il y a de plus en plus de scolioses, de hernies discales…en relation avec la sédentarité et le mode de vie, le manque d’activité physique, etc.

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