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Les Algériens vont-ils manger de la viande locale ou étrangère durant le Ramadan 2024 ?

Les Algériens vont-ils manger de la viande locale ou étrangère durant le Ramadan 2024 ?

Pour le Ramadan 2024 qui commence début mars prochain, les Algériens vont-ils manger de la viande de bœuf locale ou d’origine brésilienne, irlandaise ou autre ?

À trois mois du mois sacré chez les musulmans, les professionnels se posent la question. C’est même un cri d’alarme que lance Miloud Bouadis, le patron du Conseil professionnel commun de la filière viande rouge. Ses étables sont vides.

Avec l’arrivée des premiers bateaux, les étals des bouchers algériens commencent à se remplir de viande brésilienne. Outre la viande du Brésil, des importateurs algériens prospectent le marché irlandais. Quant aux consommateurs, ils retrouvent le sourire. En plusieurs endroits les prix sont redescendus vers les 1.200 DA le kg, contre plus de 2.500 dinars il y a quelques jours.

Mais les professionnels de la filière font triste mine. Leurs préoccupations sont autres. Leurs ateliers d’embouche sont désespérément vides. La cause ? L’arrêt des importations de broutards, ces jeunes veaux habituellement engraissés par des agriculteurs spécialisés.

Quand Miloud Bouadis aborde le sujet, c’est avec une colère contenue qu’il s’exprime. Ses propos ont d’autant plus de poids qu’il parle au nom des éleveurs engraisseurs d’Algérie.

C’est au milieu de ses étables vides qu’il a reçu Ennahar TV et qu’il tire la sonnette d’alarme. Sous d’immenses hangars, ses installations sont modernes. Les auges, abreuvoirs et cornadis témoignent du professionnalisme de l’agriculteur.

Il ne décolère pas : « Cette année, c’est particulier, car auparavant les étables étaient remplies. D’habitude nous nous préparons au Ramadan en anticipant le démarrage de l’engraissement de jeunes veaux pour qu’ils soient prêts à cette date-là et que la viande soit disponible ».

Triste, il poursuit : « Mais cette année, nous n’avons rien fait. Vous pouvez le constater, les étables sont vides ». Puis il accuse : « On ne nous a pas permis de ramener des veaux à engraisser. Aujourd’hui, tout est à l’arrêt. Toute la filière des engraisseurs est concernée. Aucun engraisseur n’a acheté de veaux ». Il poursuit : « Nous le déclarons officiellement : il n’y aura pas de veaux engraissés pour le Ramadan ». Il explique le pourquoi : « Il reste 3 mois avant le Ramadan, or pour engraisser un veau il faut 5 à 6 mois. C’est trop tard. Que voulez-vous que l’on fasse ? ».

Il imagine les conséquences : « Il sera donc importé des veaux déjà engraissés, ce qui signifie qu’on abandonne la filière locale. Les producteurs locaux devront donc se reconvertir dans une autre activité ».

Plusieurs causes expliquent l’absence d’importations de jeunes veaux. Selon Miloud Bouadis, une taxe de 30 % à l’importation de bovins sur pieds reste encore imposée aux importateurs algériens.

À cela il y a lieu de tenir compte de la maladie hémorragique épizootique MHE qui sévit en France, en Italie et en Espagne. Par précaution, les services vétérinaires algériens ont mis un véto à toute importation de bovins sur pieds depuis la France. Le 4 décembre, un communiqué du ministère français de l’Agriculture a annoncé que 3.556 foyers ont été détectés. Malgré l’absence de vaccins, le communiqué a ajouté : « Les soins mis en œuvre permettent dans la quasi-totalité des cas une guérison des animaux malades en quelques jours ».

Viandes : la filiale algérienne en danger

Pour Miloud Bouadis, l’avenir de la filière algérienne passe par la prise en considération de l’amont et de l’aval. Concernant la hausse du prix des aliments du bétail, il prône sa production par les éleveurs locaux.

« On ne doit dépendre de personne », a-t-il lancé. À propos de l’achat à l’étranger des broutards, il souhaite que « ce soit nous qui choisissons et achetions les races d’animaux qui conviennent le mieux à l’engraissement ». Il explique : « Il y a des races de bovins qui même au bout de 8 mois ne prennent pas de poids alors qu’il y en a d’autres qui au bout de 4 mois sont engraissés ».

Puis, il assène : « Nous, on connaît notre travail. Il y a des professionnels qui ont 20 ans d’expérience. On souhaite que les véritables professionnels soient pris en considération ».

En Algérie, l’importation de broutards fait intervenir une multitude d’opérateurs. Il y a d’abord les armateurs détenant les bateaux spécialisés dans le transport des animaux depuis le port français de Sète jusqu’aux ports algériens.

Il y a ensuite les importateurs qui, ces dernières années, ont bénéficié de quotas de l’ordre de 5.000 tonnes exonérés de droits de douanes. Viennent ensuite les propriétaires de lazarets. Il s’agit de parcs où une fois débarqués, les animaux sont mis en quarantaine afin que les services vétérinaires s’assurent qu’ils soient indemnes de maladies. Enfin interviennent les transporteurs pour acheminer les animaux jusqu’aux exploitations parfois situées à 300 km des ports.

Ces dernières années, les importations algériennes de broutards se sont faites à partir de la France ou de l’Espagne. En 2014, un professionnel français faisait remarquer dans une revue française que les Espagnols « achètent des veaux croisés de huit jours dans les pays de l’Est (Roumanie, Autriche, Pologne, Tchéquie) ou en Irlande et en Ecosse, qui arrivent en Espagne à 100 euros la pièce. Ils les élèvent jusqu’à 480 kg, puis les expédient vers l’Algérie ».

Quant à la Turquie, elle préfère importer des broutards polonais, hongrois ou autres qui sont moins chers que ceux venant de France.

En 2014, dans la même revue, un éleveur algérien témoignait : « Nous achetons des broutards charolais de 450 à 480 kg, de préférence quand ils sont détaxés ». Des animaux qui arrivaient au prix de 1.600 € sur le port d’Alger puis rendus au niveau des exploitations au prix de 2.300 € pour être revendus après engraissement autour de 2.600 € au poids de 650 à 700 kg selon l’éleveur.

Comme le souhaite Miloud Bouadis, les professionnels devraient produire leurs propres fourrages et arriver à une autonomie fourragère. Mais cela reste un vœu pieux.

L’engraissement nécessite des rations riches en énergie et en protéines pour assurer un poids et un état de finition des animaux suffisants. Mais l’utilisation d’aliments concentrés revient chère.

Pour les plus petits éleveurs, la superficie de leur exploitation est insuffisante pour espérer une autonomie fourragère. Quant aux grandes exploitations, s’il leur est possible de produire de l’avoine, luzerne et maïs ensilage, il est difficile de trouver une alternative au tourteau de soja.

Pour que l’opération soit rentable, l’animal doit grossir en moyenne d’un kilo par jour en consommant du foin et surtout de l’orge, du maïs, du son et du tourteau de soja ; le tout à raison de 12 kg. Il peut arriver que des éleveurs perdent 100 à 150 € par animal.

Dès le milieu des années 1970, l’École nationale supérieure d’agronomie (ENSA) d’El Harrach a testé différentes alternatives au soja : incorporation de fientes de poules pondeuses ou de farines animales dans les rations des veaux.

L’irruption de la maladie de la vache folle a mis un terme à ce type de pratiques à l’époque courantes à l’étranger. Pour réduire la quantité de soja dans les rations, les agronomes algériens ont aussi utilisé avec succès l’aptitude des veaux à assimiler l’azote sous forme d’urée 46 %. Un produit utilisé habituellement comme engrais sur le blé.

Pour être rentable, la filière bovine à viande doit donc arriver à maîtriser les marges des différents intermédiaires et le coût exorbitant des fourrages. Il est généralement admis que 15.000 litres d’eau sont nécessaires pour produire un kilo de viande de bœuf.

C’est dire la difficulté de la tâche dans un pays semi-aride et pourquoi la consommation nationale, qui était en 2021 de 12 kg/habitant/an, est si éloignée de la moyenne internationale de 34 kg/habitant/an, selon la Cour des comptes.

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