Il était temps. L’opération de réhabilitation du bâti ancien, qui s’accélère et commence à donner des résultats visibles dans plusieurs grandes villes du pays, peut sauver un patrimoine immobilier important. Elle pourrait aussi donner un nouveau visage à nos centres-villes qui, au fil des ans, avaient fini par afficher le spectacle familier et démoralisant de façades décrépies, de balcons effondrés, de cages d’escalier à l’abandon, de canalisations percées, de terrasses squattées et de caves inondées…
Un budget de 36 milliards de dinars
À Alger, à Oran et à Constantine, les travaux sont bien avancés. Dans la capitale, les immeubles du front de mer, de la rue Ben-M’hidi, des environs de la Grande Poste, de l’avenue Pasteur et de la rue Docteur Saadane retrouvent peu à peu leur lustre, leur aspect cossu et leurs couleurs d’origine.
Pour l’instant, tandis que les immeubles de la place des martyrs sont entièrement bâchés, l’opération remonte progressivement la rue Didouche-Mourad, le Boulevard Mohamed V et le Telemly en gagnant quelques-unes des rues adjacentes suivant un tracé qui semble ne concerner que les axes principaux de la ville.
La démarche adoptée par la wilaya ne va pas sans susciter quelques interrogations et grincements de dents. Un habitant d’Alger-centre commente : « À proximité du Palais du gouvernement, certains immeubles font l’objet d’une réhabilitation pratiquement tous les ans alors que ceux d’autres quartiers n’ont quelquefois pas été touchés depuis l’indépendance ».
Tout le monde a remarqué avec satisfaction que pour la première fois, cette restauration a été confiée à des entreprises publiques et privées, pour certaines d’entre elles étrangères, qui semblent disposer d’un réel savoir-faire et utilisent des échafaudages modernes qui permettent d’intervenir de façon efficace sur les façades et les balcons.
En dépit d’une communication quasi inexistante ou fragmentaire des pouvoirs publics, il semble que les opérations en cours résultent d’une décision prise par un conseil interministériel datant de l’année 2008. Les premiers travaux ont commencé seulement en avril 2010. Ils devraient concerner un peu plus d’une vingtaine de villes du pays. Le budget affecté à cette réhabilitation dépasse 36 milliards de dinars (environ 300 millions de dollars).
Le casse-tête de la gestion immobilière
Si le lancement de cette opération constitue une bonne nouvelle, elle risque de rester limitée à une fraction modeste du parc immobilier collectif. Elle souligne à nouveau les limites des modes d’intervention et de financement appliqués dans le domaine de la maintenance et de l’entretien de notre parc immobilier au cours des dernières décennies.
Selon des statistiques récentes, l’Algérie compterait aujourd’hui un peu plus de 5 millions de logements. Environ un quart d’entre eux sont des logements sociaux dont le parc est géré par des organismes publics, les OPGI, dont les gestionnaires se plaignent régulièrement de la modicité des loyers et surtout de leur faible taux de recouvrement qui ne dépasserait pas en moyenne 50% à l’échelle nationale avec de fortes disparités locales.
Une situation qui est évoquée régulièrement comme la principale explication du mauvais état général de cette partie du parc national de logement et du caractère défaillant de son entretien par les responsables des organismes concernés.
La copropriété, une fiction juridique
Le reste du parc immobilier collectif algérien relève théoriquement et légalement du régime de la copropriété. En dépit de l’apparition dans une période récente de nombreux « comités d’immeubles » dans certains quartiers des grandes villes du pays, la copropriété reste largement une fiction juridique. Dans les faits, la gestion du parc immobilier et son entretien est resté à la charge de l’État algérien.
Ni la cession des biens de l’État à partir de 1980, ni l’accélération sensible des programmes de réalisation de logements collectifs en accession à la propriété depuis le début des années 2000 n’ont changé les choses.
Pour Djamel Souissi, qui anime à Alger un comité de quartier, les textes régissant la copropriété sont inopérants dans le contexte algérien : « Dans le meilleur des cas, les syndics, quand ils existent, gèrent le passage hebdomadaire d’une femme de ménage et l’entretien de la minuterie. »
La seule expérience innovante dans ce domaine au cours des dernières années concerne la formule location-vente AADL que ses initiateurs publics ont voulu doter dès le départ d’organes de gestion de la copropriété qui parviennent, non sans mal, à assurer leur mission. Un modèle qui est appliqué également dans un nombre qui reste pour l’instant limité de « résidences » collectives réalisées par des promoteurs immobiliers privés.
Des initiatives sporadiques
En dépit de ces quelques avancées récentes, l’état du parc immobilier national et son entretien restent donc tributaires des initiatives sporadiques des pouvoirs publics qui semblaient encore, jusqu’à une date récente, obéir principalement à un calendrier politique.
Le « séminaire international sur la gestion immobilière », organisé en grande pompe au Palais des nations du Club des Pins au printemps 2008 par le ministère de l’Habitat pour rechercher des solutions, n’avait pu que recenser la diversité des formules appliquées à l’étranger et constater, dans le cas de notre pays, le décalage entre la réalité du terrain et un cadre juridique inadapté.
Il a débouché pour l’essentiel, sur la décision de… recourir classiquement aux ressources du budget de l’État pour lancer l’opération qui est en cours actuellement.
Créer une demande solvable …
Pour Mounir Sbih, architecte, « le système de gestion immobilière en place depuis plus de 30 ans est à l’origine d’une dégradation rapide du parc immobilier, parce qu’il déresponsabilise les copropriétaires sans identifier clairement les institutions en charge des activités de maintenance et d’entretien qui restent de ce fait fortement sous-dimensionnées en dépit des interventions ponctuelles de l’État ». Le groupe informel de réflexion qu’il a rassemblé autour de lui à Alger formule des propositions claires et simples.
Mounir Sbih milite pour la structuration et le développement de l’activité de maintenance du parc immobilier en tant que filière économique à part entière. Par quels moyens ? « Il faut structurer le marché en créant une demande solvable et une offre professionnelle. »
Il explique : D’abord créer une « Agence nationale de la gestion immobilière » avec des démembrements régionaux dont les ressources seront constituées par « des dotations budgétaires mais également, et de façon croissante au fil du temps, par une contribution des propriétaires qui pourrait être prélevée simplement au moyen de la facture Sonelgaz par exemple ou de la revalorisation des impôts locaux ».
Ensuite sensibiliser le public « pour que les gens prennent conscience de la valeur de leur patrimoine immobilier et de l’importance de son entretien ».
…Et une offre professionnelle
Du côté de l’offre, améliorer d’abord la connaissance du parc « grâce au concours d’institutions comme les CTC qui sont déjà chargés d’établir des carnets de santé des immeubles », et définir des normes et des calendriers d’intervention périodiques.
Au cours des dernières années, les velléités sporadiques des pouvoirs publics se sont souvent heurtées à l’absence d’entreprises nationales spécialisées et ont conduit à des impasses financières comme le choix d’entreprises étrangères dont les coûts d’intervention se sont avérés exorbitants.
Il s’agit donc surtout de « favoriser la constitution d’entreprises nationales qualifiées en gérant un programme d’intervention ininterrompu et un fichier des entreprises agréées du secteur ».
Une démarche qui, selon nos interlocuteurs, serait de nature à développer une activité économique « capable de créer en quelques années entre 50.000 et 100.000 emplois directs avec l’avantage supplémentaire de consommer très peu de produits importés ».