Économie

Pain et farine : les limites du système algérien de subventions

À nouveau la question des pénuries refait surface en Algérie, cette fois-ci, il s’agit de farine, en dépit des quantités importantes de blé importées, ce qui montre une nouvelle fois les limites du système algérien de subventions.

Pour Sami Kolli, responsable de la régulation et de l’organisation des marchés au ministère du Commerce, la farine est disponible et en “quantité“. Comment dans ce cas-là parler de pénurie ?

432 minoteries qui produisent sans relâche

C’est à travers une déclaration sur les ondes de la chaîne III que Sami Kolli a démenti toute existence de pénurie de farine. Il a indiqué que “432 minoteries produisent actuellement sans relâche et que “aucune interruption technique n’est tolérée”.

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Il a ajouté que “ces minoteries bénéficient de quantités importantes de blé tendre qui s’élèvent à 317 000 quintaux utilisés dans la production de 24 000 quintaux de farine“. Ce haut responsable a insisté sur le fait que “cette quantité nous suffit et suffit même à nos voisins“.

Plus de pain à 10 DA passé midi

En différents points du pays, des tensions se font sentir concernant la disponibilité en baguette de pain dite ordinaire. À Draâ El Mizan, le quotidien Liberté note une affluence précoce dans les boulangeries. Un consommateur se plaint de ne plus trouver de pain à 10 DA passé midi et qu’il ne reste que du pain  amélioré ou de la galette traditionnelle vendue plus cher. Un autre consommateur fait remarquer que “du pain à 15 ou 20 DA, c’est cher pour une famille qui consomme une dizaine de baguettes par jour“.

À Jijel, la presse relate qu’il n’y a plus de pain à 10 DA et que n’est disponible que pain de semoule. “C’est juste du saupoudrage de semoule avec de la farine pour fabriquer la baguette à 20 DA“, dénonce un consommateur.

Les boulangers sont accusés d’ajouter quelques ingrédients tels de la semoule, du son, des graines de pavot ou de sésame pour faire passer la baguette subventionnée dans la catégorie des pains spéciaux et ainsi faire passer son prix de 10 à 15 ou même 20 DA.

À Tipaza, un restaurateur indique avoir patienté durant deux heures pour se voir délivrer à peine 10 baguettes de pain.

Même son de cloche dans la région d’Oran. Faouzi Baïche, le sous-directeur du commerce de la wilaya confie au quotidien Liberté qu’une centaine de boulangers à Relizane n’ont pas travaillé tout une journée à cause du manque de farine.

Le pain subventionné va nous ruiner

De leur côté, les boulangers évoquent une pénurie de farine. C’est le cas à Jijel. “La farine manque, elle n’est plus disponible et son prix est plus élevée“, confie un boulanger à Liberté. Cette crise de la farine serait apparue dès le début du mois d’août suite à la fermeture de nombreuses minoteries.

De façon étonnante, pour Youcef Kalafat, président de la Fédération nationale des boulangers, “le problème d’approvisionnement des boulangeries a été résolu“, indique-t-il au quotidien El Watan. “Je confirme qu’il n’y a pas de pénurie de farine. Il y avait un manque de farine chez les grossistes, mais pour acheter cette farine, il faut passer par les minoteries. Ces dernières ont diminué les quantités de farine pour les grossistes avec des sacs de 25 kg et 10 kg, alors que les boulangers sont approvisionnés avec des sacs de 50 kg“. Il ne s’agirait donc que d’une question d’emballage.

De son côté, Sami Kolli parle du “refus de certains boulangers de travailler avec le système de facturation et le refus d’acheter de la farine aux moulins et d’aller l’acheter aux grossistes à des prix exorbitants“.

En fait, les boulangers ne trouvent plus leur compte avec le mécanisme d’encadrement des prix de la baguette de pain à 8,5 DA. Certains affirment que “le pain subventionné va nous ruiner“.

Le prix de la baguette est réglementé, alors que dans les faits ce n’est plus le cas de la farine. Les boulangers disent ne plus pouvoir faire face à la hausse des salaires de leurs employés et de leurs charges. Bien que cela soit interdit, déjà quelque uns affichent la baguette à 15 DA alors que d’autres menacent de ne plus la commercialiser. En fait, les boulangers semblent vouloir que leur rôle social soit rétribué à sa juste valeur.

Les minoteries sont souvent montrées du doigt. Quand depuis Alger, le responsable de la régulation au ministère du Commerce décrète, “nous n’autorisons pas de fermeture !“, comment faire appliquer une telle mesure alors que les 432 minoteries du pays ont droit à des fermetures pour maintenance ou pour congés annuels ?

Fouzi Baïche, sous-directeur du Commerce à Oran apporte un éclairage intéressant. Début mai, il confiait au quotidien Liberté que la crise durait depuis deux mois et qu’elle avait été aggravée par la fermeture de certains moulins pour congé annuel. Aussi, avait-il été décidé de réquisitionner les moulins Habour et Agrodim d’El Hamri. De même qu’avait été proposé à des minoteries de repousser leurs congés après le mois d’août.

Mais, ajoutait-il, cette crise est le fruit “d’une grande spéculation“, ajoutant qu’actuellement les boulangers achètent le quintal de farine à 2 800 DA et 3 000  DA alors qu’elle faisait 2 000 DA”.

Si les minoteries peuvent compter sur la plus-value réalisée sur les ventes des issues de meunerie très prisées des éleveurs, elles ne fonctionnent qu’avec les quotas de blé que leur attribue l’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC). Or, ces quotas ne dépassent pas 40 % de leur capacité de trituration d’où un manque à gagner certain. Des pertes d’autant plus préjudiciables pour les minoteries les plus récentes qui ont des emprunts à rembourser.

Les limites des subventions pour tous

Aussi, les pistes d’amélioration semblent limitées. Il serait possible de réduire les charges des boulangers, de jouer sur le taux de mouture afin d’accroître les quantités de farine livrées aux boulangers ou d’orienter les minoteries vers le soutien à la production locale de blé et à sa collecte. Contrairement aux laiteries, les minoteries sont pour la plupart déconnectées des producteurs locaux.

Boulangers et propriétaires de moulins sont aujourd’hui organisés en corporations représentatives et le dialogue est permanent avec le ministère du Commerce.

Reste que cette crise rappelle celle de l’huile au printemps dernier. Les grossistes protestaient alors contre la faiblesse de leur marge. Aujourd’hui, il s’agit de celle des boulangers et des minoteries.

L’encadrement des prix de la baguette de pain, de l’huile ou du sachet de lait vise à préserver le pouvoir d’achat des ménages à faible revenu. À défaut d’une orientation des subventions vers ces seuls ménages, tout laisse à penser que le système de soutien des prix pour tous montre aujourd’hui ses limites.

Le différentiel de prix entre prix soutenus et prix libres ouvre la voie à des dysfonctionnements. Nombreux sont les observateurs pour qui “le manque de pain est la résultante de la pénurie de farine créée par les spéculateurs“.

Il en est de même du différentiel de prix avec les pays limitrophes. Quand Sami Kolli indique que les quantités de farine “suffisent à nous et à nos voisins“, est-ce pour rappeler la contrebande de blé aux  frontières ?

En 2015, l’hebdomadaire Jeune Afrique rapportait les propos de Houd Baby, le propriétaire malien des Moulins du Sahel. Celui-ci se plaignait des “farines de contrebande qui entrent sur le territoire malien via ses frontières du nord (en provenance d’Algérie)“. Déjà en 2013, à Adrar, des universitaires avaient retenu l’hypothèse d’une contrebande de blé vers le Mali. Leur estimation de la production de blé des 80 rampes pivots installées dans la région avait montré que seuls 50 % étaient collectés par la CCLS.

Des ajustements semblent nécessaires. Du “pain sur la planche” pour le ministère du Commerce.

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