Politique

Pourquoi MBS tenait à arrondir les angles avec Alger

Le prince héritier saoudien a effectué, en début de semaine, une visite controversée à Alger. Une visite qui, hormis l’annulation de l’entrevue prévue avec le président Bouteflika à cause des soucis de santé de ce dernier, n’a pas connu les anicroches auxquelles on pouvait s’attendre à cause de l’opposition d’intellectuels et d’une partie de l’opinion publique à la venue d’un homme sur lequel pèsent de lourds soupçons dans l’affaire de l’assassinat du journaliste Jamel Khashoggi début octobre dernier. Peut-on pour autant parler de succès ?

L’évaluation de la visite de MBS en Algérie et plus globalement de sa tournée qui l’a mené dans de nombreux pays arabes, se fera au moment opportun et sur la base des retombées concrètes des tractations menées avec leurs vis-à-vis par le prince héritier et ses collaborateurs qui l’ont accompagné au Caire, Manama, Abu Dhabi, Tunis, Nouakchott et Alger.

Néanmoins, et s’agissant de l’Algérie, on peut déjà tirer une première conclusion : les communiqués officiels sanctionnant la visite ne font pas mention d’une « révolution » pour les investissements et les échanges entre les deux pays. À peine quelques contrats de partenariat signés, avec la promesse d’en conclure d’autres peut-être si la partie algérienne donne suite à la doléance des hommes d’affaires saoudiens qui ne semblent pas trouver à leur goût la règle 51/49.

Même si l’accent a été mis par les officiels et les médias sur l’aspect économique de la visite, il faut dire que ce n’était pas là son objet central. La première tournée à l’étranger du prince depuis l’éclatement de l’affaire Khashoggi ne pouvait avoir que des visées politiques et géostratégiques. Dans ce Moyen-Orient instable, les lignes ont subitement bougé depuis que l’un des principaux acteurs de la région est réduit à la défensive, conséquence directe de l’onde de choc provoquée par le meurtre d’un journaliste dans une représentation diplomatique.

Jusque-là, l’Arabie saoudite, sous l’impulsion du jeune prince héritier, avait multiplié les initiatives et les fronts, provoquant une guerre ouverte et une crise humanitaire au Yémen et des crises diplomatiques avec le Qatar et le Liban. Le prince a aussi porté à leur paroxysme les tensions avec l’Iran et s’est presque directement impliqué dans le conflit syrien. On a même prêté à MBS des velléités de lâcher la cause du peuple palestinien en adoubant un plan de paix américain largement favorable à Israël. Sur le plan interne, il a initié une politique audacieuse de “modernisation” de la monarchie conservatrice, sans toutefois se défaire des vieilles méthodes répressives à l’égard de toute voix contestataire.

Il est utile de souligner que sur tous les dossiers dans lesquels était impliquée l’Arabie saoudite, l’Algérie a su garder une ligne de neutralité constante dictée par les principes quasi dogmatiques de sa politique étrangère, parmi lesquels la non-ingérence dans les affaires internes des États, et exécutée avec habileté grâce au savoir-faire de sa diplomatie.

Au Yémen, elle a refusé de participer à la coalition arabe qui y intervient militairement, mais a condamné plus d’une fois les missiles lancés en direction du Royaume par les milices houthis. Dans la crise qui a mené à la rupture des relations diplomatiques entre le Qatar et le reste des monarchies du Golfe, l’Algérie a affiché la même attitude de neutralité, évitant toute déclaration ou geste maladroit, comme celui de Mohamed VI qui s’est déplacé à Doha au plus fort de la tempête. C’est peut-être cette maladresse qui a valu au Maroc de ne pas bénéficier du soutien de ses supposés alliés du Golfe lors du vote pour l’attribution de l’organisation de la Coupe du monde 2026, avant d’être carrément boudé par MBS lors de sa tournée maghrébine qui vient de s’achever.

Même les tentatives de donner au conflit entre l’Arabie saoudite et l’Iran une connotation confessionnelle n’ont pas amené l’Algérie, pays sunnite, à se défaire de sa vieille position de non-alignement. Les relations entre Alger et Téhéran sont toujours au beau fixe. La même neutralité a été observée dans l’affaire de la fausse démission du Premier ministre libanais, Saâd Al Hariri, annoncée à partir de Riyad, et à un degré moindre, dans le conflit syrien où la diplomatie algérienne n’a jamais remis en cause la légalité du président Assad.

Toutes ces positions avaient un temps valu à Alger l’incompréhension, voire l’inimitié des monarchies du Golfe, à leur tête l’Arabie saoudite. Mais aujourd’hui, cette neutralité constante s’avère un atout majeur en ce sens que l’Algérie peut se targuer d’être l’un des rares pays qui ne s’est mouillé dans aucun dossier.

Sa voix a, par conséquent, toutes les chances d’être écoutée et par les belligérants des différents conflits qui déchirent le Moyen-Orient et par les principales puissances occidentales. MBS est-il donc venu solliciter la médiation d’Alger ? La réponse est non. Il n’en reste pas moins qu’il est venu arrondir les angles avec un État aux forts atouts diplomatiques. Un État qui pourrait bien l’aider à sortir des multiples bourbiers dans lesquels il est enlisé.

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