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Production de lait cru : l’Algérie peut-elle faire comme le Qatar ?

Production de lait cru : l’Algérie peut-elle faire comme le Qatar ?

Le projet de loi de finances pour l’année 2024 apporte des précisions concernant l’exonération de l’impôt sur le revenu pour les activités de collecte et de ventes de lait cru. Un produit dont les besoins annuels sont estimés à 4,5 milliards de litres en Algérie.

À cette fin, différentes options sont envisagées dont un accord avec le Qatar pour la construction d’une ferme de plus de 10.000 vaches.

Selon le président du Conseil national interprofessionnel de la filière lait (CNIFL), Azzedine Tamni l’Algérie a un besoin de deux millions de vaches laitières afin d’assurer son autosuffisance en lait.

C’est lors d’un forum tenu lors du Salon international de l’agriculture, de l’élevage et des agro-industries 2022 que ce professionnel a dressé un tableau complet de la situation.

Selon ses propos rapportés par l’agence APS, les besoins de l’Algérie sont actuellement estimés à 4,5 milliards litres de lait par an. Avec un peu plus de 900.000 têtes, le cheptel laitier produit 2,5 milliards de litres par an. Doubler les effectifs en vaches laitières nécessiterait plus de 200.000 hectares d’hectares irrigués afin de produire des fourrages.

Le projet de loi de finances pour l’année 2024 vise donc à encourager la production locale de lait. Les dispositions précédentes prévoyaient une exonération permanente concernant l’impôt sur le revenu. Le texte indique que ces dispositions concernaient « la consommation en l’état ».

Or, dans la pratique il est apparu des « difficultés d’application, dans la mesure où la condition de destination à la consommation en l’état constitue une exigence très contraignante » dans le cas des collecteurs de lait cru. En effet, le produit de la collecte « est destiné exclusivement aux laiteries qui l’utilisent comme matière première pour la fabrication d’autres produits laitiers. »

Aussi, l’article 5 du projet de la loi de finances 2024 prévoit de « supprimer la condition de destination à la consommation en l’état et de préciser les activités concernées par cette exonération, à savoir les activités de vente et de collecte de lait cru. »

Comme le stipule l’article en question, les collecteurs « jouent un rôle clé dans le développement de la filière de l’élevage et de production de lait cru. » Cette mesure vise donc à réduire les importations de poudre de lait.

Poudre de lait contre le lait frais

Ces importations restent importantes. Selon le directeur des services vétérinaires au ministère de l’Agriculture et du Développement rural, Imad Idres : « l’Algérie a importé entre 400 et 500.000 tonnes de poudre de lait, en 2020, pour une facture de 1,2 milliard de dollars. »

Des importations réalisées par 3 catégories d’opérateurs selon la même source : « l’Office national interprofessionnel du lait et produits laitiers (ONIL) qui approvisionne quelques 130 laiteries privées et les 15 laiteries publiques du Groupe Giplait, les importateurs transformateurs et les importateurs revendeurs ».

Dès décembre 2022, lors d’une réunion avec les cadres de l’ONIL le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Mohamed Abdelhafid Henni a insisté sur la nécessité d’améliorer la collecte du lait frais en vue de réduire la facture d’importation du lait en poudre.

Une poudre de lait utilisée de différentes façons. Cité par l’agence APS, en février 2022, le DG de l’ ONIL Khaled Soualmia indiquait que l’office assurait une disponibilité en poudre de lait aux usines comme complément au lait cru, or il est apparu que de nombreuses unités l’utilisent actuellement comme matière première dans la production.

Pourtant, ces usines ont des obligations. Selon Khaled Soualmia : « Les usines sont légalement responsables de l’opération de collecte pour pouvoir bénéficier de la poudre de lait subventionnée, ce qui l’oblige à collecter le maximum ».

Cependant, le lait produit localement n’arrive pas en totalité aux laiteries. Il existence un secteur informel variable d’une wilaya à une autre, constitué par les crèmeries, cafés et clientèle.

Les études montrent que son importance diminue selon la densité du réseau de collecte et du niveau d’appui technique mis en place par les laiteries. Aussi afin d’améliorer la collecte, ces dernières années, le niveau des primes a été relevé.

La prime à la production laitière accordée aux éleveurs est passée de 6 DA à 12 DA par litre, la prime accordée aux collecteurs a été fixée à 5 DA/L et celle accordée aux laiteries a atteint 6 DA/L voire 7,5 DA/L selon le niveau de volume de lait traité.

Pour Malik Makhlouf de l’université de Tizi-Ouzou et co-auteur d’une étude sur la politique laitière nationale,  « le débat porte principalement sur le dosage relatif de ces différents leviers et en conséquence, sur la définition de ses bénéficiaires. »

Ces mécanismes d’incitation aux producteurs de lait cru ont eu des effets positifs. Ainsi en 2021, « la part de la collecte de ce produit a atteint 800 millions de litres », indique Imad Idres, un niveau que tentent d’améliorer les services agricoles puisque « car la production annuelle est estimée à 3,5 milliards de litres ».

À cela, comme pour d’autres produits agricoles, s’ajoute un phénomène de saisonnalité : les laiteries reçoivent plus de lait au printemps que durant les autres périodes de l’année.

Co-auteur d’une étude sur la région de Skikda, l’universitaire Karima Zalani relève « une certaine concordance entre la saisonnalité des livraisons de lait et la répartition des vêlages des troupeaux. »

Une situation liée à une production fourragère fortement saisonnière alors que la consommation de lait augmente beaucoup à d’autres périodes de l’année, notamment pendant le mois de Ramadan.

Selon le type de laiteries, la stratégie de collecte est très variable. C’est le cas à Skikda où on compte plusieurs réseaux de collecte. Aux deux laiteries locales Sahlait et Saplait viennent s’ajouter ceux de Soummam et Danone localisées à Akbou dans la wilaya Bejaïa soit à une distance de plus de 200 kilomètres.

Ces deux dernières laiteries sont de taille industrielle avec des capacités de collecte et de production sept fois supérieures. Karima Zalani relève que : « Les petites laiteries Sahlait et Saplait de Skikda sont engagées dans la fabrication de lait de consommation vendu à prix règlementé grâce aux quotas de poudre de lait subventionnée. Cependant, pour la fabrication de produits laitiers vendus à prix libres sur le marché, elles utilisent le lait cru qu’elles collectent. Cela explique leur faible niveau d’intervention dans le soutien du développement de la production laitière locale. »

Pour leur part, les deux laiteries industrielles dépendent du lait cru pour la fabrication de produits laitiers (yaourt, crème dessert) vendus à prix libres.

Aussi note l’étude : « Elles appliquent une stratégie plus engagée avec les éleveurs laitiers en densifiant leurs réseaux de collecte et en garantissant un appui technique permettant de fidéliser les éleveurs et d’assurer une régularité de leur approvisionnement en lait cru. »

Les techniciens de ces deux laiteries s’intéressent aux exploitations disposant de troupeaux de grande taille. Comme l’indique l’étude, ils ne ménagent pas leurs efforts : assistance technique pour l’entretien du matériel de traite et de réfrigération, conseils techniques sur la conduite de la reproduction, de l’alimentation et de la traite, formations organisées par des zootechniciens et des vétérinaires employés par la laiterie, stratégie du leasing pour l’acquisition de génisses pleines de races sélectionnées.

Afin d’améliorer la production locale, lors d’une réunion en décembre 2022, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural, Abdelhafid Henni a exhorté les cadres de l’ONIL à « intensifier le travail sur le terrain » afin d’accompagner les éleveurs.

Depuis 2015, dans le cadre du projet Alban entre l’Algérie et la région de Bretagne en France, il a été mis sur pied des groupes locaux d’appui technique aux éleveurs et aux producteurs de fourrages à Souk Ahras, Blida, Relizane puis à Ghardaïa.

Récemment dans le cadre d’un entretien avec le média La patrie News, Abdelhafid Henni a fait part de l’avancement des discussions avec la laiterie qatari Baladena pour la création d’une ferme de 10.000 vaches laitières en Algérie. Un projet qui devrait permettre l’autosuffisance du pays en poudre de lait.

Le Qatar a déjà atteint son autosuffisance en lait, cependant, les installations de Baladna ne disposent localement que de 240 hectares. Une superficie insuffisante dans un pays où il pleut seulement 987 litres d’eau par mètre carré pour nourrir 20.000 vaches. L’explication réside dans l’activité du fond Hassad Food, une entité créée en 2008 et dotée d’un capital d’un milliard de dollars et qui a investi dans l’agriculture.

Dans une étude datant de 2022, Lama Fakih de l’université de Beyrouth note que le fonds qatari « achète ainsi des milliers d’hectares de terres arables dans diverses régions du monde telles que la Turquie, l’Ukraine, le Brésil, ou encore le Kenya. Il est surtout présent au Soudan où il dispose de plus 101.171 hectares de terres à cultiver. »

Ce qui permet à la laiterie Baladena d’être alimentée en continu en fourrages produits au Soudan et transportés par bateaux jusqu’au Qatar. En 2021, selon le site Knoema spécialisé dans les échanges commerciaux internationaux, ce sont 21.596.000 de dollars de luzerne importés par le Qatar dont 7.178.660 de dollars en provenance du Soudan. Ce qui a permis dès 2019 une production journalière de 320 000 litres de lait.

Les besoins en lait de l’Algérie sont de 4,5 milliards de litres. Or, la production d’un litre de lait exige un mètre cube d’eau pour produire les fourrages nécessaires aux vaches.

En Algérie, les services agricoles planchent sur différentes alternatives. Restera donc à trouver les énormes quantités d’eau nécessaires pour produire les fourrages.

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