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Reportage – Plongée dans les réseaux de la diaspora algérienne en France

Reportage – Plongée dans les réseaux de la diaspora algérienne en France

À Paris, il se passe quelque chose de particulier dans les milieux de la diaspora algérienne qui connaît un engouement inédit pour l’Algérie.

L’heure de l’organisation a sonné. Régulièrement, des cadres, des chefs d’entreprises, des élus et des médecins franco-algériens se rencontrent, discutent, échangent, initient des projets concrets pour se connecter entre eux, et jeter des ponts solides avec l’Algérie, bâtis sur les liens humains qui unissent la diaspora aux Algériens à son pays d’origine.

Pour certains, il s’agit de premiers pas, pour d’autres, ils ont déjà parcouru une partie du chemin, parfois dans la discrétion, malgré les obstacles qui se dressent devant, eux aussi, bien en France qu’en Algérie.

Peu importe, ils maintiennent le cap, convaincus de leur démarche. Rien ne semble en mesure d’altérer leur marche en avant.

Avec la montée de l’extrême-droite et de la stigmatisation permanente des musulmans, les Algériens de France se réunissent, discutent, échangent pour nouer ou renouer des liens avec l’Algérie.

En France, ce pays qui interdit le communautarisme, la communauté algérienne est l’une des plus intégrées, et paradoxalement, elle est aussi l’une des plus stigmatisées en raison notamment du poids de l’histoire.

Chez les cadres algériens établis en France, l’heure n’est pas seulement à « l’exode inversé » pour fuir les stigmatisations qui les ciblent ainsi que toute la communauté musulmane.

Beaucoup d’Algériens « bien installés » en France et dans d’autres pays étrangers ont plutôt fait le choix de l’organisation et de la fédération, dans le double objectif de « peser » face à la nouvelle situation et d’aider leur pays d’origine.

Parmi eux, Nisrine Batata Benlagha, Antar Boudiaf, Dr Omar Belkhodja, Abdelhak Hadjemi sont des membres de l’association « Awassir » qui, comme son nom l’indique, veut créer des liens entre les membres de la diaspora algérienne et des ponts entre celle-ci et l’Algérie. TSA est allé à leur rencontre à la salle Émir Abdelkader de la Grande Mosquée de Paris.

Sous l’égide de l’institution qui a eu l’intelligence de séparer le religieux et l’associatif, Awassir a deux grands objectifs : connecter la diaspora algérienne partout dans le monde et contribuer au renforcement des liens avec l’Algérie et des projets économiques, culturels et sociétaux.

Diaspora algérienne en France : les « raisons » du réveil

L’association en est à ses balbutiements. Elle n’a été lancée que début mars dernier, mais un travail en amont a été effectué pendant deux ans et demi.

Pour cette association qui active sous l’égide de la Mosquée de Paris, il ne s’agissait pas de faire un saut dans l’inconnu, mais plutôt de bien cerner l’approche, et comprendre l’environnement de l’autre rive de la Méditerranée.

« Notre association a été créée officiellement en décembre 2023, mais dans les faits, elle existe depuis plus de deux ans. Un travail important a été fait en amont avant de lancer la création officielle. Nous avons tenu de nombreuses réunions à la Grande mosquée de Paris avant de la créer », explique Antar Boudiaf, président de Awassir, l’une des nombreuses associations de la diaspora algérienne en France.

Lors de la création de cette association, le recteur de la Grande mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, a salué une « nouvelle énergie, éclairée et responsable, qui viendra désormais soutenir et développer les actions de la Grande mosquée de Paris pour la diaspora algérienne, pour les relations prospères entre la France et l’Algérie ».

Cet « engouement » des Algériens de l’étranger pour le « rassemblement », Antar Boudiaf, l’explique par « la main tendue par l’Algérie à travers le président Abdelmadjid Tebboune pour la communauté algérienne établie à l’étranger » et surtout par « le contexte politique très compliqué » en France, en Europe.

« Cette volonté de se rapprocher les uns des autres est voulue parce que le contexte politique est très compliqué pour nous. On a besoin de se sentir forts et pour qu’on soit forts, il faut qu’on soit ensemble. Il faut qu’on puisse peser, parce que la seule chose qui compte, ici, ce sont les rapports de force. Il faut se fédérer et se rassembler », insiste Antar Boudiaf.

Abdelhak Hadjemi, directeur business et développement dans un cabinet de conseil et président du Club Algérie XXI, pointe un autre aspect lié au changement de la composte de l’immigration algérienne en France.

« Il y a une nouvelle génération de la communauté algérienne établie en France qui était dominée par la classe ouvrière dans les années 1970. Aujourd’hui, la composante de la communauté algérienne est dominée par des intellectuels, des chercheurs, des médecins, des chefs d’entreprises. Tous veulent apporter un plus à l’Algérie. Ils ne cherchent pas des privilèges quelconques, mais veulent y investir pour les chefs d’entreprises, voire comment faire évoluer le système de santé en Algérie s’ils sont médecins… La diaspora algérienne est demandeuse pour apporter un plus pour le pays. C’est le point fort de cette nouvelle génération qui est celui d’Awassir aussi », développe Abdelhak Hadjemi, vice-président d’Awassir qui compte 150 membres.

« Il y a une nouvelle génération de la communauté algérienne établie en France »

En parlant de médecine, Awassir porte un projet emblématique initié par le Dr Omar Belkhodja, l’un des plus anciens médecins urgentistes en France, avec trois médecins urgentistes qui cumulent chacun une expérience de plus de 30 ans. Il s’agit du Dr Souad Sekai, Faiza Dib et Karim Bedrici. Pour lui, le maître mot est la collaboration.

« Pour le projet des urgences, nous l’approchons avec un état d’esprit de collaboration et de coopération avec l’Algérie. Je pense que la problématique des urgences n’est pas propre à un pays comme la France ou l’Algérie, elle est mondiale. Si on veut mener un projet avec l’Algérie, c’est avec cet état d’esprit de collaboration et de coopération. Ce qui est important est de ne pas remettre en cause la formation des médecins en Algérie qui est excellente. Il pourrait y avoir un travail organisationnel, c’est-à-dire comment gérer le flux des malades qui arrivent aux urgences, l’orientation des patients une fois pris en charge par les urgences… », détaille le Dr Omar Belkhodja qui veut mettre, avec ses collègues médecins, leurs années d’expertise au profit de l’Algérie.

Un projet pour l’Algérie mené par le Dr Omar Belkhodja, un des plus anciens médecins urgentistes en France

Le projet que propose ce médecin est scindé en trois axes : gérer le flux d’arrivée des malades aux urgences, prioriser et sécuriser les soins des patients présents aux urgences et ensuite les orienter pour leur prise en charge, détaille l’un des plus anciens médecins urgentistes en France, ancien chef de pôle territorial des urgences, président de la commission médicale d’établissement, chevalier de la Légion d’honneur.

Le Dr Belkhodja a déjà travaillé avec l’Algérie. Son équipe a participé à la création du SMUR de l’EHU d’Oran en 2016 et pendant la crise du Covid-19, elle a accompagné le service des urgences du même hôpital.

« On voudrait continuer avec cet élan et cette fois-ci élargir vers les différents services des urgences en Algérie. Nous comptons sur l’appui de notre gouvernement, d’Awassir, du recteur de la Mosquée de Paris pour nous accompagner », espère le Dr Belkhodja.

« Je veux mettre mon expérience au service de l’Algérie », insiste le Dr Belkhodja qui dit ignorer le fonctionnement des services des urgences des hôpitaux algériens. « Nous voulons faire un état des lieux avec les autorités algériennes pour identifier les besoins et les priorités », explique-t-il.

Les initiateurs de l’association l’ont conçue comme un réseau qui maille la diaspora algérienne dans toutes les régions de France, puis en Europe et enfin dans le reste du monde. Ne souhaitant pas brûler les étapes, ils ont opté pour une démarche très méthodique.

« Dans un premier temps, il s’agit de tisser des liens entre la diaspora algérienne qui est ici en France et plus tard élargir ces liens aux autres diasporas à travers le monde. Awassir a pour ambition de devenir un réseau international », reprend Nisrine Batata Benlagha, Première vice-présidente de l’association, et directrice markéting et communication dans un groupe de fintech.

Ne pas brûler les étapes ne signifie pas aller à pas de tortue. Le travail en Europe est déjà entamé. « Nous souhaitons avoir un Awassir par pays, par exemple Awassir Algérie, Awassir France… Aujourd’hui, nous sommes en discussion pour le lancement d’Awassir en Italie, en République Tchèque, en Espagne, au Royaume-Uni et en Allemagne. Une fois que nous aurons finalisé les dispositions de partenariat, nous signerons des conventions afin de pouvoir commencer à travailler ensemble », révèle-t-elle, en soulignant que cette association « s’adresse clairement aux talents et aux compétences de la diaspora algérienne en France et ailleurs ».

« Nous voulons peser dans la relation franco-algérienne »

Le principal objectif est de se « connecter, de nous structurer, fédérer, de rassembler et de devenir un réseau qui permet à différentes personnes de profils de pouvoir apporter chacun leur pierre à l’édifice afin d’aider notre pays l’Algérie, de compter et de peser dans la relation franco-algérienne. Nous souhaitons être des membres actifs des deux côtés de la Méditerranée avec des projets qui touchent à la santé, business, culture, art », développe-t-elle.

En France, le chemin parcouru par cette association est déjà assez respectable. « Nous avons un bureau de 14 personnes, un comité d’honneur de plusieurs personnalités et un Conseil national de 150 personnes », se félicite Nisrine Batata Benlagha.

« Il y a pas mal d’initiatives qui se créent vis-à-vis de l’Algérie. La valeur ajoutée d’Awassir est de mener des projets concrets. Nous avons 14 commissions et dans chacune d’elles, des membres de l’association travaillent sur des projets. Nous avons 13 délégués régionaux et le but, c’est d’animer toutes les régions de France et puis par la suite avoir des représentants dans le monde entier. Notre but est aussi de faire travailler toutes les associations de la diaspora qui travaillent pour l’Algérie », ambitionne Abdelhak Hadjemi, l’autre vice-président d’Awassir qui compte 150 membres.

Mieux, renchérit Antar Boudiaf, près de 4.000 personnes ont été approchées en deux ans et demi, c’est-à-dire bien avant que se présente cette opportunité de la Mosquée de Paris de lancer une organisation formelle. Et ce sont des gens, pour ainsi dire, triés sur le volet, « des personnes ayant une plus-value, c’est-à-dire des gens capables d’apporter quelque chose d’intéressant en termes de projets ».

En France, le vivier est plus que riche. Des cadres d’origine algérienne par milliers dans tous les secteurs, notamment des médecins et des chefs d’entreprise.

Antar Boudiaf ouvre une parenthèse pour expliquer le nombre important d’entrepreneurs algériens en France. « Parce que, dit-il, les Algériens en France et en Europe ont dû réussir à s’émanciper par la création de leurs entreprises, car il y a eu beaucoup de frustration dans le domaine professionnel pour un certain nombre d’Algériens. »

L’autre idée des concepteurs de l’association est de l’organiser en corporations. « On s’est dit qu’il est plus facile pour les gens de s’intégrer à un réseau quand ils trouvent des gens de leur corporation », justifie Antar Boudiaf.

Quatorze corporations se rencontrent désormais à Awassir, chacune dans une commission. L’ambition est d’arriver à un représentant, voire deux, pour chaque corporation, selon Nisrine Batata Benlagha.

Les membres d’Awassir ont aussi beaucoup d’ambition pour la coopération avec l’Algérie et le renforcement des liens entre leur pays d’origine et leur terre d’accueil.

« Notre principal objectif est de devenir clairement ce réseau qui permet à différents secteurs d’activité, à différentes personnes aux profils diversifiés d’apporter chacun sa pierre à l’édifice et d’aider notre cher pays, l’Algérie, mais aussi de compter et de peser dans la relation franco-algérienne puisque c’est le pays où nous résidons aujourd’hui », explique Nisrine Batata Benlagha.

Antar Boudiaf complète en expliquant que « l’idée est d’utiliser toutes ces compétences qui ont envie de donner de leur temps et de rendre à ce pays un peu de ce qu’il leur a donné, parce qu’ils ont été formés dans les écoles et dans les universités algériennes pour un certain nombre d’entre eux ».

Le moyen le plus efficace de se rendre utile à l’Algérie est évidemment d’y lancer des « projets simples et réalisables », avance Antar Boudiaf qui souligne les bonnes relations de son association avec les autorités algériennes. Plusieurs projets portés par Awassir sont déjà mûrs et prêts à être lancés, nous apprend-on.

Avec toujours la même approche prudente d’y aller par étapes. « S’il y a eu des tentatives qui ont échoué par le passé, c’est parce que parfois, on a eu des ambitions démesurées », rappelle Antar Boudiaf. D’où l’impératif de « commencer par des choses simples » puis « d’élever au fur et à mesure le niveau ».

Le président d’Awassir souligne qu’il faut « tenir compte du contexte et de l’environnement algériens parce qu’un projet qui est porté en France ne peut pas s’appliquer et s’intégrer directement en Algérie ».

Les projets envisagés « touchent à la santé, au business, la culture, l’art… », résume Nisrine Batata Benlagha.

Dès le mois prochain, deux groupes de seniors algéro-français, de 100 personnes chacun, bénéficieront d’un circuit thermal en Algérie, à Oran, Annaba.

En juillet, pas moins de 2.000 enfants de la diaspora partiront de Paris, Lille, Marseille et Lyon en colonie de vacances, en deux groupes également, « pour découvrir ou redécouvrir et revisiter différemment l’Algérie », avec la prise en charge de l’État algérien et de la collaboration de la mosquée de Paris.

Comment la diaspora algérienne est vue d’Algérie ?

Abdelhak Hadjemi annonce, pour sa part, un projet sur la Casbah d’Alger qui va se faire avant l’été à la Grande mosquée de Paris « dans le but de promouvoir le patrimoine algérien à l’international » et un autre en préparation avec le Centre culturel algérien de Paris.

Le président de l’association a insisté aussi sur la « citoyenneté », annonçant un travail de sensibilisation envers la diaspora algérienne en vue des prochaines élections présidentielles en Algérie et Européennes dans le vieux continent.

Toute cette activité, ces projets et ceux à venir, sont de nature à renforcer les liens déjà très solides qu’entretiennent ces illustres Algériens avec leur pays d’origine. Humbles, les membres d’Awassir, comme la majorité de la diaspora algérienne, ne se présentent pas comme donneurs de leçons ou plus compétents que les Algériens résidents.

Au contraire. « Il faut que la communauté nationale sache que nous vivons les mêmes difficultés, les mêmes préoccupations et c’est pour ça que nous sommes très attachés à l’Algérie. Nous sommes pareils qu’eux, la seule différence, c’est que nous vivons à l’étranger. Et ce n’est pas toujours un cadeau », conclut Antar Boudiaf.

Les projets de la diaspora algérienne envers son pays d’origine et son désir de s’organiser butent parfois sur certains obstacles comme cette mauvaise habitude purement algérienne de critiquer tout ce qui sort des cartons, et des difficultés de voyager en raison des tarifs élevés des billets d’Air Algérie et du manque de places dans les avions, d’obtenir son passeport algérien, de s’inscrire dans les consulats…

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