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Sadedin Merzoug : « L’obligation de réserve n’a jamais été l’obligation de se taire »

Sadedin Merzoug : « L’obligation de réserve n’a jamais été l’obligation de se taire »

La commission de discipline du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a décidé dimanche 30 mai de radier le juge Sadedin Merzoug du corps de la magistrature. Dans cet entretien, il revient sur le déroulement du procès et annonce qu’il ne fera pas appel à titre personnel de la décision du CSM.

Comment s’est déroulée votre comparution devant le Conseil de discipline du CSM ?

De prime abord, j’ai qualifié mon procès d’Orwellien, en raison du non-respect des procédures et l’atteinte au droit de la défense.

L’affaire tourne autour de la liberté d’expression du magistrat : où commence-t-elle et jusqu’où s’arrête-t-elle sans lien avec l’obligation de réserve ?

Il y est aussi question du droit des magistrats à se rassembler que l’Union internationale des magistrats (UIM), dont l’Algérie est membre, et que les décisions des Nations unies leur donnent le droit de s’exprimer et de tenir des rassemblements.

Je ne peux pas être, en tant que magistrat, garant des libertés et que j’en sois moi-même privé. Cette décision (de radiation) est lourde. C’est d’une gravité extrême que de radier un magistrat pour son droit.

Me Abdallah Haboul a remis en cause la composition des membres du conseil de discipline du CSM. Quel est votre avis là-dessus ?

Sur la composition du conseil, Me Abdallah Haboul a évoqué les huit membres dont le mandat a expiré au sein du CSM, quant à moi j’ai évoqué comme vice de forme la présence du DRH (directeur des ressources humaines) du ministère de la Justice au sein du Conseil de discipline du CSM alors qu’aucun texte ne lui donne le droit d’y siéger.

Allez-vous faire appel ?

Je ne vais pas introduire un appel auprès du Conseil d’État. C’est une décision personnelle. Je ne vous cache pas que je n’ai pas le temps pour cela. Si mes avocats veulent introduire le recours, ils peuvent le faire, moi non.

Quels sont les faits qui vous sont reprochés ?

Ce que l’on m’a reproché, c’était beaucoup plus un mélange d’accusations. Ils ont ressorti 40 articles, là je parle de l’arrêt de renvoi des services du ministère de la Justice.

Les reproches concernent l’histoire du Club des magistrats libres (créé en 2016 et dont le magistrat Merzoug est le porte-parole) auquel Louh (ancien ministre de la Justice sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika, NDLR) s’était opposé allant même jusqu’à radier des magistrats.

Moi-même j’avais été déféré devant le CSM en 2016, et le motif réel était bien le Club. On m’accuse d’avoir enfreint l’obligation de réserve et des prises de positions politiques et l’annonce (du Club des magistrats) de boycotter les élections du 5e mandat du 4 juillet 2019 (le scrutin devait avoir lieu en avril avant d’être reporté).

On m’a aussi reproché ma réaction aux propos de Belkacem Zeghmati (ministre de la Justice) contre les magistrats. Je tiens à signaler que je lui ai répondu à titre personnel en ma qualité de magistrat. Il n’y a pas d’obligation de réserve.

Le CSM, selon la nouvelle Constitution, est le garant de l’indépendance de la justice. C’est lui qui veille au respect des procédures de renvoi.

J’ai ressorti la position de Djamel Laidouni (ex-président du Syndicat des magistrats, NDLR) qui était prêt à superviser les élections du 5e mandat. Aussi, j’ai exhibé le document du Club des magistrats sur le boycott.

Logiquement, si notre position est politique, celle du SNM l’est tout autant. Le 25 janvier 2019, le Conseil national du SNM a fait une déclaration à l’APS affichant sa disponibilité à superviser le scrutin.

Le 7 mars, le Club des magistrats a publié un communiqué pour faire part de sa décision de boycotter l’élection. Cela étant, je n’étais pas le seul à l’époque à m’être opposé à ces élections, beaucoup de magistrats au niveau national partageaient ma position.

Concernant les élections du 5 juillet, j’ai ressorti la décision du Conseil constitutionnel dans laquelle il déclarait que les conditions d’impartialité et de transparence n’étaient pas réunies pour ces élections.

Cela signifiait un risque de fraude et au sein du Club des magistrats, on refusait en tant que magistrats qui sont sous serment de cautionner la fraude. On m’a accusé d’incitation à la grève et comme étant l’instigateur, alors que 98 % des magistrats ont soutenu, c’est assez inédit.

Votre différend avec l’actuel Garde des Sceaux, Belkacem Zeghmati, est de notoriété publique. Que pouvez-vous nous dire à ce propos ?

Je n’ai rien de personnel avec Monsieur Zeghmati. Lorsque celui-ci était mis à l’écart, c’était moi qui faisais face à Louh et pas lui. Il n’avait jamais eu l’audace de le confronter.

Je reviens sur cette question d’obligation de réserve, autant il (Zeghmati) a le droit de parler, moi aussi. Lorsque le premier président de la Cour suprême m’a interpellé sur ce sujet-là, je lui ai répondu que cette notion d’obligation de réserve était universelle et moi je me réfère aux notions universelles.

C’est comme la liberté d’expression, on ne peut pas parler d’une spécificité algérienne. Comme moi en tant que magistrat, je suis soumis à une obligation de réserve, Zeghmati aussi est soumis à cette même règle.

Il y a la liberté d’expression. Pour moi, l’obligation de réserve n’a jamais été l’obligation de se taire. La notion de l’obligation de réserve a été définie par le CSM en France et les arrêts du Conseil d’État français. C’est la même réglementation qui s’applique en Algérie.

À cela s’ajoute la Charte de Bangalore et la déclaration universelle des droits de l’Homme qui donnent aux magistrats le droit à liberté d’expression tant qu’elle n’enfreint pas l’obligation de réserve telle que définie par le Conseil d’État français.

Lorsque l’ancien président français Nicolas Sarkozy avait traité les magistrats de « petits pois sans saveur », les magistrats de tous les tribunaux français lui ont répondu.

Son successeur François Hollande a quant à lui accusé les magistrats de lâcheté. La réponse était venue du premier président de la Cour de cassation française et du procureur général de la Cour de cassation.

M. Hollande a ensuite été obligé de recevoir les deux magistrats à l’Élysée. À leur sortie, ils ont déclaré qu’ils n’acceptaient pas les excuses du président et les magistrats ont initié des actions de protestation au niveau des tribunaux, je crois même un boycott des audiences pendant une semaine suite à la bavure de François Hollande.

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