Économie

Sécheresse : l’Algérie doit choisir entre la pomme de terre et la pastèque

La tragédie du petit Rayan récemment décédé accidentellement après être tombé dans un puits dans le nord du Maroc a braqué les projecteurs sur les puits agricoles. Au Maroc, comme en Algérie, ce type de puits se multiplie.

La cause ? Des barrages aux deux-tiers vides et des agriculteurs en quête d’eau. L’Algérie a soif.

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70 % des ressources en eau vont à l’agriculture

Ces dernières années, la construction de barrages s’est accélérée et ce sont aujourd’hui près d’une dizaine de milliards de mètres cubes d’eau qui peuvent y être stockés.

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Sauf que cet hiver les pluies sont tombées sur la côte en aval. Or, l’agriculture a besoin de 70 % de l’eau mobilisable. Auparavant, l’irrigation concernait surtout les cultures maraîchères. Aujourd’hui il faut ajouter des milliers d’hectares plantés de pomme de terre, de fourrages et même de blé. Face à l’irrégularité des pluies, les services agricoles encouragent les céréaliculteurs à l’irrigation de leurs parcelles.

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Peu économe en eau, la culture par submersion avec la traditionnelle séguia (rigole) recule. Aujourd’hui l’irrigation se pratique par asperseurs. Celle-ci n’en demeure pas moins dispendieuse par rapport à la nouvelle technique du goutte à goutte.

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À El-Oued, des universitaires ont montré que ce nouveau mode d’irrigation utilisait 5 fois moins d’eau que l’aspersion par pivot rotatif.

Autorisation de forage

Face au déficit persistant en eau, les pouvoirs publics ont ouvert les vannes. Les services de l’hydraulique ont reçu pour consignes d’accélérer l’étude de demandes de forage.

Ces derniers pouvant atteindre une centaine de mètres de profondeur. Traditionnellement, la délivrance de ces autorisations se fait au compte-goutte.

Le but étant de préserver les nappes d’eau d’une surexploitation. L’urgence de la situation a bouleversé les précautions habituelles des services de l’hydraulique.

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Cependant, miser sur l’accroissement du nombre de forages n’augure pas forcément de disposer de plus d’eau. En effet, le niveau des nappes est lié à l’abondance des pluies et en période de sécheresse, ces nappes sont sujettes à un phénomène de rabattement.

Déjà, dans plusieurs régions, des agriculteurs disposant de puits réclament l’autorisation de forer au-delà des 100 mètres réglementaires quand cela ne l’a pas déjà été fait discrètement.

Agriculture, vers des économies d’eau

Le mot d’ordre d’économie de l’eau d’irrigation n’est pas nouveau. En janvier 2019, lors d’un atelier national, l’expert et consultant auprès du ministère des Ressources en eau Idir Baïs avait indiqué que : “L’Algérie devait adopter un plan national d’économie de l’eau d’irrigation des surfaces agricoles afin d’économiser plus de 450 millions mètres cubes en 2030, soit l’équivalent d’un barrage de moyenne capacité“. Ajoutant l’urgence “d’adopter un système d’irrigation des surfaces agricoles moderne moins gaspilleur de la ressource“.

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Une année auparavant, à l’occasion d’une journée de sensibilisation à l’économie d’eau à usage agricole, l’agence APS avait rapporté les observations du directeur de l’Agence du Bassin Hydrographique de la région Hodna-Soummam, Akkad Mehdi, selon lesquelles la technique d’irrigation du goutte-à-goutte n’était utilisée que dans 25 % des surfaces agricoles du pays.

L’ambiguïté du goutte-à-goutte

À cette occasion, une ingénieure agronome avait eu l’occasion d’inciter à l’utilisation du goutte-à-goutte. Ajoutant : “Elle permet à l’agriculteur d’économiser d’importantes quantités d’eau et de les utiliser pour l’irrigation d’autres surfaces agricoles“.

Mais une question se pose. Si l’eau économisée sert à l’irrigation d’autres surfaces agricoles, il n’y a pas réduction des 70 % pris par le secteur agricole et réclamés à cor et à cri par les habitants des derniers étages des immeubles dans les grandes villes.

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Il apparaît donc une ambiguïté entre augmentation de la productivité agricole et économie d’eau au niveau national. Cette ambiguïté n’est pas propre à l’Algérie.

On la retrouve au Maroc, patrie du petit Rayan. Dans la revue Alternatives Rurales, des universitaires rapportent le témoignage d’un agriculteur : “Le goutte-à-goutte mezyan (est bon). Il permet d’augmenter le rendement. Il est passé de 35T/ha à 60T /ha pour l’oignon, certains peuvent atteindre même les 90T/ha. L’augmentation du rendement nous a énormément motivé à installer le goutte-à-goutte“.

L’étude montre que lorsqu’un agriculteur adopte le goutte-à-goutte, il a tendance à aller vers des cultures plus gourmandes en eau, à étendre sa surface irriguée (en la louant en partie par exemple) ou même à densifier son verger en plantant de nouveaux arbres entre ceux déjà existant.

En Algérie, si la Mitidja se couvre de serres plastique, elle le doit à l’extension de l’irrigation par goutte-à-goutte et la demande en eau n’a jamais été aussi forte.

Plus de cultures économes en eau

Alors, un moyen d’économiser l’eau d’irrigation serait de se tourner vers des cultures économes en eau et celles dites stratégiques.

Selon les cultures, les besoins en eaux sont différents. La pastèque, fruit constitué de 90 % d’eau, nécessite beaucoup plus d’irrigation que la pomme de terre. Un agriculteur confie à TSA : “Mon frère utilise le goutte-à-goutte pour sa parcelle de pastèque, mais il doit les arroser matin et soir“.

La marge bénéficiaire est sans commune mesure avec celle dégagée par la pomme de terre. Pour les économistes, la pastèque est qualifiée de culture de rente.

De façon étonnante, dans la pratique, elle bénéficie du même niveau de subvention que la pomme de terre. Pour Idir Baïs, il s’agit d’aller vers “une révision à la hausse de la tarification de l’eau et de l’énergie notamment pour les cultures à forte valeur ajoutée“. Mais comment vérifier sur une facture d’électricité d’une motopompe ou celle d’un matériel d’irrigation la part destinée à chacune des deux cultures ?

Pour l’agronome Brahim Mouhouche, il s’agit de classer les cultures selon le concept d’eau virtuelle, c’est-à-dire selon leurs besoins potentiels en eau. En étendant ce concept aux importations et afin d’économiser les ressources locales en eau, il suggère de n’importer que les cultures nécessitant une grande quantité d’eau virtuelle. Ainsi, il est plus intéressant d’importer un kilo de sucre de canne qui nécessite 1 500 litres d’eau qu’un kilo d’orge qui n’en nécessite que 524.

700 000 mètres cubes/jour potentiels à stocker dans les nappes

En zone steppique, le haut-commissariat au Développement de la Steppe a remis à l’ordre du jour les méthodes ancestrales de construction de mares destinées à l’abreuvement des troupeaux ainsi que d’ouvrages de récupération des eaux de crue. Ces ouvrages présentent l’avantage de réalimenter les nappes d’eau souterraine.

Cependant, les actuelles délivrances d’autorisation de forage ne s’accompagnent d’aucune contre-partie : les irrigants ne sont pas sensibilisés à la mise en place de petits ouvrages réduisant le ruissellement et favorisant l’infiltration des eaux de pluie.

Selon Malek Abdeslam, directeur du laboratoire hydraulique de l’université Mouloud-Mammeri (Tizi-Ouzou), on assiste à un grave déficit de pluviométrie.

Le niveau de remplissage du barrage Taksebt est de 50 millions de mètres cubes, soit 29 % de ses capacités ; Keddara a emmagasiné 35 millions de mètres cubes grâce au transfert de Beni Amrane, soit un taux de 25 %, Koudiat Acerdoune est encore à moins de 5 % et les barrages de l’Est sont en baisse vu les faibles apports”, détaillait-il récemment au quotidien Liberté. Aussi cet universitaire propose la récupération massive des eaux des oueds dont celles du Sébaou déjà entamée depuis avril dernier.

L’universitaire s’alarme que “depuis novembre 2021, plus de 100 millions de mètres cubes d’eau ont atteint la mer“. Il propose de récupérer cette eau qui va couler jusqu’au mois de juin et de “la stocker dans les nappes qui bordent le Sébaou et dans le barrage Taksebt, tout en pompant dans les forages de grandes quantités pour alimenter les réseaux d’adduction à l’eau potable qui alimentent des milliers d’habitants”.

Malek Abdeslam précise que ce genre de projet est peu coûteux et peut être rapidement mis en œuvre ” contrairement aux grands projets de stations de dessalement qui prennent beaucoup de temps et nécessitent de gros budgets”.

De tels projets pourraient être mis en œuvre dans la Soummam et la Mitidja, et ainsi “réhabiliter les nombreux forages à l’arrêt pour servir d’appoint“. Quant à Brahim Mouhouche, il préconise l’utilisation du 1,2 milliard de mètres cubes d’eau épurée par les stations d’épuration des eaux usées sachant que seuls 5 % le sont contre 80 % dans certains pays.

La cause revenant au manque de raccordement des 150 à 180 stations existantes aux zones agricoles. Raccordement estimé à peine à 1 % du coût de ces stations. S’exprimant sur les ondes de la Radio algérienne (Chaîne III) à l’occasion d’une précédente sécheresse, il fustige également la façon de faire de ceux qui apportent plus d’eau que nécessaire et milite pour “une irrigation intelligente” à base de capteurs, les tensiomètres.

Des décisions douloureuses à venir

À l’avenir, les météorologues prévoient une plus grande fréquence d’hiver sans pluie. Dans de telles conditions les restrictions à l’irrigation ne pourraient que s’étendre. Quelle priorité accorder entre pomme de terre et pastèque ou entre pomme de terre et fraises voire bananes ? À l’heure où certains rêvent de plus d’exportations agricoles, faudra-t-il systématiquement installer des compteurs d’eau à chaque forage ?

Pour l’agronome Idir Baïs, “des réformes structurelles s’imposent à moyen terme dont l’axe central serait une plus grande organisation des utilisateurs et une large participation de ces derniers à la gestion de la ressource, et progressivement le transfert de la gestion des ouvrages hydrauliques de la petite et moyenne irrigation des pouvoirs publics vers des utilisateurs responsables et organisés“.

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