Économie

Stopper la fonte des réserves de change : la difficile équation du gouvernement

Après un silence officiel sur le niveau des réserves internationales de change de l’Algérie qui durait depuis le mois d’avril dernier, le gouverneur de la Banque centrale, Aïmen Benabderrahmane, a fini par s’exprimer. Il révélé, lundi 3 février, qu’elles se situaient à 62 milliards de dollars.

« Nous sommes à 62 milliards de dollars de réserves et c’est un niveau appréciable » a déclaré le gouverneur à l’issue d’une réunion de concertations avec les PDG des banques de la place.

La même satisfaction avait été exprimée par le président de la République lui-même lors de sa première conférence de presse au cours de laquelle il annonçait une « bonne surprise » pour les réserves de change.

Cette satisfaction partagée des responsables politique et économique algériens est sans doute l’expression d’un soulagement. On s’attendait en général en effet à un chiffre bien plus mauvais. La loi de finances prévoyait elle-même très officiellement un niveau de réserves d’à peine 60,1 milliards à fin 2019 tandis que diverses sources non officielles indiquaient qu’elles pourraient passer sous la barre symbolique des 60 milliards.

Une perte de 18 milliards de dollars en 2019

Ce résultat, un peu meilleur que prévu, constitue néanmoins une bien maigre consolation. Il indique principalement que les réserves qui se situaient à 79,9 milliards de dollars à fin 2018 ont de nouveau diminué de près de 18 milliards de dollars au cours de l’année écoulée.

Circonstance aggravante, cette nouvelle et forte érosion s’est produite dans un contexte de cours pétroliers relativement élevés. Selon des informations récentes de la Banque d’Algérie, le prix du baril a atteint en moyenne un niveau proche de 65 dollars en 2019.

On retiendra également que les fortes coupes dans les importations réalisées au cours de l’année dernière, qui ont permis selon les premiers chiffres communiqués par les Douanes algériennes de les réduire globalement de près de 3,5 milliards de dollars, n’ont pas empêché la copie rendue en 2019 d’être encore plus mauvaise que celle de 2018 qui avait vu les réserves baisser de « seulement » 17 milliards.

Comme le lait sur le feu

Les regards des spécialistes se tournent désormais vers l’année 2020.C’est d’ailleurs le président Tebboune lui-même qui invitait à le faire au cours de sa récente rencontre avec des responsables de la presse nationale en indiquant qu’il comptait sur une « stabilisation » du niveau de nos réserves dès la fin du premier trimestre prochain.

Au centre de la démarche qui a commencé à être mise en œuvre depuis plusieurs mois, on trouve la volonté de l’Exécutif de déjouer le pronostic très largement partagé suivant lequel notre pays s’orienterait inévitablement vers une situation de faillite financière à l’horizon 2022 et aurait un rendez-vous avec le FMI à cette échéance.

Dans le but de préserver l’indépendance de la décision économique nationale, les réserves de change sont désormais surveillées comme le lait sur le feu

La plupart des décisions prises au cours des derniers mois visent ainsi à prolonger la durée de vie des réserves financières du pays. Depuis les quotas d’importations imposés aux constructeurs automobiles jusqu’à l’obligation de rechercher des financements à crédit pour les entreprises de produits électroménagers et l’interdiction récente d’importer pour les usines de téléphones mobiles.

La liste ne s’arrête pas là et s’étend désormais aux produits de première nécessité puisque le Conseil du gouvernement réuni le 20 novembre dernier avait décidé de plafonner les importations de blé tendre à 4 millions de tonnes contre plus de 6 millions de tonnes en moyenne au cours des dernières années.

Les objectifs financiers recherchés par les autorités algériennes ont été consignés explicitement dans un document annexé au projet de loi de finances 2020. Les prévisions des autorités algériennes pour l’année prochaine et jusqu’à 2022 sont très ambitieuses. Elles affichent en effet un objectif de réduction du déficit de la balance des paiements et des réserves de change à moins de 10 milliards de dollars en 2020 et même seulement 5 milliards en 2021 et 2022.

Un tel scénario financier permettrait ainsi de gagner du temps en laissant le nouveau dispositif législatif produire des effets en matière d’attraction des investissements étrangers et de relance de la production et des exportations d’hydrocarbures.

Des pronostics exagérément optimistes pour 2020

Les chances de succès de cette démarche, qui semble aujourd’hui avoir été endossée par l’ensemble du système institutionnel algérien, paraissent cependant pour l’instant assez minces et devraient être contrariées dès cette année par plusieurs facteurs.

La faiblesse des cours pétroliers devrait être un premier handicap. Actuellement proches de 55 dollars, ils sont largement inférieurs à ceux de l’année dernière et la quasi-totalité des pronostics d’institutions spécialisées s’accordent pour prévoir des cours inférieurs à 60 dollars en 2020.

L’objectif de recettes d’exportations pétrolières fixé à 35 milliards de dollars par la loi de finance 2020 pourrait ainsi se révéler difficile à atteindre dans un contexte où les quantités d’hydrocarbures exportées semblent elles mêmes soumises à de fortes pression suivant beaucoup d’informations concordantes rendues publiques au cours des derniers mois.

Un autre objectif pourrait se révéler difficile à atteindre au cours de l’année à venir. Les autorités algériennes prévoient en effet une nouvelle et très forte réduction des importations de biens et services en 2020.

On commence déjà à mesurer les résultats des coupes sombres réalisées dans les importations en 2019. Les associations patronales du secteur public aussi bien que du secteur privé sont montées récemment au créneau pour dénoncer le marasme actuel de beaucoup d’entreprises et de secteurs entiers de l’économie pénalisés par les quotas d’importations et les conditions de leur financement.

Cette démarche qui fait désormais, selon les commentaires récents de beaucoup de spécialistes, peser une menace sérieuse sur l’emploi et la paix sociale pourra-t-elle se poursuivre et être même amplifiée en 2020 ainsi que le prévoit la Loi de finances qui annonce une nouvelle réduction des importations de marchandises de plus de 3 milliards de dollars et une réduction de la facture des services de plus de 15% ?

Un dernier facteur imprévu pourrait en outre brouiller les pronostics très optimistes des autorités algériennes. Les objectifs fixés pour 2020 n’ont en effet pas tenu compte des décisions récentes d’appliquer le droit de préemption de l’Etat sur la vente de plusieurs actifs pétroliers par des compagnies étrangères.

Au total, ces décisions annoncées officiellement en décembre dernier pourraient se traduire par une ponction supplémentaire de près de 4 milliards de dollars sur les réserves de change en 2020.

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