Société

À Alger, le gaspillage du pain prend de l’ampleur pendant le Ramadan

La vidéo fait le buzz sur les réseaux sociaux. Elle est signée de la Chaîne II de la Radio algérienne. Dans un entrepôt de la capitale, des employés déchargent précautionneusement des cartons.

Ils s’entassent à l’intérieur, on en dénombre une centaine à côté de sacs plastiques. Les cartons ouverts laissent apparaître leur contenu : du pain.

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Il y en a de toutes les sortes : des baguettes, des pains ronds, du pain brioché, parfois de simples morceaux de pain. Sur l’uniforme des employés, le sigle Netcom : l’entreprise de collecte des ordures ménagères.

Un employé ouvre un sachet en plastique, dedans 6 pains ronds. « C’est chaque jour la même chose. Là, ce tas, c’est le pain collecté hier. Et ce tas, c’est le pain collecté ce jour. Regardez, le pain est frais », explique l’employé en saisissant un pain « Regardez, celui-là il est frais. Et celui-là aussi. On dirait qu’ils achètent du pain pour le jeter et pas pour le manger ».

Au-dehors, le camion Netcom est encore chargé de dizaines de cartons remplis à ras bord. « Nous ramassons du pain de 7 h 00 du matin jusqu’au soir. Nous avons une équipe le matin et une autre le soir. Le pain est jeté à toute heure. C’est une perte. D’autant plus que c’est un produit soutenu par l’État », ajoute-t-il.

Du pain revendu aux éleveurs de bétail

Le phénomène est tel, qu’il a suscité des vocations. « Je récupère le pain jeté par les ménages pour le revendre aux éleveurs de bétail », confie au quotidien El Watan Yacine, 28 ans, diplômé en informatique et sans emploi depuis quatre ans. Dans les souks à bestiaux, il n’est pas rare de voir à côté des sacs d’orge des sacs de pain sec.

Le quotidien avait consacré en 2017 tout un dossier à cette nouvelle profession : récupérateur de pain. Les témoignages sont nombreux.

« Trop orgueilleux, je n’ai jamais imaginé un jour collecter du pain sec et le revendre pour me prendre en charge socialement. Ce n’est peut-être qu’une activité passagère, mais, en attendant, le créneau est porteur », raconte Sofiane, 22 ans, ancien bachelier.

Et de poursuivre : « Un sac de 20 kg est revendu entre 150 et 200 DA. Mais, comme nos concitoyens sont de grands gaspilleurs, nous arrivons à ramasser jusqu’à 10 sacs par jour. On ne s’enrichit pas, mais c’est une rentrée d’argent honnête en attendant des jours meilleurs ».

Une activité qui ne s’improvise pas

Pour Omar, c’est un concours de circonstances qui l’a amené à collecter le pain sec dans les rues de Tlemcen. « J’ai travaillé chez un fermier comme homme à tout faire. J’ai remarqué qu’il donnait à ses bovins du pain sec et c’est donc tout naturellement que je lui avais demandé comment il pouvait obtenir tant de sacs de pain rassis pour nourrir ses bêtes. Sa réponse m’a fait changer de destin : avec mes deux enfants, je récupère le pain dans les rues, dans les cages d’escalier [des immeubles] ».

L’activité ne s’improvise pas. Ainsi Abdallah 45 ans, ouvrier dans le bâtiment, explique : « J’ai eu l’idée de faire du porte-à-porte et signé une sorte de contrat moral avec des ménages pour qu’ils me laissent de côté cette denrée. Dans chaque quartier, j’ai chargé un enfant pour la récupération chaque matin. Le transport jusqu’au hangar que j’ai loué se fait à l’aide de brouettes ».

Des bacs à pain disposés dans la capitale

Les quantités de pain sec jeté sont telles que des bacs à pain ont été disposés dans la capitale. Selon l’APS, en 2018 ce sont 190 tonnes de pain qui ont été récupérées dans la seule capitale.

Le coût annuel de ce gaspillage de pain est évalué à 340 millions de dollars. Aussi, les autorités ont décidé de réagir. En décembre 2019, le gouvernement avait dévoilé un plan de lutte contre le gaspillage du pain basé sur la sensibilisation des consommateurs avec comme slogan « Je ne gaspille plus : rien ne se perd, tout se récupère ».

À l’étranger, des boulangers ont lancé une “farine” obtenue à partir de pain sec. En Algérie qui est l’un des plus grands importateurs de blé au monde, des voix s’élèvent pour réclamer la vérité des prix ou au moins, comme en Égypte, cibler le soutien des prix afin d’assurer aux seuls ménages à faible revenu l’accès au pain subventionné, à travers une carte à puce.

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