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Abdelaziz Bouteflika, l’homme qui voulait mourir au pouvoir

Abdelaziz Bouteflika, l’homme qui voulait mourir au pouvoir

La vie de l’ex-président de la République Abdelaziz Bouteflika, décédé vendredi soir à l’âge de 84 ans, est un chassé-croisé de gloires et de déchéances.

Enfance difficile dans une modeste famille algérienne établie à Oujda (Maroc), commandant de l’ALN, ministre à 25 ans, chef de la diplomatie algérienne dans ses heures les plus fastes, longue traversée du désert faite d’exil et de déboires judiciaires, retour en triomphe au plus haut poste de responsabilité de la République algérienne et enfin chute brutale sous la pression de la rue et de l’armée.

Malgré les épisodes difficiles, on ne peut pas dire que la vie ne l’a pas gâté. L’homme a presque toujours fini par obtenir ce qu’il voulait. Presque, car son dernier vœu, celui pour lequel il a consacré une partie de son énergie pendant qu’il présidait aux destinées de l’Algérie, n’a pas été exaucé. Celui de mourir sur le fauteuil présidentiel.

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Vendredi 17 septembre 2021, il est mort à 84 ans dans la solitude de sa résidence médicalisée de Zéralda, deux ans et demi après avoir quitté le fauteuil auquel il tenait « comme Harpagon à sa cassette », pour reprendre la formule de Noureddine Boukerouh. Abdelaziz Bouteflika aurait pu se faire une autre place dans l’Histoire sans cette obsession à rester au pouvoir.

Son étoile a commencé à scintiller dès le lendemain de l’indépendance. Son ascension fulgurante reste jusqu’à aujourd’hui un mystère. Ministre de la Jeunesse et du Tourisme à seulement 25 ans dans le premier gouvernement d’Ahmed Benbella, il devient très vite, à 26 ans, ministre des Affaires étrangères.

Un poste qu’il gardera jusqu’à la mort du président Houari Boumediene en 1978. Il a dirigé pendant 13 ans la politique étrangère de ce dernier, avec ses hauts faits d’armes.

En 1974, à seulement 37 ans, il préside l’assemblée générale des Nations-Unies. Lorsqu’une maladie foudroyante emporte Boumediene fin 1978, Bouteflika se voit comme son successeur naturel.

Beaucoup d’Algériens l’avaient cru aussi quand ils l’ont vu lire, en pleurs, l’oraison funèbre au cimetière d’El Alia. Mais des poids lourds de l’armée et du parti unique avaient d’autres projets et Bouteflika est écarté au profit d’un militaire : Chadli Bendjedid, colonel et chef de région.

« Je suis toute l’Algérie »

Bouteflika ne perd pas que son ambition. Il cède aussi son poste de ministre et doit faire face à l’anathème de l’accusation de détournement de fonds. La Cour des comptes lui reprochait d’avoir mis dans sa poche les reliquats des ambassades d’Algérie à l’étranger pendant de longues années.

Commence alors une longue traversée du désert pour lui. Il partage son temps entre la Suisse et les monarchies du Golfe et attend patiemment son heure.

En 1994, alors que le pays était à feu et à sang, il est sollicité par les militaires. Il donne son accord, puis se dérobe. Pour lui, c’est tout ou rien. Il le dira franchement lorsqu’il reviendra aux affaires : « Je ne veux pas être un trois quarts de président ».

Il se raconte que le soir même de son élection, en avril 1999, il aurait menacé de se retirer si on ne gonflait pas son score. Son ambition s’affichait déjà. Il voulait le pouvoir, tout le pouvoir et pour longtemps. « Je suis toute l’Algérie », dira-t-il plus tard.

En quatre ans seulement, il décourage la concurrence et fait résigner tout le monde. Une partie du pouvoir a tenté de le dégommer en 2004 au profit d’Ali Benflis, mais Bouteflika résiste. Il n’arrache pas seulement un deuxième mandat.

Sa réélection lui permet aussi d’obtenir la démission du chef de file de ses adversaires, le très puissant chef d’état-major de l’armée Mohamed Lamari. Le deuxième mandat, la hausse des prix du pétrole aidant, sera celui de la mise au pas de toute la société. Au point où il parvient presque sans résistance à modifier la Constitution en 2008 pour faire sauter le verrou de la limitation des mandats, introduite par son prédécesseur Liamine Zeroual en 1996.

Son ambition est de rester président à vie et rien ne lui fera entendre raison. Pas même un grave AVC qui le clouera sur un fauteuil roulant à partir de 2013. En 2014, contre toute attente et bon sens, il brigue un quatrième mandat. Encore une résistance dans l’institution militaire et nouvelle victoire de Bouteflika, même diminué.

En 2015, l’inamovible chef des services secrets, le général Toufik, est dégommé d’un trait de plume et son redoutable DRS démantelé. Beaucoup imputent la déchéance de Toufik à son opposition au projet insensé de quatrième mandat.

« Le mandat de trop »

Ce sera en effet le mandat de trop. Incapable d’assumer pleinement ses fonctions, apparaissant rarement en public, le président cède peu à peu ses prérogatives.

Son frère et conseiller, Saïd, est présenté comme le véritable régent de la vie nationale. En novembre 2015, 19 personnalités nationales, dont des figures de la révolution, saisissent officiellement le président pour savoir si c’est bien lui qui prend les décisions.

L’opposition, qui a repris du poil de la bête, dénonce une déliquescence jamais vue de l’État et la société assiste ahurie à la généralisation de la corruption. Bouteflika fait des apparitions rares à la télévision, à chaque fois dans un état lamentable, comme lorsqu’il a reçu le Premier ministre français Manuel Valls en avril 2016.

Le président était soupçonné un temps de vouloir organiser la succession au profit de son frère. Lourde erreur. Bouteflika voulait mourir au pouvoir, coûte que coûte.

Tout le monde le comprendra définitivement lorsque, même incapable de déposer en mains propres son dossier au Conseil constitutionnel, il annonce, début 2019, sa candidature pour un cinquième mandat.

Pour les Algériens, c’est l’humiliation de trop. Le 22 février, ils sortent en masse dans tout le pays et donnent le coup d’envoi à ce qui sera le Hirak populaire qui tordra le cou à cette ambition démesurée.

Jusqu’à la dernière minute, Bouteflika a résisté et manœuvré pour ne pas partir. Il a même quémandé un demi-mandat de deux ans. Mais le peuple était déjà par millions dans les rues et l’armée, colonne vertébrale du système politique algérien, n’avait plus le choix.

Elle obtiendra sa démission le 2 avril 2019 après un coup de semonce mémorable de son chef, le général Gaïd Salah, deux jours plus tôt. Il était écrit que le dernier vœu de Abdelaziz Bouteflika ne sera pas exaucé.

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