Politique

Algérie- France : la diaspora prise en tenaille

Les relations entre l’Algérie et la France traversent une crise ouverte sans précédent sur fond d’un contentieux mémoriel et des désaccords d’ordre politique, économique et géostratégique.

De tout ce qu’ils partagent en commun, la diasporaconstitue l’élément qui peut éviter aux deux pays d’arriver à la rupture totale. Les deux pays sont conscients de l’importance de cette dimension humaine de leur relation les oblige à transcender les crises.

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Une très forte communauté algérienne est établie en France. Elle est essentiellement constituée des émigrés anciens ou nouvellement installés et de leurs descendants dont beaucoup ont la double nationalité algérienne et française, sans oublier les descendants d’anciens harkis.

Certains avancent le chiffre de 5 millions, mais personne ne connait le nombre de Français ayant des origines algériennes, la loi dans ce pays interdisant les statistiques « ethniques ». On sait en revanche que le poids de la diaspora algérienne n’est pas négligeable.

Elle est aujourd’hui une communauté incontournable dans la vie nationale française, donc dans les échéances électorales et le débat politique. Les réussites sont très nombreuses dans le domaine de la culture, du sport, des médias mais aussi de la médecine, de la politique ou des affaires.

Et ce n’est pas un hasard si on en parle plus que d’habitude à l’approche d’élections. C’est ce à quoi on assiste à six mois de la présidentielle du printemps prochain.

L’immigration et la place de l’Islam en France se sont imposés comme thème central du débat par la faute de la montée des extrémismes et l’irruption du probable candidat Eric Zemmour, lui-même d’origine algérienne.

Les Algériens de France sont comme pris en tenaille et subissent les contrecoups dans cette dégradation des relations entre les deux pays.

Mais ils sont dans le même temps courtisés et par les autorités de leur pays d’origine et par les postulants à la gestion des affaires de leurs pays d’accueil.

L’ambassadeur d’Algérie en France, Mohamed Antar Daoud, qui se trouve à Alger suite à son rappel dans le sillage de la crise déclenchée par les propos du président Emmanuel Macron le 30 septembre dernier, s’est exprimé sur la question mercredi dernier.

« Je dis que la double, la triple ou la quadruple nationalité doit constituer un atout pour les Algériens (…). Et il nous appartient de faire en sorte que ceux qui veulent investir en Algérie ne soient pas confrontés à un parcours du combattant », a déclaré le diplomate au Forum du journal El Moudjahid, plaidant pour un meilleur rôle de la diaspora tant en Algérie qu’en France.

« Il est inadmissible que l’Algérie, qui possède la plus grande communauté étrangère en France avec 18 consulats, ne puisse pas constituer un levier de commande pour intervenir non seulement dans la politique algérienne, mais (aussi) au niveau de la politique française », a-t-il dit.

Plus qu’un poids électoral

En août dernier, le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, avait salué publiquement l’apport des Algériens de l’étranger lors de la double crise de l’oxygène et des incendies.

Le 15 juillet, il avait évoqué  une nouvelle orientation stratégique vis-à-vis de la diaspora, insistant sur la nécessité  de « créer des passerelles avec les membres de la communauté en vue de permettre à cette dernière de contribuer à la construction nationale comme par le passé ».

En France, bien qu’il n’existe pas de mouvement des Algériens dans ce pays, les membres de la communauté sont toutefois courtisés pour leur poids électoral. En 2017, juste avant l’élection présidentielle, Emmanuel Macron s’est rendu à Alger où il a qualifié le colonialisme de « crime contre l’humanité ».

Un geste que les analystes expliquent comme un clin d’œil à la forte communauté algérienne de France. Bien qu’on l’accuse de rétropédalage pour tenter d’enrayer la montée du courant extrémiste en tenant ses propos controversés du 30 septembre dernier, Macron sait qu’il ne peut pas complètement tourner le dos aux Algériens de France, pour les besoins de sa réélection mais aussi pour empêcher les relations avec l’Algérie de se dégrader davantage.

Apprécié par une partie de la diaspora pour les gestes qu’il a fait pour faire la paix des mémoires entre les deux pays qu’aucun autre président français n’a osé faire avant lui, Emmanuel Macron, qui joue l’équilibriste, son sport favori en politique, cherche à tenir d’une main les franco-algériens, et de l’autre son électorat de droite, sans lequel il est difficile pour lui de rester à l’Elysée pour un seconde mandat.

« Si Macron jouit d’un capital confiance auprès de franco algériens pour tout ce qu’il a fait sur la mémoire notamment et l’envoi de Canaders pour éteindre les incendies qui ont ravagé les forêts d’Algérie cet été, il doit mieux faire sur l’intégration politique et socio-économique ou la lutte contre les discriminations . Il n’y a aucun ministre d’origine algérienne et les attentes sont fortes », estime Farid, chef d’entreprise franco-algérien.

Fatiguée par les crises interminables entre l’Algérie et la France et inquiète, la diaspora algérienne vit un malaise parce d’abord, elle est attachée aux pays, et ensuite, elle lui est difficile de choisir facilement son camp, dans cette nouvelle crise.

« Nous avons besoin d’une relation apaisée et ambitieuse où nous serons au premier rang et non plus des spectateurs car nous sommes le trait d’union naturel, résume Farid. On continue de faire sans nous et cela ne peut pas marcher ».

En remettant en cause l’existence de la nation algérienne avant la colonisation française, Emmanuel Macron a réussi à irriter au même les Algériens et les Franco-algériens, y compris les adversaires politiques du pouvoir algérien. Il a touché à leur identité.

Le président Macron doit clarifier sa position et rectifier le tir s’il veut réduire séduire la diaspora qui peut jouer un rôle clé dans la crise actuelle entre les deux pays, et en prévision de la présidentielle français du printemps prochain. 

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