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Chiffres du Covid, variants, frontières : entretien avec le Pr Belhocine

Chiffres du Covid, variants, frontières : entretien avec le Pr Belhocine

Le Pr Mohamed Belhocine, éminent épidémiologiste, revient dans cet entretien sur la hausse des cas de Covid-19 en Algérie, la vaccination, le variant Delta, les chiffres du Covid et la réalité du terrain, et la réouverture des frontières et l’allégement des mesures réclamés par certains experts.

Quelle évaluation faites-vous de la situation épidémique en Algérie ?

Par tous les critères que nous pouvons avoir, à la fois formels et informels, la situation actuelle prête à beaucoup de préoccupations si ce n’est pas d’inquiétudes.

Je pense que le nombre de cas annoncés tous les jours est une sous-estimation de la réalité, pour plusieurs raisons. Premièrement, tous les cas ne vont pas à l’hôpital.

Deuxièmement, les cas qui vont dans le secteur privé ne sont pas comptabilisés. Troisièmement, on reste sur le critère de la RT-PCR pour dire les nouveaux cas alors même que nous avons aussi les tests antigéniques qui sont susceptibles de révéler les cas.

Ce qui veut dire que le nombre de nouveaux cas que nous avons est une estimation, certes très utile, mais qui ne doit pas nous rassurer outre mesure parce que la réalité des faits est au-dessus de ce chiffre.

Ceci est admis partout dans le monde que les chiffres déclarés sont une sous-estimation de la réalité de l’épidémie dans la population. Même les chiffres de décès dans les pays où le système d’information sanitaire est extrêmement rigoureux ne reflètent pas la réalité. Récemment il a été conclu qu’en fait les chiffres de mortalité par la Covid-19 déclarés par les pays sont aussi une sous-estimation de la réalité.

Le deuxième point, c’est qu’informellement lorsqu’on a des collègues qui nous appellent des différentes régions, des différents hôpitaux, y compris les pharmaciens en officines privées, tout le monde nous dit qu’il y a une augmentation inquiétante du nombre de cas, aussi bien en ce qui concerne les médecins qui sont en pratique libérale que les pharmaciens qui reçoivent des gens qui viennent s’automédiquer soi-disant pour des rhumes ou parfois viennent directement demander le traitement anti-Covid sans passer par la case des tests.

Donc tout ceci pour dire que je pense que la situation doit nous inquiéter plus que cela. Je pense qu’avec l’été qui arrive et les regroupements sociaux de différentes natures que nous connaissons pendant cette période chaude doivent nous inciter à beaucoup plus de prudence.

Le troisième élément, c’est que très récemment le directeur général de l’OMS a dit dans sa déclaration que nous faisons face à un danger démultiplié en rapport avec une transmission beaucoup plus rapide du variant Delta, qui a été identifié pour la première fois en Inde et qui circule en Algérie aussi.

Ce variant a une capacité de transmission beaucoup plus grande que les autres et il est en train de se transmettre tellement vite que les pays qui considéraient qu’ils avaient vaincu l’épidémie comme la Nouvelle-Zélande ou l’Australie viennent de décréter à nouveau des confinements stricts.

« Il est malheureux de dire que ça peut coûter cher en vies humaines »

On le voit sur le terrain, il n’y a aucun respect des mesures barrières. Il y a un relâchement total. Peut-être que ces chiffres communiqués quotidiennement, qui ne reflètent pas la réalité, c’est ce qui fait que la population aujourd’hui abandonne les mesures de prévention…

Oui, c’est un malheureux relâchement. Je ne pense pas que ce soit uniquement les chiffres qui fassent cela, même si c’est certain que si on a l’impression qu’il ne se passe rien et qu’en même temps on a des chiffres qui ont tendance  à rassurer, on peut se laisser aller à ne pas se protéger.

Mais il y a aussi le niveau de conscience général, le respect par les individus mais aussi le masque dont le port est obligatoire normalement dans les endroits fermés, or on ne voit personne essayer de faire respecter cette mesure.

Au début, on ne pouvait pas rentrer dans une grande surface sans porter le masque car le propriétaire allait vous rappeler à l’ordre. Ces rappels à l’ordre ont disparu.

Donc il y a à la fois l’exécution de la mesure et ceux qui sont chargés de faire respecter les mesures qui ont été prises. C’est un tout. Je crois que nous sommes dans une situation où il y une espèce d’abandon individuel et collectif des mesures de prévention.

Il est malheureux de dire que ça peut coûter cher en vies humaines et en termes de dépenses publiques puisque à chaque fois qu’il y a un patient, c’est une équipe médicale mobilisée, c’est de l’oxygène, c’est des médicaments… En plus de la facture de souffrance humaine et de décès, la facture économique est énorme.

Je pense qu’il y a lieu de souhaiter qu’un redressement et un sursaut bénéfique ait lieu, à la fois au niveau de la citoyenneté et aussi au niveau de tous ceux qui sont chargés de faire respecter les mesures édictées par le gouvernement.

La distanciation n’est plus respectée. Vous avez vu les bus qui sont bondés, les gens qui se rassemblent sans port de masque, les gens qui s’enlacent, les mariages qui ont repris avec l’apparition du beau temps…

Il faut que tout un chacun y mette du sien si on ne veut pas avoir une flambée qui peut être véritablement plus douloureuse que les flambées précédentes.

 « Mais faites-vous vacciner chaque fois que vous en avez l’occasion. »

La campagne vaccination anti-Covid peine à prendre sa vitesse de croisière. En plus, il y a toujours la réticence des Algériens à se faire vacciner. Que faut-il faire ?

Je n’ai aucun chiffre précis sur le nombre de gens qui se sont fait vacciner. Je ne peux pas vous dire si ça a démarré, si ça s’accélère ou pas. On n’a pas de données précises de l’évolution du nombre de personnes vaccinées depuis le début de la campagne de vaccination. Si j’avais ces chiffres, je pourrais commenter de façon plus rigoureuse.

Mais pour parler de façon globale, on sait que le variant Delta est inquiétant. Il est en train de faire remonter les chiffres presque partout. Mais ce qui est absolument certain, c’est que les décès provoqués par le variant Delta surviennent en très grande majorité, pour ne pas dire presque exclusivement, chez les sujets non vaccinés. Ce qui veut dire que la vaccination protège contre les décès dus à la maladie, y compris lorsqu’on est atteint par le nouveau variant Delta.

C’est pour cela que chaque fois que quelqu’un a une occasion de se faire vacciner, il est vivement encouragé à le faire. Ce n’est pas le type de vaccin qu’il importe de regarder, c’est la première occasion de se faire vacciner qu’il importe de regarder.

Bien sûr, les médecins vous diront après en fonction de l’âge les modalités de vaccination, les durées entre les deux doses et que vous ne soyez pas dans les groupes des contre-indications, etc.

Mais faites-vous vacciner chaque fois que vous en avez l’occasion. C’est une protection importante contre une issue fatale si on est infecté par le Covid de manière générale ou le variant Delta.

Certains experts en Algérie parlent d’un variant algérien. Est-ce qu’il existe ?

Je n’ai pas beaucoup de détails sur cette information que j’ai eue comme vous via la presse. Des variants, il y en a des multitudes. Je crois avoir dit ça dans une émission précédente.

Tous les jours le virus mute. L’OMS et les experts à l’échelle internationale ne regardent que les variants appelés à « suivre avec intérêt » ou les variants « préoccupants ».

Parce que de petites variations sur la structure du virus, il y en a tous les jours un peu partout. Ça devient important lorsque les mutations peuvent entraîner des modifications dans l’expression de la maladie chez l’Homme ou bien lorsque les modifications entrainent une transmissibilité beaucoup plus grande comme pour le variant Delta.

Donc, qu’il y ait des variants algériens n’a rien d’étonnant même si je ne connais pas le détail de comment on est arrivé à dire qu’il y a ce variant. Mais ce n’est pas étonnant que le virus mute en Algérie comme il a muté en Inde, au Brésil, en Afrique du Sud ou en Grande Bretagne.

Il n’y a pas de raison que le virus n’ait pas muté chez nous, sauf qu’il peut muter et n’avoir aucune espèce de conséquence ou peut-être même ces mutations peuvent rendre ce virus moins virulent. Donc, qu’il y ait un variant algérien, attendons pour voir de plus près de quoi il en retourne.

« L’Algérie a adopté une méthode qui n’est ni maximaliste, ni minimaliste »

L’Algérie a ouvert partiellement les frontières le 1er juin. Un dispositif sanitaire a été mis en place. Aujourd’hui, certains experts appellent à l’allègement de ce dispositif sanitaire imposé à nos ressortissants. Que dit le professeur Belhoucine ? 

Le dispositif mis en place est destiné à filtrer pour essayer d’éviter au maximum l’introduction pas de nouveaux cas mais d’un éventuel nouveau variant. C’est cela le souci.

Comme c’est la mobilité humaine qui a été le vecteur principal de l’expansion de l’épidémie aussi massivement, le souci de tous les pays est d’éviter d’introduire des variants qui n’existaient pas à l’origine.

Pour cela, nous disposons de plusieurs filtres. Le premier des filtres est la PCR négative qui indique qu’au moment où vous avez été testé, vous n’étiez pas porteur du virus.

Mais on sait qu’il peut y avoir une PCR négative chez quelqu’un d’infecté, on rajoute quelques jours de confinement et on surveille qu’il n’y ait pas de symptômes qui apparaissent avant de refaire un test à la fin du confinement.

L’Algérie a adopté une méthode qui n’est ni maximaliste, ni minimaliste, qui est un peu utilisée partout. Il a été décidé d’avoir une RT-PCR négative de moins de 36 heures plus cinq jours de confinement avec une PCR à la fin avant de libérer les gens si le test est négatif. Vous pouvez l’alléger ou le rendre plus strict.

Si vous le rendez plus strict, vous avez moins de risques encore de laisser passer un variant nouveau et de vous retrouver dans une situation d’aggravation de l’épidémie.

Vous pouvez l’alléger et vous consentez à un risque un peu plus grand de voir introduire un variant qui va échapper au radar des contrôles aux frontières. C’est une question de quel risque on accepte de prendre à l’arrivée aux frontières.

«  Nous n’en avons pas fini avec cette épidémie »

Pour terminer, un dernier message aux Algériens…

Le seul message qu’on peut donner, c’est véritablement que nous n’en avons pas fini avec cette épidémie. Le variant Delta est un variant mortel, en particulier chez les sujets à risque mais aussi chez les sujets plus jeunes. La vaccination est une très bonne protection une fois qu’on l’a complétée. Vaccinez-vous à chaque fois que vous en avez l’occasion, mais surtout respectez les mesures barrières. Protégez-vous.

Je sais que c’est ennuyeux de porter un masque mais je préfère avoir un peu de difficultés à respirer et me savoir en bonne santé et savoir que je suis en train de protéger les miens plutôt que d’avoir à souffrir et pleurer la disparition des nôtres.

Nous avons suffisamment d’amis, de cousins, de frères, de parents, de collègues qui sont touchés par cette épidémie pour que nous puissions nous permettre le luxe de nous comporter comme si de rien n’était et comme si cette épidémie n’était pas pour nous endeuiller davantage et nous coûter davantage cher en termes économiques.

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