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En France, une bizarrerie judiciaire favorise les squatteurs de logements

En France, une bizarrerie judiciaire favorise les squatteurs de logements

Le logement d’un habitant de Neuilly-sur-Seine, banlieue huppée de la capitale française, a été investi par un couple et deux enfants en bas âge pendant son absence début novembre.

Alors que Serge, 60 ans, retraité, se trouvait dans le sud de la France pour rendre visite à son père malade, des squatteurs en ont profité pour s’approprier son appartement de 60 m² dans une résidence cossue de Neuilly, rapporte le journal Le Parisien.

Ubuesque 

Ni la résidence ultra-sécurisée, ni la serrure haute sécurité avec bloc-cylindres installée par le propriétaire, n’ont permis de dissuader les squatteurs de s’introduire dans l’appartement. Mieux, ils se sont même appropriés les lieux. « Ils ont changé les serrures, modifié le contrat EDF et se sont littéralement installés », raconte Serge.

« Je n’ai réalisé ce qui se passait que plusieurs jours après, quand mon syndic m’a appelé pour me prévenir qu’un homme avait essayé de se faire passer pour moi afin d’obtenir un badge d’accès au parking. Hélas, il était trop tard…», poursuit le retraité, désemparé par la situation ubuesque.

Les occupants, qui ne sont manifestement pas dans le besoin selon Me Nejma Labidi, l’avocate du propriétaire, ont d’ailleurs procédé à quelques aménagements. « Un écran géant dernier cri » et « un énorme frigo américain », rapporte Serge, selon un constat d’huissier, dressé le 5 janvier dernier.

Cette situation n’est pas inédite. En 2015, Maryvonne, 83 ans, délogée de sa maison à Rennes par des squatteurs, avait fait la une de l’actualité pour une situation similaire. Plus récemment, la maison de Youcef, 76 ans, à Garges-lès-Gonesse (Val d’Oise), s’est retrouvée squattée par des Roms. Il a fallu qu’un groupe de jeunes du quartier s’en mêle pour que Youcef récupère son pavillon.

Un délai de 48h pour signaler des squatteurs

De son côté, Serge dit se sentir abandonné. L’infortuné estime que la loi française n’est pas de son côté. Et aussi aberrant que cela puisse paraître, le tort de Serge est bien de s’être absenté trop longtemps de son appartement.

En effet, en France, il faut savoir qu’au-delà de 48 heures d’occupation, les squatteurs peuvent invoquer leur droit au logement. Bref, un propriétaire dispose de deux jours pour se manifester auprès de la police quand son logement est squatté.

Autrement, que faire ? « Il faut que la personne fasse une requête auprès du tribunal d’instance qui va mandater un huissier pour relever l’identité des personnes qui occupent », explique l’avocate Aurélie Teulade au Parisien. Cette procédure d’expulsion, Youcef racontait l’avoir faite. Une procédure onéreuse : le vieil homme assure qu’elle lui a coûté au moins près de 1500 €. « Une fois ce constat d’huissier dressé, il faut engager une procédure d’expulsion auprès du tribunal d’instance qui ensuite doit fixer une date d’audience», détaille également l’avocate.

Une clarification de la loi pour déloger les squatteurs non appliquée 

Après « l’affaire Maryvonne », une modification de la loi, proposée par l’ex- sénatrice et maire de Calais Natacha Bouchart, a pourtant été votée en 2015 à l’Assemblée nationale. Elle permet aux forces de l’ordre d’intervenir pour flagrant délit de violation de domicile, tout au long du maintien dans les lieux et quelle qu’en soit sa durée.

Mais en pratique, cette modification de loi ne semble pas être appliquée, si bien que les victimes de squat doivent faire face aux longueurs judiciaires, surtout si l’occupation intervient pendant la trêve hivernale, s’étalant jusqu’à fin mars. Une période durant laquelle aucune expulsion ne peut être engagée.

Interrogée par TSA, Marie Dessein, avocate à la Cour de Paris, livre ses explications : « En réalité ce délai de 48h n’est pas inscrit dans la loi. Cependant, c’est le délai habituellement retenu pour les enquêtes de flagrant délit, qui impose que l’infraction soit constatée dans un délai « très voisin de l’action ».

Initialement, seule l’introduction dans les lieux constituait une infraction pénale, et en  l’absence de constat sous 48h du « flagrant délit », il fallait engager une procédure d’expulsion.

Mais, depuis juin 2015, la mention « maintien dans les lieux » a été ajoutée à l’article 226-4 du Code pénal. Par conséquent, si des personnes « squattent » une habitation, elles peuvent être appréhendées en flagrant délit même 48 heures après l’entrée dans les lieux. Toutefois selon Vincent Canu, un avocat spécialisé en droit immobilier, « la pratique des 48h est restée ».

Cette « bizarrerie judiciaire » n’est toutefois pas une exception française. En Suisse, par exemple, le politique Olivier Feller a proposé en mai dernier un assouplissement de la loi afin de laisser suffisamment de temps aux propriétaires lésés pour récupérer leur bien. La loi suisse indique que le propriétaire peut agir si le logement « a été pris de manière clandestine ou violente et s’il agit aussitôt », relate la Tribune de Genève. Dans les faits, la justice laisserait toutefois quelques jours aux propriétaires pour agir, poursuit le journal.

En attendant, à Neuilly-sur-Seine, Serge va devoir prendre son mal en patience et attendre la tenue d’une audience fixée le 12 mars au tribunal d’instance de Courbevoie.

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