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ENTRETIEN. Crise de l’oxygène : les critiques acerbes du Pr Khiati

ENTRETIEN. Crise de l’oxygène : les critiques acerbes du Pr Khiati

Le Professeur Mostefa Khiati, médecin-chercheur, revient dans cet entretien sur la situation du secteur sanitaire en Algérie qui fait face à une flambée du covid-19, sur la pénurie de l’oxygène qui touche les hôpitaux, et insiste sur l’importance de la vaccination, pour éviter une 4e vague de la pandémie. Il formule des critiques acerbes à l’égard du ministère de la Santé et de l’Agence de sécurité sanitaire.

Pourquoi les hôpitaux algériens ne sont-ils pas autonomes en matière d’oxygène ? Et pourquoi ne sont-ils pas dotés de générateurs ?

Tout d’abord, il faut dire que jusqu’à cette pandémie du covid, les besoins en oxygène n’étaient pas très importants, hormis en réanimation.

La plupart du temps, on utilisait 3 à 5 litres par minute, et par patient. Avec le covid, et le déficit respiratoire qui s’en est suivi, nous nous sommes aperçus que le traitement principal était basé sur l’oxygénothérapie à haut débit.

Différentes études ont montré que le haut débit permettait d’éviter aux patients d’être intubés. Nous sommes arrivés à des hauts débits allant jusqu’à 70 litres par minute. Ce qui est tout à fait extraordinaire.

Ceci dit, dès les mois de mars et avril dernier, nous avons su qu’il fallait de l’oxygène pour les hôpitaux. D’ailleurs, au mois de mai, une commission gouvernementale avait demandé aux producteurs d’oxygène, d’augmenter la production.

Si l’on voit ce qui se passe au niveau de la production nationale d’oxygène, il ne s’agit pas d’un déficit de production à l’échelle nationale, mais c’est au niveau des hôpitaux, donc au niveau du ministère de la Santé, que les choses n’ont pas été prises au sérieux. Il y a eu une négligence.

Il y a eu une incompétence au niveau du secteur sanitaire, et en particulier au niveau des hôpitaux, qui n’ont pas vu venir, qui n’ont pas prévu. C’est à ce moment-là qu’il fallait commencer à penser à doter les hôpitaux de centrales d’oxygène, et de générateurs. Malheureusement, cela n’a pas été fait.

Est-il judicieux d’importer des concentrateurs d’oxygène de 5 ou 10 litres ?

Cela ne sert à rien. Même de 15 litres, cela ne sert à rien. Les concentrateurs sont destinés aux premiers symptômes, pour les personnes qui ne désaturent pas beaucoup.

Ce qu’il faudrait faire, c’est permettre un accès plus facile aux oxymètres, au niveau des pharmacies. Ce sont de petits appareils, qui ne coûtent pas cher.

Chaque famille doit être équipée d’un oxymètre. Les concentrateurs peuvent être utilisés au niveau des familles, mais en leur disant, attention, à partir de tel taux de saturation, il faut aller à l’hôpital.

Le fait que le gouvernement ne publie pas les chiffres réels de la pandémie a-t-il encouragé les Algériens à abandonner les gestes barrières ?

Tout d’abord, il faut dire que le problème du non-respect des gestes barrières est un phénomène assez universel, et ne concerne pas uniquement l’Algérie.

Sauf que peut-être en phase d’endémie, dans les autres pays, des mesures coercitives ont été mises en place.

Ici, il y a eu un laxisme, dans l’application des dispositions. En ce qui concerne les chiffres, c’est clair, il me semble même que le directeur de l’Institut pasteur d’Algérie l’a reconnu, en disant que les chiffres donnés par son institut, sont des indicateurs uniquement.

Il est vrai que dans la réalité, les chiffres sont plus importants. Il suffit de faire un tour dans les hôpitaux, pour s’en apercevoir. Il n’y a pas de places pour les malades. Tous les lits sont saturés. Les chiffres donnés semblent ne pas refléter la réalité.

Que révèle la crise de l’oxygène sur le système sanitaire algérien ?

Le problème du déficit en oxygène a montré un autre aspect de la déliquescence du système de santé algérien. Il n’a pas été anticipatif. Il n’a pas su prendre des dispositions à l’avance.

Et cela, tous les systèmes de santé doivent le faire. Nous nous étonnons également qu’une Agence de la sécurité sanitaire mise en place au  mois d’avril ou de mai dernier, n’a pas su prévoir cela, et n’a pas demandé au ministère de la Santé, et aux hôpitaux, de s’équiper de générateurs d’oxygène.

Minimiser l’ampleur de la pandémie est-il une bonne stratégie de lutte anti-covid ?

Le rôle de l’État, du gouvernement, est de ne pas pousser à la panique. A certains moments, avec l’absence d’oxygène, et des hôpitaux pleins, il y a eu un mouvement de panique qui a commencé à souffler.

Il est tout à fait normal que le gouvernement appelle à la sérénité, et essaie de minimiser les choses. Cela ne sert à rien de faire un tintamarre lorsqu’il y a des situations graves. Ce qu’il faudrait faire, c’est trouver des solutions.

Que faut-il faire pour mieux faire face à la 4e vague qui semble inévitable ?

Je ne suis pas d’accord avec le terme vague. Vague veut dire que c’est le même virus qui est responsable de ces « vagues», et qu’il y a un phénomène de rebond. Ce n’est pas du tout ça sur le plan scientifique.

Il s’agit de variants, qui sont à l’origine de nouvelles épidémies. Il se trouve qu’en Algérie, nous ne faisons pas assez de séquençage, voire pas du tout.

Nous ne savons pas quels sont les variants qui sont présents en Algérie. On nous dit que c’est le Delta. Mais est-ce que c’est le Delta+, ou un autre variant local. Il faudrait faire plus de séquençage pour le savoir. Ceci est un premier élément.

Le deuxième élément, qui me semble être le plus important pour parer à de nouvelles épidémies, est de faire en sorte que le maximum de gens soient vaccinés le plus tôt possible.

Il faut donc lancer une grande campagne de vaccination contre le covid-19, partout, et permettre aux pharmaciens de s’impliquer dans la vaccination, grâce à leurs 12.000 officines pharmaceutiques.

Mais également exploiter les autres espaces sanitaires que sont les polycliniques, les cliniques privées, et les laboratoires d’analyses. Il faudrait que l’on puisse arriver, d’ici le début de l’automne, à 10 millions de vaccinés, si l’on veut atténuer les effets des autres épidémies sur la population.

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