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ENTRETIEN. Karim Amellal : « Emmanuel Macron aime l’Algérie et les Algériens »

ENTRETIEN. Karim Amellal : « Emmanuel Macron aime l’Algérie et les Algériens »

Karim Amellal, ambassadeur, délégué interministériel à la Méditerranée dans le gouvernement français.

TSA. Les 7 et 8 février, s’est tenu à Marseille le Forum des mondes méditerranéens. Pourquoi « les mondes » et sur quoi a porté la rencontre ? 

Karim Amellal : Le président Emmanuel Macron a souhaité organiser ce forum dans le prolongement du sommet des deux rives qui s’est tenu à Marseille en 2019 dans un format hybride, à la fois politique et tourné vers société civile, mais aussi dans un format géographique plus restreint puisque c’était la Méditerranée occidentale (5+5).

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Le Forum des mondes méditerranéens qui s’est déroulé les 7 et 8 février dernier a donc été centré complètement sur la société civile, avec un périmètre géographique plus large puisque nous avons invité à Marseille des acteurs de tout le bassin méditerranéen. Cela faisait sens pour le président Macron car la Méditerranée, ce sont des « mondes » qu’il faut essayer d’articuler.

C’est ce que nous avons fait pendant deux jours à Marseille, les 7 et 8 février, en essayant de trouver, c’est fondamental, des sujets qui rassemblent et qui rapprochent, des sujets par rapport auxquels il n’y a pas de divergences majeures, notamment entre les États, mais au contraire des points communs, des défis communs.

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L’objectif de ce forum tourné vers les sociétés civiles était donc de parler des solutions autour de ces sujets essentiels qui nous rassemblent : l’environnement, l’emploi, la culture, l’éducation, la formation…

Parce que que l’on soit à Beyrouth, à Alger, à Marseille ou à Athènes, les problèmes, les défis sont les mêmes et les solutions sont aussi, bien souvent, les mêmes.

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Malgré les difficultés, notamment sanitaires, le forum a été une réussite. Beaucoup de monde est venu, près de 4000 personnes au total sur 2 jours, dont beaucoup de public local. La délégation algérienne a été importante. Le président Macron a prononcé en ouverture un discours très ambitieux, en particulier à l’égard de la diaspora, avec des annonces fortes, notamment un fonds de soutien de 100 millions d’euros pour des projets entrepreneuriaux tournés vers les pays du Maghreb.

TSA. Vous avez évoqué plein de sujets concrets qui rapprochent. S’agit-il d’une nouvelle approche par rapport au processus de Barcelone qui a été réduit à un seul sujet, celui du contrôle des flux migratoires et à l’Union pour la Méditerranée qui n’a jamais réellement démarré ?

Karim Amellal : Le processus de Barcelone, dont on a fêté l’année dernière le 25e anniversaire, ne va pas bien et toute la Méditerranée ne va pas bien. Les crises se multiplient, les rivalités, les tensions, y compris entre des pays voisins, la mobilité est très compliquée… Sur le plan environnemental, c’est encore pire. La Méditerranée est la mer la plus polluée du monde, l’un des lieux les plus concernés par le changement climatique. Dans les pays de la rive sud, la pollution plastique fait des ravages.

Sur tout ça, c’est vrai que le bilan n’est pas très positif. Est-ce qu’il faut s’arrêter pour autant ? Nous ne le croyons pas. Le président Macron a une ambition méditerranéenne forte.

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L’Union pour la Méditerranée (UPM) a été créée à l’initiative, notamment, de la France. La France a une ambition méditerranéenne forte, comme l’a exprimé le président Macron. Certes, les circonstances sont compliquées, sur le plan politique en particulier, mais ce n’est pas une excuse pour ne rien faire. A côté du dialogue politique, de ce qu’il se passe dans les instances politiques, il faut trouver d’autres voies, par exemple en mobilisant la société civile sur des sujets concrets, autour de solutions concrètes. C’est ce que nous avons fait à travers ce Forum des mondes méditerranéens, en associant pleinement l’UPM et la fondation  Anna Lindh qui fédère des réseaux de la société civile de toute la Méditerranée.

TSA. Le dernier sommet France-Afrique s’est aussi tenu avec la société civile. Est-ce parce que rien ne va avec les politiques, d’autant plus que les crises se multiplient entre la France et certains pays d’Afrique et de la Méditerranée ? 

Karim Amellal : Vous avez raison, il y a des difficultés, mais ce n’est pas parce qu’il y a des difficultés qu’il faut arrêter de dialoguer, d’essayer de construire, de trouver des solutions.

Les relations entre États c’est fondamental, c’est ce qui rythme les relations internationales, en Méditerranée comme ailleurs, entre la France et les pays que vous évoquez et avec les autres, mais ces relations sont parfois difficiles, soumises à des brouilles, à des épisodes de tension. C’est pourquoi, à côté du dialogue politique, il faut mobiliser tous les acteurs qui créent, qui innovent : les entreprises bien sûr, les collectivités territoriales, les universités, les acteurs culturels, les ONG… Bien souvent, sur nombre de sujets, ce sont eux qui montrent la voie aux Etats.

TSA. La mobilité des personnes est l’un des problèmes qui se posent entre les deux rives de la Méditerranée. En préparant le forum, vous avez sans doute buté sur la difficulté de certains participants à obtenir le visa…

Karim Amellal : Bien sûr, c’est une réalité. On ne peut pas parler de la Méditerranée sans parler de la mobilité des personnes et donc des visas, qui sont une préoccupation pour tout le monde.

La mobilité fait partie des enjeux auxquels il faut trouver des solutions. La mobilité ne peut cependant pas être entièrement réduite aux visas. Il faut, comme le dit le président Macron d’ailleurs, que nous réinventions un système circulatoire autour de ce qu’on appelle les mobilités positives, comme les universitaires, les artistes, la formation…

Il y en a beaucoup, et pas qu’en France, qui considèrent que la Méditerranée est une frontière ou un rempart, et que cette frontière doit être infranchissable. Nous ne sommes pas d’accord avec ce discours, cette vision. Emmanuel Macron considère que la Méditerranée est beaucoup plus qu’une simple frontière, mais un gisement d’opportunité, de créativité, de vitalité.

TSA. Qu’est-ce qui resterait de la relation algéro-française par exemple si on lui enlève la dimension humaine, notamment avec toutes ces restrictions sur la mobilité ?

Karim Amellal : On ne peut pas mettre de côté cette dimension. La France et l’Algérie, c’est d’abord cet aspect humain, familial, ces relations qui sont tendues comme des fils entre les deux rives.

La relation entre nos deux pays ne se limite cependant pas à cela. Ce sont aussi des relations économiques très fortes, des relations culturelles, c’est une coopération extraordinaire. On dit depuis longtemps qu’il faut essayer de dépassionner cette relation, mais comment faire ?

Pendant le forum, le président de la République a annoncé un fonds de 100 millions d’euros pour des projets entrepreneuriaux tournés vers le Maghreb. Je crois que c’est ainsi, par l’économie notamment, que l’on parviendra à dépassionner la relation, à construire un partenariat qui transcende les émotions : en créant des opportunités concrètes pour les gens, les jeunes surtout.

La diaspora, c’est la conviction du président de la République, doit jouer un rôle majeur sur ce plan. Nous avons besoin d’instruments nouveaux, comme le fonds de soutien, d’un partenariat économique. Il faut que cette relation soit mutuellement avantageuse.

TSA. La crise entre la France et l’Algérie qui a été déclenchée fin septembre dernier par les propos du président Macron est-elle définitivement passée ?

Karim Amellal : Cette relation est passionnelle et donc, par certains aspects, irrationnelle. On a connu par le passé des creux importants ou bien des périodes très favorables.

Là, on a connu un creux, une brouille, et on est en train d’en voir la sortie, c’est très bien. On a intérêt mutuellement à ce que cette relation soit très positive. Mais il faut s’attendre à ce qu’il y ait d’autres épisodes nuageux, car entre la France et l’Algérie il ne peut en être autrement. C’est un peu « je t’aime moi non plus » ! Il faut en revanche que nous trouvions les moyens de gérer ces moments de tension de façon plus apaisée, plus constructive, de part et d’autre.

Je ne me prononcerai pas pour les Algériens, mais en France, il y a certains, notamment dans l’extrême-droite, qui font de l’Algérie un fonds de commerce. Et ça ne favorise pas l’apaisement et la bonne entente entre deux grands amis, deux grands partenaires, deux grands pays que sont la France et l’Algérie.

TSA. Certains accusent M. Macron d’avoir justement cédé à la surenchère de l’extrême-droite en tenant de tels propos sur l’Algérie et en décidant de réduire le quota de visas pour les Algériens…

Karim Amellal : Même si beaucoup le pensent, franchement, je ne crois pas du tout, je sais même que ce n’est pas le cas. Je l’ai dit à plusieurs reprises et je suis le témoin de ça : le président Macron aime l’Algérie et les Algériens, a énormément de respect pour eux et considère que l’Algérie est un grand pays sans lequel on ne peut rien faire dans la Méditerranée et plus au sud, au Sahel.

Il se trouve qu’il a 40 ans, qu’il n’appartient pas à cette histoire et qu’il regarde ça en face en se disant : comment peut on faire pour aller de l’avant.

Il voit qu’il y a ce problème de mémoire, il ne prétend pas résoudre tout et encore moins parler au nom des Algériens. Il regarde en France le problème qu’il y a entre les composantes de cette mémoire franco-algérienne, ceux qui sont issus des nationalistes, les Harkis, les Pieds-noirs, les juifs d’Algérie, les anciens combattants, il essaye de trouver les moyens de créer du lien et de passer à autre chose pour que nous puissions, en France, essayer de surmonter cette histoire qui, comme disait Benjamin Stora, ne passe pas.

Ce travail de mémoire, de reconnaissance, nous le faisons en France. C’est aux Algériens de nous dire quand ils seront prêts à avancer, s’ils le souhaitent, et de quelle manière.

S’agissant des visas, cela témoigne de certaines difficultés dans les relations entre la France et l’Algérie, notamment par rapport à ce qu’on appelle les réadmissions. Mais je crois que ces difficultés sont passagères : ces mesures ne constituent en aucune manière une politique définitive. C’est une modalité technique, réversible.

Il y a eu la pandémie, l’état des relations, la question des réadmissions, on est dans une période un peu néfaste, mais il ne faut pas oublier que la France continue à délivrer des visas notamment aux étudiants et aux acteurs économiques. Je pense que ça va repartir parce que c’est dans notre intérêt commun.

Même si certains, notamment à l’extrême-droite, font de l’Algérie un bouc-émissaire et l’utilisent comme un fonds de commerce, les Français, électoralement parlant, ne vont pas se positionner par rapport à ça. Ils ont d’autres problèmes et d’autres préoccupations. : le pouvoir d’achat, la santé.

TSA. L’Algérie est très présente dans les débats politiques en France. Comment expliquer cela ?

Karim Amellal : C’est vrai que l’Algérie est présente de façon disproportionnée dans le débat public, en particulier à l’extrême-droite. Ce n’est pas nouveau, on a connu ça par le passé, mais il est vrai que cette fois, notamment à travers un candidat en particulier, elle occupe beaucoup une place disproportionnée.

J’observe également, à rebours de ce discours, que le président de la République ne cesse de réaffirmer une vision plurielle, une vision où l’immigration et la diaspora sont une richesse et une chance pour la France. Ce n’est donc pas toute la classe politique qui tape sur l’Algérie en permanence, mais un segment bien identifié, à l’extrême droite.

Autre élément, il y a depuis plusieurs années une bataille culturelle qui se joue. Beaucoup de thèmes, d’idées, de préjugés ont été imposés par l’extrême droite. C’est par exemple le cas du mythe du « grand remplacement », dont on débat aujourd’hui normalement, que certains candidats, comme Mme Pécresse, brandissent dans leurs discours, alors que c’est une vision erronée de la société, qui sort tout droit des vieilles lunes de l’extrême droite.

TSA. La victoire de l’extrême-droite à terme est-elle inéluctable en France ?

Karim Amellal : Il faut le craindre et il faut rester très vigilant. On a vu depuis quelques années que le poids de l’extrême-droite s’est encore accru et aujourd’hui, il est colossal en France.

À mon avis, le poids médiatique de l’extrême-droite est supérieur à son poids politique. Il faut évidemment que les politiques qui sont mises en œuvre fonctionnent, il faut répondre aux préoccupations des gens parce que si on ne répond pas, on aura de nouvelles crises, une nouvelle crise des gilets jaunes peut-être, puis à nouveau une montée de l’extrême-droite.

Mais je reste optimiste parce que malgré tout, même s’il y a de l’angoisse, même si les idées de l’extrême-droite sont importantes, je suis convaincu que les Français ne sont pas racistes et ne partagent pas fondamentalement la vision du pays que propage l’extrême-droite, qui est nostalgique, réactionnaire.

Il ne faut pas oublier que si l’extrême- droite répond aux angoisses, elle ne propose aucune solution. À chaque fois que l’extrême-droite arrive au pouvoir, elle s’auto-discrédite parce qu’elle est incapable de répondre concrètement aux problèmes des gens. Ce sont des gens du passé, qui parlent au passé.

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