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France : la diaspora algérienne, un levier politique pour la présidentielle ?

France : la diaspora algérienne, un levier politique pour la présidentielle ?

La France est en plein échauffement électoral pour la prochaine élection présidentielle qui aura lieu en 2022. Les premiers candidats se déclarent, les thèmes de campagne se dessinent plus ou moins subtilement.

L’immigration ainsi que les questions d’identité et de laïcité sont les premiers sujets sur lesquels les candidats se placent. Une tradition française.

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La France étant l’un des pays européens qui reçoit le plus d’immigration, la place des diasporas étrangères est un enjeu crucial pour chaque élection. Parmi les étrangers, la communauté algérienne se retrouve de fait, en première ligne des programmes politiques.

La diaspora algérienne, un poids dans l’élection

La communauté algérienne est la première population d’origine étrangère en France. On estime la diaspora à environ 2,6 millions de personnes, dont près de 800 000 qui ont à proprement parler le statut d’immigrés. Ce qui signifie que la majorité de la diaspora algérienne représente également des citoyens ayant la nationalité française et donc de droit de vote.

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Ces électeurs d’origine algérienne représenteraient 1,4 million de voix potentielles à chaque élection. Difficile de négliger cet électorat. Toutefois, cette diaspora n’est pas un bloc monolithique, au contraire, en raison de son nombre important, elle présente plusieurs courants.

"La diaspora algérienne est difficile à cerner car elle est très diversifiée. Les différences reposent sur des critères sociaux. Il y a une classe moyenne qui émerge, avec des professions intellectuelles, des cadres, des entrepreneurs. Elle est composée de personnes qui ont une conscience politique et qui sont sensibles aux discours politiques", analyse un ancien haut fonctionnaire français d’origine algérienne. Cette classe s’orientera traditionnellement vers la politique centriste ou de droite, estime notre interlocuteur.

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"Mais il y a également une classe plus modeste, qui connaît des difficultés d’intégration sociale, ayant un pouvoir d’achat faible, dont une partie de la jeunesse connaît un important taux de chômage. Cette catégorie sera plus sensible à la gauche, voire à l’extrême gauche", ajoute l’ex-haut fonctionnaire fin observateur de la société algérienne en France.

Or les candidats à la présidentielle ont-ils conscience de cette diversité et sont-ils prêts à la prendre en considération ?

La diaspora autant rejetée…

Les candidats semblent bien prendre en compte les nuances dans la diaspora algérienne. Chacun a choisi sa part d’électorat dans cette communauté, un choix fait sur des critères sociaux. On voit d’ores et déjà apparaître une différence de traitement entre les classes sociales.

D’un côté, les immigrés seulement résidents français, les Algériens de confession musulmane ou encore ceux à faible revenus sont diabolisés. De l’autre côté, la classe moyenne émergente, celle des cadres et des entrepreneurs est valorisée et considérée comme un potentiel électorat.

Le rejet est massif à droite et à l’extrême droite. Au moins trois candidats se prononcent pour des mesures anti-immigration. À l’extrême-droite, Eric Zemmour et Marine Le Pen s’engagent à réviser des droits tels que le regroupement familial, l’aide d’urgence médicale.

Le droit du sol est également dans leur viseur, ils comptent tout simplement le supprimer s’ils sont élus. Valérie Pécresse, candidate des Républicains, veut annuler son automatisation et l’autoriser sur preuve d’une maîtrise de la langue et de la culture française. L’accès aux prestations sociales seulement pour les Français et les résidents de plus de 5 ans est également très présent dans les discours de campagne de ces trois candidats de la droite.

Des réformes anti-algériennes ont même été évoquées. Marine Le Pen, par exemple, appelle à arrêter complètement l’immigration algérienne et bloquer les transferts d’argent des immigrés vers l’Algérie. Une proposition d’ailleurs reprise par Arnaud Montebourg, pourtant candidat de gauche. Ce dernier veut bloquer les transferts vers les pays qui ne facilitent pas le rapatriement de leurs citoyens expulsés par la France. Il se trouve que l’Algérie est en tête de liste.

… que convoitée

De l’autre côté, la diaspora dite intégrée est valorisée et appelée à s’exprimer. C’est surtout le camp d’Emmanuel Macron qui lui fait du pied.

Dîners, concertations, légions d’honneur, tous les outils ont été utilisés par la majorité actuelle pour attirer cette partie de la communauté. Fin novembre, le ministre de l’Intérieur Gérard Darmanin organisait un dîner avec des cadres et entrepreneurs issus de la diaspora algérienne. L’invitation à cette rencontre privée, visait à écouter les expériences de ces personnes, entendre leurs propositions pour ajuster leur place dans la société.

Ce n’est pas tout, Emmanuel Macron a promis durant son mandat de s’attaquer aux discriminations à l’embauche, en mettant en place des testing géants.

Il a également tenté un travail sur le devoir de mémoire concernant le passé commun de la France et de l’Algérie. Sa dernière démarche réunissait un groupe d’enfants et petits-enfants d’Algériens qui ont été réunis sous le nom de « Regards de la jeune génération sur les mémoires franco-algériennes » pour effectuer un travail mémoriel. Des discussions visant à panser les dernières blessures de l’histoire franco-algérienne à la demande de l’Élysée.

Les tentatives sont là mais ne réussissent pas toujours. La lutte contre les discriminations à l’embauche est restée à l’état d’étude mais aucune réforme n’en est sortie.

Côté mémoire, le président français a fait des pas vers l’Algérie en reconnaissant entre autres les « crimes inexcusables » de la France contre les Algériens en octobre 1961. Mais il s’est aussitôt tiré une balle dans le pied en critiquant "la rente mémorielle" dont profiteraient les dirigeants algériens. Il s’est même interrogé sur l’existence de la nation algérienne avant la colonisation française en 1830. Lançant ainsi un froid dans les relations diplomatiques entre la France et l’Algérie.

Il ne faut pas oublier l’acharnement fréquent sur les communautés musulmanes, dont font partie de nombreux franco-algériens issus de la classe moyenne. Ce mandat les a fortement secoués sur des questions personnelles comme leurs croyances personnelles ou leur identité.

Une communauté forcée à prendre position

Les discours contradictoires perturbent la diaspora. Que ce soient ceux de rejet voire de haine, comme ceux de séduction. Finalement la diaspora algérienne a tendance à être traitée comme une vulgaire masse que l’on implique coûte que coûte dans des enjeux auxquels elle ne prétend pas.

Les relations diplomatiques entre la France et l’Algérie, la peur d’un Islam menaçant ou à l’extrême-droite la théorie du grand remplacement sont des sujets qui, aujourd’hui, ne touchent pas vraiment les Algériens de France fatigués de devoir se justifier sur ces thèmes.

"La classe moyenne par exemple se sent complètement intégrée et rencontre les mêmes problèmes que n’importe quel Français. Ce sont des gens qui s’enracinent en France et le discours sur l’immigration, la réduction des visas ou autre mesure, ne les concerne plus. C’est triste mais l’Algérie a perdu le lien avec sa diaspora. Aujourd’hui on est sur la 3e et 4e génération d’Algériens, dont des personnes qui n’ont jamais mis les pieds en Algérie", estime l’ex-haut fonctionnaire franco-algérien.

Côté classe modestes il en est de même, ils s’intéressent davantage à des questions de pouvoir d’achat, de création d’emploi ou encore de formation que d’identité algérienne ou française. "Avant d’être des électeurs d’origine algérienne, ce sont des votants qui font leur choix en fonction de leur vie économique et personnelle", rappelle notre observateur.

Quel sera le vote des Algériens pour 2022 ?

Sur cette base de réflexion, peut-on prédire quel sera le vote dominant au sein de la diaspora ? Alors que tous les candidats ne se sont pas déclarés, il est difficile de prévoir le ou plutôt les votes de la diaspora. L’abstention pourrait être majoritaire, faute de candidat qui prend en compte les nuances des Franco-Algériens.

Les classes moyennes gardent un goût amer du mandat d’Emmanuel Macron qui n’a su réaliser toutes leurs attentes et les impliquer dans les sphères de pouvoir. Ce désamour pourrait coûter à Emmanuel Macron l’éloignement des cadres et entrepreneurs d’origine algérienne qui étaient nombreux à le soutenir lors de la dernière élection.

Elles pourraient se tourner à nouveau vers la droite représentée par Valérie Pécresse. Ou à l’inverse, elles pourraient se laisser tenter par le vote écolo. Les verts commencent à peser dans les élections françaises et européennes et leur atout est de donner des fonctions de représentants à des personnes issues de la diversité, rappelle notre observateur franco-algérien.

Les classes modestes ont très peu de représentants. Le quasi effacement du Parti Socialiste a mené les électeurs à se détourner des scrutins ou à donner leurs voix à des candidats plus indépendants à gauche comme Arnaud Montebourg ou d’extrême-gauche tels que Jean-Luc Mélenchon. Mais ces deux hommes politiques semblent être passés à côté de la crise majeure des gilets jaunes. Et il faut rappeler que Jean-Luc Mélenchon a perdu de sa superbe avec son implication dans des scandales politiques.

Pour notre observateur de la vie politique, une autre possibilité se profile. "Je fais partie de ceux, qui, au contraire, pensent que la présence de Zemmour peut provoquer la mobilisation de toutes les composantes de la diaspora. Il y a un sentiment d’appartenance à une mémoire commune et les attaques répétées d’Eric Zemmour sans oublier ce climat très anti-algérien peut créer un bloc contre l’extrême-droite. On avait vu une forte mobilisation pour François Hollande, afin de voter contre Nicolas Sarkozy en 2012, cela pourrait se reproduire", rappelle l’ex haut-fonctionnaire.

Il s’agit peut-être de la seule certitude. L’électorat franco-algérien est un pouvoir et pourrait le transformer en force commune seulement si les discours de haine se poursuivent et si les candidats d’extrême-droite se hissent en tête des sondages.

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