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Fin du Covid, réforme de la santé : entretien avec le Pr Kamel Senhadji

Fin du Covid, réforme de la santé : entretien avec le Pr Kamel Senhadji

Le Pr Kamel Senhadji, président de l’Agence de sécurité sanitaire, revient dans cet entretien sur la fin du Covid, la réforme du système de santé et la menace de la variole du singe en Algérie

L’épidémie de Covid-19 est-elle derrière nous ?

Dans l’absolu, la Covid-19 n’a pas disparu et n’a pas été éradiquée. Par définition, pour dire que la Covid-19 a disparu, il faudrait que dans le monde entier, il n’y ait aucun cas. Or, ce n’est pas le cas. Ce n’est pas vrai. Actuellement, il y a encore des foyers en Chine et dans certains pays européens par exemple.

On voit une reprise des clusters. L’épidémie a fait un certain nombre de cycles normaux, qui sont plus ou moins classiques par rapport aux épidémies d’origine virale, mais avec des spécificités qui sont propres à chaque nature virale.

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L’exemple du coronavirus, de part la nature de sa composition, à savoir un virus à ARN  qui est susceptible de produire des mutations multiples et aléatoires, a donné tous ces variants qui se sont succédés, avec plus ou moins de virulence et de dangerosité.

On se souvient de ce que le Delta a fait par rapport à cette caractéristique qui lui est spécifique. Il est demandeur de consommation d’oxygène importante quand un patient est atteint par ce variant.

Puis, petit à petit ces mutations ont fait qu’à un moment, le variant Omicron a émergé, qui est certes peut-être plus contagieux, mais dont la pathogénicité et la gravité sont moindres.

C’est ce qui a permis peut-être d’avoir une immunisation collective importante, et par voie de conséquence, une diminution drastique des contaminations dans le monde.

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Mais dans le monde, il y a encore la problématique de la vaccination. Certes, le vaccin a été rendu disponible dans des temps records, mais ce vaccin n’a pas été disponible pour toutes les contrées et toutes les populations du monde.

Il y a des régions et des pays qui ont eu les moyens d’utiliser ces vaccins. Ils ont donc pu se protéger. Mais il y a des endroits dans le monde qui n’ont pas eu cette chance de bénéficier de ces vaccins. Ils sont à ce jour très mal vaccinés. C’est dans ces endroits qu’il y a encore cette persistance de cette pandémie de Covid.

On peut donc dire que c’est presque une fin, mais ce n’est pas complètement éradiqué. Ce sera éradiqué que lorsqu’ il n’y aura plus aucune personne sur terre qui soit contaminée.

La vigilance est donc toujours de mise ?

Absolument. Ce n’est pas une extinction. Ce n’est pas une disparition de l’épidémie. Il y a encore des endroits dans le monde qui sont touchés, cela veut dire que ce virus peut revenir, notamment via les voyages, les contaminations et le fait que la population ne soit pas assez vaccinée, spécialement en Algérie.

Les recommandations en faveur d’une démarche pour éviter ces contaminations à nouveau, notamment la distanciation physique, la propreté et le port du masque dans certains endroits sont maintenues.

Avec l’arrivée de la saison estivale et la multiplication des vols internationaux, y a-t-il un risque de reprise épidémique en Algérie ?

Il y a un minimum de précaution par rapport aux critères, en relation avec la vaccination ou l’absence de portage de virus, qui ont été prises. Les tests et les examens sont toujours exigés.

L’Algérie ne peut pas s’isoler et doit faire avec la démarche internationale concernant les conditions qui permettent aux voyageurs de se déplacer.

Ce n’est que l’application de ce qui se fait dans le monde, et qui se fait aussi maintenant en Algérie par rapport à l’ouverture des frontières.

L’Algérie n’a pas officiellement  annoncé la fin de l’épidémie dans le pays. Pourtant, les gestes barrières ne sont quasiment plus du tout respectés par les citoyens…

Même au moment où nous étions en pleines vagues, souvent, des citoyens ne respectaient pas ces mesures.

Les gens pensent aujourd’hui que l’épidémie est partie, ils se relâchent complètement. C’est un réflexe humain. Il y a une baisse de vigilance. Dès que le péril se cache ou disparaît, le réflexe humain reprend, hélas, le dessus.

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Ces derniers jours, plusieurs cas de variole du singe ont été détectés dans le monde. Faut-il s’inquiéter ?

Heureusement, il s’agit là de la variole du singe, et non pas de la variole humaine, qui est plus contaminante, plus mortelle et plus dangereuse.

La variole du singe n’existait plus depuis 1980. Si on prend un peu de recul, c’est la preuve que nous sommes bien rentrés dans l’ère des pandémies et des zéozones, des épidémies causées par des virus d’origine animale.

Depuis vingt, trente ou quarante ans, l’homme a détruit la nature, de par la déforestation, les feux de forêts, l’utilisation des pesticides et les émanations qui ont détruit les écosystèmes.

Toutes ces maladies, le coronavirus, la variole du singe, Ebola, la grippe aviaire, qui nous tombent dessus depuis quelques années, ne sont que la conséquence de toute cette faune animale qui hébergeait depuis longtemps ces virus et qui sont propres aux animaux depuis des milliers d’années.

Toute cette faune était dans son écosystème tranquille, et ces virus étaient propres à ces animaux et cantonnées à certains endroits, mais dès que l’on perturbe ce système d’habitation, cette faune se déplace et se rapproche des villages, et les virus de ces animaux s’adaptent et passent la barrière de l’espèce.

Avec des contacts fréquents, qui durent dans le temps, ils contaminent l’homme. Ils rentrent dans les cellules humaines et déclenchent, ainsi, de nouvelles maladies, ce qu’on appelle des  zéozones.

Ces virus s’adaptent et s’installent chez l’homme. Le plus dramatique est qu’après, ces virus se transmettent entre hommes. La transmission interhumaine est ce qui est de plus grave.

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La variole du singe est-elle une maladie grave ?

La variole du singe n’est pas une maladie grave. Elle est spontanément résolutive. Elle guérit spontanément au bout de trois semaines, avec une expression des pustules sur la peau, des papules, des cloques, de la fièvre et des douleurs.

Elle est très peu mortelle et guérit spontanément. Ce qui inquiète aujourd’hui est qu’alors elle était cantonnée depuis plus de trente ans à certains endroits en Afrique, notamment au Congo et au Nigéria, on retrouve maintenant cette maladie dans certains endroits du monde où elle n’est pas endémique.

Pourquoi y a t-il eu ce déplacement ? Est-ce que c’est un déplacement de personnes qui étaient contaminées dans ces endroits ? C’est probable.

Avec l’annonce de l’éradication de la variole humaine, celle des années 60, qui est beaucoup plus méchante, la vaccination a été arrêtée (dans les années 80). Cela veut dire que depuis plus de quarante ans, on ne vaccine plus contre la variole humaine. Il faut savoir que le vaccin contre la variole humaine protège contre la variole du singe.

Les personnes qui ont plus de 50-60 ans ont peut-être eu ce vaccin dans leur enfance, mais la génération des quarante ans et moins n’a pas connu ce vaccin.

Il y a peut-être une immunité collective contre la variole qui a diminué. La transmission a pris de l’importance dans certains pays européens, notamment au Royaume-Uni, en Espagne et en France. Il  y a des cas sporadiques un peu partout.

C’est une hypothèse, comme le vaccin a été éradiqué et qu’il n’y a pas d’immunité collective et que les cas ont été importés d’Afrique, c’est une possibilité (qui explique l’émergence de plusieurs cas dans le monde).

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La problématique de la transmission de la variole du singe est prise en charge par les scientifique actuellement, il ne faudrait pas qu’une fois que l’homme soit touché, qu’il y ait une transmission interhumaine en chaîne, c’est ce qui est problématique.

De l’animal à l’homme, on peut couper la chaîne et le contact. Il n’y a pas de problème à ce niveau. Mais il ne faut pas que le relais soit repris par l’humain à son tour.

Actuellement, les études et des recherches sont en train d’être effectuées et réalisées pour comprendre cette transmission interhumaine.

A ce niveau, comme pour le coronavirus, il y a des recommandations pour s’en prévenir tels que la distanciation, le port du masque et les règles d’hygiène de base.

Nous devons veiller aussi à observer des alertes, comme le fait l’Agence de sécurité sanitaire avec ses conseils scientifiques .

Que fait l’Agence nationale de sécurité sanitaire pour faire face à une éventuelle épidémie de variole du singe en Algérie ? 

C’est la variole humaine qui inquiète car elle est beaucoup plus dangereuse. Il y a des enseignements de la gestion de la crise du Covid qui nous a mis tout de suite en alerte pour que nous ne subissions pas les mêmes conséquences et les mêmes difficultés de prise en charge de cette crise.

L’Agence a immédiatement mis en place un comité ad hoc spécialisé qui va suivre la variole du singe à travers le monde et en Algérie.

Et adapter toujours le principe de l’épidémiologie qui est de dépister, tracer et isoler. C’est un bon reflexe pour que l’on puisse tout de suite traquer, isoler et prendre en charge les personne éventuellement contaminées.

Actuellement, il n’y a aucun cas de variole du singe en Algérie. Mais au cas ou, pour mettre en place et mettre en application directement ce principe pour couper la transmission interhumaine.

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Le meilleur moyen pour y arriver est de mettre en place un organe d’observation, de veille, d’alerte et de traçage, et de mettre en place tous les outils numériques.

Le comité est multidisciplinaire. Il est composé de spécialistes en infectiologie et en épidémiologie, et avec des spécialistes de la modélisation des épidémies, des calculs et des probabilités, pour que l’on puisse avoir tous les outils pratiques qui nous permettent de détecter le signal faible.

L’originalité, ce n’est pas le signal fort, celui là, c’est l’évidence. Lorsqu’on aura des cas nombreux, ce n’est pas la meilleure méthode pour prendre en charge et suivre une telle épidémie.

Mais le plus important est d’être capable de déceler un bruit bas, un signal faible, qui puisse exister et qui nous permette d’anticiper des actions et d’être plus efficaces, de façon à ce que cette problématique du variole du singe soit prise en charge immédiatement et rapidement, et que ce ne soit seulement qu’un souvenir.

Nous travaillons, aussi, sur la mise en place d’une application numérique qui nous permet de suivre de très près les cas de contamination et de traçage.

Même la détection dans un entourage, s’il y a une contamination, pourrait être signalée dans ces systèmes faisant appel aux techniques  de communication et d’information.

L’Algérie est-elle prête à faire face à une nouvelle épidémie ? 

Je peux dire qu’on se prépare. On est prêt dans le principe de l’anticipation, etc. Mais on sera prêt par rapport aux fondamentaux des épidémies. Il y a des choses, des réflexes et des procédures qu’il faudrait acquérir. Il faut qu’ils y soient.

Toujours est-il que chaque problématique sanitaire a ses spécificités qui dépendent de la nature même de l’agent qui a déclenché la problématique et l’épidémie, à savoir un virus ou une bactérie, peu importe.

Ce sera toujours de l’adaptation qu’il faudra faire sur place au moment où la nature de la problématique est révélée et identifiée. Puis, ce sera le travail et le rôle des spécialistes de cette pathologie, de ce germe ou de ce virus en particulier.

Mais déjà, il faut avoir un background, un bruit de fond et un réflexe d’anticipation qui doit être un automatisme commun à toutes les problématiques sanitaires, en particulier les épidémies.

Chose que l’on avait peut-être pas avant. Il faut déjà qu’il y ait cette culture de l’anticipation et une démarche qui permette d’échafauder après un plan spécifique qui dépendra après des spécialistes qui vont prendre en charge la problématique telle qu’elle est identifiée.

Quelles sont les missions de l’Agence nationale de sécurité sanitaire sur le terrain ?

L’Agence n’est pas seulement une agence des épidémies ou du Covid. C’est une agence de sécurité sanitaire qui va être à l’origine d’une démarche qui permettra de préserver la santé du citoyen. La santé n’est pas le soin, c’est un bien-être .

L’idéal est bien entendu de ne pas  pas tomber malade. Quand on tombe malade, c’est déjà un peu trop tard. Tout ce qui impacte la santé va faire l’objet d’une prise en charge au niveau de l’Agence nationale de sécurité sanitaire.

La santé peut être altérée par les épidémies, mais aussi par l’air que l’on respire, s’il y a de la pollution, et par l’eau qu’on boit par l’alimentation, par tout ce qu’on consomme, par les pesticides qui sont dans tous les produits que nous consommons, par les cosmétiques et par tous ces produits qui sont importés et qui doivent être contrôlés quant à leur composition.

On voit bien que la santé est impactée  par beaucoup de facteurs, la pratique du sport, la prise des médicaments ou pas. Tout ça fait que l’agence est composée d’une ressource humaine potentielle essentiellement scientifique, mais très diversifiée. Il n’y a pas que des médecins, des pharmaciens ou des biologistes.

Ce serait une catastrophe, parce que sinon, on penserait et on serait uniquement dans cette problématique médicale, sans tenir compte des autres paramètres qui influencent la santé.

Nous devons associer toutes ces compétences multidisciplinaires, aussi bien des médecins, pharmaciens, biologistes, des chimistes, des physiciens, mathématiciens probabilistes, des modélisations, etc.

Toutes ces disciplines travaillent automatiquement ensemble pour prendre en charge chaque problématique sanitaire avec une démarche et une méthodologie scientifique qui permette de calculer, d’estimer et d’expliquer tous ces paramètres entrants, c’est-à-dire tous les indicateurs et les données.

A titre d’exemple, quand il s’agit de l’air, il faut avoir les données de l’environnement, toutes les émanations et tout ce qu’il y a dans l’air que nous respirons.

Autre exemple, dans l’eau, il faut voir s’il y a des produits toxiques ou pas, et vérifier les normes, de ce qu’il y a dans l’eau, ce qu’il y a dans les aliments transformés et voir est-ce que leur composition est conforme par rapport à certains produits, etc.

Tout cela va faire que l’on va recueillir des données sur l’environnement, l’eau, le commerce, les produits que nous consommons et  l’agriculture, notamment par rapport aux produits qui sont utilisés comme pesticides, insecticides, etc.

Toutes, ces données doivent être recueillies, croisées et surtout corrélées avec ce que nous constatons par rapport à l’environnement, à l’eau, à l’agriculture,  etc. et voir dans les pathologies quelles sont les pathologies qui émergent actuellement par rapport à ce que l’on a analysé comme données dans d’autres secteurs.

Parce que s’il y a des données qui sont aberrantes, on peut regarder s’il y a une corrélation avec certaines maladies qui ont pris beaucoup plus d’importance actuellement.

Par exemple, on peut classer actuellement des pathologies, comme le diabète, l’hypertension, les cancers etc., et voir leur importance, leur niveau d’expression et leur ampleur, et les corréler avec les données que je viens d’évoquer d’environnement, de l’eau etc., pour voir et  établir un lien.

Le médecin, le biologiste, etc.,  qui va être aidé par le modernisateur et le mathématicien, va nous permettre de faire des corrélations. Ce sont des corrélations qui sont très précieuses. Cela nous permettra de faire un classement actuel des pathologies, et classer les pathologies en termes de mortalités.

Quelle est l’importance de ce classement ?

Ce classement peut être diffèrent de celui d’il y a dix ou quinze ans. Ces pathologies pourraient être corrélées avec les modes de consommation, pas uniquement en termes d’alimentation, mais aussi en lien avec l’environnement ou la météo.

Cela permettra d’avoir un classement des pathologies, celles qui émergent le plus et les corréler avec tel ou tel paramètre. Ce qui permettrait, par exemple d’interdire un produit toxique (si un lien entre ce dernier et une pathologie est avéré). Il y aura des recommandations.

Cela aura aussi une importance cruciale car ce classement permettra de donner un profil sanitaire actuel du citoyen algérien et avoir aussi, par la suite, un profil régional.

Les pathologies ne peuvent pas être systématiquement les mêmes dans le Sud que le Nord. On pourra avoir des variantes dans ce classement qui seront spécifiques à telle ou telle région.

Ce classement, qui va nous donner un ordre d’émergence des maladies, va être très utile pour réfléchir, prendre en charge et proposer quel type de réformes du système de santé. Les réformes du système national de santé seront dimensionnées en fonction des pathologies.

Il ne faudrait pas que l’on reproduise le même schéma des hôpitaux, identique dans chaque wilaya, avec des constructions qui seront toutes comparables et qui sont partagées de façon un peu aléatoire.

Ce n’est pas normal d’affecter un espace équivalent, à titre d’exemple à un service de dermatologie qu’à un service de pédiatrie et de diabétologie.

Cela dépendra du classement. Le classement et les profils seront la base de la construction et de la réforme du système de santé. On dimensionnera en fonction du classement des pathologies.

Le classement sera différent en fonction des régions. Par exemple, un hôpital à Tamanrasset sera construit en fonction de la pathologie dominante dans la région.

Ce sera la vraie réforme du système de santé. Elle sera factuelle et basée sur des données réelles.

L’Agence de sécurité sanitaire, en faisant de la veille sanitaire pour sécuriser la santé et pour prendre en charge tout ce qui peut nuire à la santé, va nous aider à faire une carte sanitaire qui permettra de faire une réforme sanitaire vraiment adaptée et réelle.

L’Agence nationale de sécurité sanitaire aura donc un rôle important dans la réforme du système de santé ?

L’avis de l’Agence sera scientifique, étudié et rationnel. C’est une chance que cette agence ait pu être mise en place par le président de la République. Elle permettra d’aider de façon efficace et de proposer ce qui pourrait être idéal. L’idéal n’est jamais atteint.

Mais nous proposerons toujours ce qui est idéal, quitte à faire des efforts pour ne pas perpétrer et perpétuer les réformes telles qu’elles étaient faites de façon classique et automatique, mais de les faire de façon adaptée, même si cela a un coût.

La santé a un coût, mais n’a pas de prix. Elle doit être prise en charge quoi qu’il en coûte.

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