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Héphaïstos habiterait-il nos montagnes?

Héphaïstos habiterait-il nos montagnes?

Ali Kader, écrivain et agronome.

CONTRIBUTION. Les incendies sont arrivés, plus meurtriers que jamais. En effet, depuis le fameux été que certains appellent encore ‘’l’été de la discorde’’, où de veilles blessures ne se sont toujours pas refermées, période où le pays recouvra son indépendance, rares les saisons estivales qui ne connurent pas de flammes.

Mais les feux de 2021, une année chargée de poisse et d’angoisse, où tous les fléaux (sècheresse, pandémie, chômage, mal vie…) se sont donné le mot pour s’abattre sur nos têtes et nous pourrir l’existence, ont surpassé tous les autres par leur bilan meurtrier où des dizaines de nos concitoyens périrent, des dizaines de milliers d’hectares de forêts et d’agriculture partirent en fumée, des maisons cramées, des bétails calcinés, des réseaux détruits et une nature gravement altérée.

Tout le reste peut être reconstruit, il va être reconstruit

De tout ce qui est à plaindre et à regretter, c’est sans contexte la perte des vies humaines, irremplaçables et la douleur des familles, inconsolables. Tout le reste peut être reconstruit, il va être reconstruit.

| Lire aussi : ENTRETIEN. Incendies en Kabylie : les causes du désastre et des solutions

Le pays sait se relever de ses blessures, il les pensera et il se relèvera. Le nord du pays est déjà connu pour être assis sur une plaque tectonique qui le fait tanguer de temps à autre, il est sujet à des séismes violents et récurrents ; il vient de découvrir en cette fin d’été qui s’accroche, un autre danger, un autre fléau, peut-être aussi destructeur, car sournois, souvent naturel, mais tout aussi criminel quelquefois.

Les montagnes du nord du pays, des monts de Tlemcen, Tessala, l’Ouarsenis, Zaccar, Theniet-el-Hed, Chenoua, Chréa, Tamezguida à Zbarbar, Sidi-Ali-Bounab, Akfadou, Jijel, Collo, Skikda, l’Edough, Tarf et tant d’autres massifs boisés, escarpés et difficiles d’accès, viennent, en ces deux premières décades aoûtiennes propices aux vacances et au farniente, nous rappeler à tous les bienfaits qu’ils nous procurent et l’utilité de leur sauvegarde, mais aussi les dangers de leur existence.

De tous temps, les incendies ont existé et la nature est malheureusement la première à payer le prix de cette canicule exceptionnelle qui, dit-on, n’a pas été observée de mémoire d’hommes.

La nature subit, dans le sillage des fortes chaleurs, les méfaits de l’homme, inconscient ou insouciant, qui n’a que le gain comme dessein. D’autres pays, à l’instar du nôtre, aux moyens beaucoup plus sophistiqués, ont fait les frais du réchauffement climatique, imperturbable et destructeur, à l’image de la puissante Californie aux États-Unis d’Amérique, la Grèce, la Turquie, l’Australie, la Sibérie, etc.

Fort heureusement pour eux, les pertes humaines ne sont pas aussi nombreuses à déplorer au regard de l’intensité des feux. Les régions du pourtour méditerranéen et celles ayant un climat ressemblant sont désormais particulièrement sous menace constante.

Il est difficile de se voiler la face, car en réalité, même si on ne pouvait prévoir l’intensité des feux, tous les spécialistes s’accordent à dire qu’au sortir d’un hiver trop mou et d’un printemps peu humide, presque inexistants, sans la pluviométrie et les neiges habituelles, l’été ne serait que plus sec.

Cela a engendré naturellement une sécheresse catastrophique avec une faible hygrométrie au niveau des sols et de l’air.  De ce simple constat d’un milieu devenu agressif et combustible à souhait, il est évident que les incendies ne peuvent être évités. Reste à savoir le degré de leur intensité et comment les affronter. Gouverner, c’est prévoir dit-on.

Le bilan de ces incendies de cet été 2021 est le plus lourd jamais enregistré. Déjà que la Wilaya de Khenchela a eu à en souffrir, 2000 hectares de forêt et des vergers sont partis en fumée. On ne dénombre, fort heureusement, que des blessés. Mais la faune et la flore mettront du temps à s’en remettre.

Héphaïstos n’aurait pas fait pire !

Ces feux de la fin juin et du début juillet ne sont que les prémices d’un désastre qui s’annonce. Le mont blidéen, le parc national de Chréa, plus précisément, a lui aussi pris feu. Puis, soudain, arrive l’embrasement généralisé. Tout le centre et l’est du pays sont atteints. Ça brûle à Tarf, Annaba, Jijel, Tipaza, Bejaia, Sétif, Tizi-Ouzou et ailleurs.

Et les plus meurtriers et les plus violents se sont abattus sur la moyenne et la haute Kabylie sur lesquelles, pendant presque dix jours, les feux, qu’un sirocco caniculaire et persistant flirtant les 50 degrés à l’ombre attisait, se sont acharnés sur la région et ont rendu la vie difficile, ne laissant derrière eux que morts, destructions, cendres et désolation ; un décor apocalyptique, la géhenne au pied du Djurdjura ! Héphaïstos n’aurait pas fait pire !

Le patrimoine forestier national s’amenuise d’année en année. Une bonne partie a été détruite lors de la guerre d’indépendance avec les bombardements des fameuses zones interdites que le napalm n’avait pas épargnées, la décennie rouge a emporté le reste. Bientôt, à cette cadence, réchauffement – sécheresse -incendies, il n’y aura plus que de la garrigue, voire de la broussaille, les grands peuplements sont voués à la disparition.

Les massifs bonnois, nord-constantinois, l’Akfadou, l’Ouarsenis qui recèlent encore quelques biotopes qui se protègent eux-mêmes contre tous les fléaux (maladies, incendies, écobuage…), car situées en ces très rares zones humides, s’amenuisent sous la conjugaison du climat qui se réchauffe trop vite et aussi, sous l’action anthropique de l’homme mu par l’instinct de confort, de richesse et d’appropriation qu’il fait passer avant toute autre considération.

On avance un chiffre de 5 millions hectares de surface sylvicole (forêts et maquis) en 1830, de 3 millions d’hectares en 1962 et de 4,1 millions ha (1,42 million ha de forêts, de 2,41 millions ha de maquis et de 280.000 ha de jeunes reboisements) actuellement.

Les efforts de l’État en matière de reboisement sont considérables, il est important de le souligner, mais restent insuffisants pour inverser la tendance, car les pertes enregistrées chaque année sont énormes. Au nord du pays, (Sahara non inclus) le taux de boisement s’avère relativement modeste (16 -17 %).

Le propos de cette contribution n’est pas de s’assujettir sur le rôle et le devenir de la forêt qui a beaucoup de spécialistes éclairés et une administration chevronnée pour veiller à son chevet. Le but est évidemment de revenir sur ces incendies ravageurs de cet été 2021 et surtout d’essayer d’apporter humblement quelques éclairages et informations techniques qui pourraient aider à la reconstruction des zones sinistrées.

La difficile conjoncture de cet intermède estivale vient d’offrir, certes d’une manière tragique et épouvantable, aux pouvoirs publics, le moyen de mettre en pratique leur génie et leur savoir-faire.

C’est une feuille blanche que ces événements leur mettent sous la main pour écrire une nouvelle histoire. À eux de la remplir du mieux qu’il se doit au profit des sinistrés des zones montagneuses d’Algérie.

Ils se doivent de donner la pleine mesure de leur volonté, de leur talent et de leurs larges connaissances pour que cette catastrophe puisse se transformer en un avenir prospère que les projets de développement rural devraient y insuffler.

La région la plus meurtrie étant la Kabylie

Faut-il le rappeler, on tarde à redistribuer avec équité la richesse nationale dont le profond pays se sent (ou se croit) exclu, voire sevré. Ces incendies-là, mis à part les victimes déplorées et la profonde douleur des familles endeuillées, perçus au départ comme un mal, pourraient se transformer eu un bien par lequel les zones touchées de Skikda, Khenchela, de Chréa, de Kabylie et d’ailleurs pourraient rebondir et assurer leur décollage économique. Il est possible de faire de ces contraintes, des atouts, il suffit de vouloir et savoir quoi entreprendre.

La région la plus meurtrie étant la Kabylie. Dans ces contrées, il est superflu d’avancer les chiffres du chômage, ils sont sans aucun doute plus alarmants que ceux des villes et des plaines.

Ces régions que la nature n’a pas vraiment suffisamment dotées, ni gâtées du reste, sans ressources naturelles, sans assiettes foncières pour recevoir des investissements consistants, à la géographie tourmentée, au climat incestueux, à la topographie scélérate, se trouvent être parmi les plus peuplées du pays, contrairement aux autres massifs moyennement ou peu habités.

Cette densité est un atout à ne pas négliger, car l’intelligence y abonde. Ces territoires sont peuplés autant que les villes, sinon plus. La notion de village se doit être revue et corrigée. Les villages, que certains s’imaginaient être il y a de cela une vingtaine d’années, ressemblent désormais de par la configuration de l’habitat fortement compressé et serré et les densités de population, à de véritables quartiers citadins, des bouts de villes de plusieurs milliers d’habitants, mais sans les attributs de l’agglomération dite moderne.

Il est vrai que l’État, a beaucoup investi dans le raccordement à l’électricité et au gaz, la modernisation des routes et le désenclavement, l’accès à l’eau (même si chez certains elle arrive rarement), le tout à l’égout (même si cela s’est fait au détriment de la nature), la construction d’écoles.

Tous ces équipements sont nécessaires et utiles, quand bien même ils le seraient encore plus et mieux, s’ils s’étaient faits accompagner de l’essentiel, c’est-à dire de l’emploi, celui par lequel l’être humain acquiert sa dignité.

On ne s’est pas trop focalisé sur le confort individuel, le villageois est laissé à son désarroi et à sa montagne, même si par-ci par-là un dispositif quelconque d’aide et d’insertion est mis en place, mais vite embrouillé, voire escamoté par la bureaucratie locale plus cruelle et machiavélique, ici plus qu’ailleurs.

Or, sans richesses locales, sans travail, l’habitant a tendance à aller voir ailleurs, à migrer s’il le peut, sinon à subir sa situation.  Et, il subit !

Les villages sont à décompter par milliers, ils s’égrènent tels des chapelets accrochés aux crêtes et aux flancs des buttes. Il n’y a pas d’offre d’emploi local ; au matin se levant, on se dirige vers la ville. On y va pour travailler où tuer le temps. Ceux qui ont la chance de se procurer un poste dans un chantier du bâtiment et des travaux publics sont bien lotis.

En montagne, ici, pareil qu’ailleurs, il n’y a pas de bureau de poste, d’annexe de mairie et d’entreprises en charge de l’eau et de l’électricité, aucune administration, pas de polyclinique, pas de médecin et de dentiste qui s’installent, d’ambulance, de poste de secours des sapeurs-pompiers, pas de stade, de salle polyvalente, de maison de culture, de bibliothèque.

En somme, il n’y a pas grand-chose, il n’y a que les villageois avec leurs habitations, leur ciel trop bleu et leurs ravins profonds, un tête-à-tête ennuyant et souvent enivrant que les mastroquets brisent du mieux qu’ils peuvent.

Les seules et maigres ressources proviennent des offres d’emplois dans le BTP en ville, le commerce et des pensions qui un jour se tariront. N’en doutons pas, l’image d’Epinal est sérieusement écornée. La carte postale, certes belle et verdoyante, n’est pas aussi idyllique qu’on veuille le faire croire, car au-delà de cette image, des hommes et des femmes souffrent à longueur d’année ; d’autres fléaux les guettent.

Ce sombre tableau n’est pas la panacée d’ici, on le retrouve un peu partout. Beaucoup avaient espoir de voir la région amorcer son développement économique avec les nouveaux grands chantiers. Tous déchantèrent, car à peine entamés, tout s’est arrêté, barrage, autoroute, stade, crise économique et crise sanitaire obligent.

Une agriculture de mouchoir de poche

Les incendies de cet été 2021 se sont groupés justement sur des zones de montagne fortement habitées et aux ressources limitées. L’agriculture dans ces contrées se résume en d’étroits couloirs s’étalant de Draa-El-Mizan aux Ouadhias, de Tademaït à Azazga le long du Sebaou, une petite frange littorale insignifiante à Azzefoun, l’oblongue vallée de la Soummam mangée de toute part, la bande côtière partant de Aboudaou à Melbou que le pseudo tourisme rogne, un petit quelque chose à Draa-El-Gaid, une petite bande à Ait-Mendil et Beni-Ksila.

Dire que l’agriculture intensive existe dans ces régions, c’est aller trop vite en besogne, c’est une agriculture de mouchoir de poche. On ne peut pas construire une économie pérenne sur ce genre d’espaces, du moins avec une telle approche. Ce n’est pas une raison non plus de dilapider ces maigres acquis.

Il y a peu d’exploitations agricoles structurées à l’image des EAC et EAI ou privées comme il en existe ailleurs dans la Mitidja ou dans l’ouest du pays, héritage des domaines coloniaux. Les lieux cités sont en train de décliner sous la pression des infrastructures de base incontournables, l’habitat (sauvage et incontrôlé sur le littoral), les commerces de matériaux de construction et d’autres babioles aux abords des grandes voies de communication, etc.

Une grande partie de la superficie de ces deux wilayets est d’essence forestière. Le reste se compose de champs escarpés, fortement pentus, de taille insignifiante, espacés entre eux, peu travaillés, voire abandonnés. Ici, on hérite de son lopin de butte comme on hérite d’un père et d’une mère, c’est à prendre et à ne pas laisser, ça ne se négocie pas.

On ne vend pas son acre même si on ne le bonifie pas ou si on habite au bout du monde, on transmet. À défaut d’autres choses, au moins, il y a ça, ce petit peu, à donner. Ce n’est pas rien, car au-delà des quelques arpents, somme toute insignifiants pour qui roule sur de l’or ailleurs, c’est tout un pan de l’histoire de la montagne et des valeurs des hommes et des femmes qui l’habitent, qui se transmet, sans contrepartie, d’une génération à l’autre.

Depuis déjà fort longtemps, le centimètre et le décimètre ont pris le pas sur le mètre et le décamètre, l’empan et la coudée ont remplacé l’are et l’hectare, c’est dire toute la complexité de la sociologie agreste de la montagne où le moderne côtoie le traditionnel.

L’olivier, bien évidemment, comme le décrivait si bien Mouloud Mammeri, arbre endémique s’il en est, se taille une part considérable dans l’économie locale. Conduit exclusivement en extensif, issu en majorité de greffages d’oléastres, composé de veilles plantations, il n’arrive pas à donner du pain à tous, d’autant plus que la production d’huile d’olive y est alternée du fait de sa conduite archaïque et de son faible entretien.

On le savait rustique, mais tant que ça ! L’agriculture dans ces zones de montagne est de subsistance, elle n’est pas l’occupation principale des populations qui tirent l’essentiel de leur revenu d’ailleurs. Seuls les gros élevages, limités du reste, par les pâturages du fait de l’atomisation des parcelles et les petits élevages (aviculture principalement) de dimension modeste, limités eux aussi par la cherté des aliments de bétail, arrivent à dégager une plus-value.

La campagne oléicole à venir sera difficile à vivre pour les oléiculteurs du fait de la canicule et des feux. La production sera des plus minimes, voire très réduite et des plus obsolètes y compris dans les zones éloignées du sinistre à cause du printemps trop sec et des hausses des températures inconsidérées qui ont impacté la floraison et la fructification qui déterminent les niveaux de production.

L’huile sera certainement rare et de qualité médiocre l’année prochaine. Les dommages collatéraux de ces incendies se font ressentir aussi pour les autres cultures, au-delà des zones de front, notamment la figueraie fortement impactée par les chaleurs qui ont fait se dessécher avant l’automne les fruits et les feuilles. Quant aux autres vergers, pommiers, poiriers, vignobles et autres, situés dans un rayon lointain, ils ne sont pas en reste, fortement échaudés, la production est déjà affectée, la qualité amoindrie.

L’État, comme de coutume, a déjà certainement pris les mesures d’urgence nécessaires pour venir en aide aux populations, c’est son rôle, c’est son devoir. La prise en charge des familles endeuillées, la remise en l’état des habitations brulées, le rétablissement des réseaux endommagés (électricité notamment), l’approvisionnement en denrées alimentaires, etc., sont les mesures d’urgence qui ne peuvent attendre pour que la vie reprenne dans ces contrées.

Le formidable mouvement de solidarité observé à travers tout le pays et dans notre diaspora augure d’un avenir prometteur, il démontre toute la maturité et la générosité sans limites de nos concitoyens qui, dans le malheur et la douleur qui frappent leurs semblables, savent relever le défi.

Il restera bien sûr à faire le bilan. Il sera probablement lourd, des milliards de dinars pour des milliers d’hectares de forêts, de vergers, des milliers d’animaux domestiques et sauvages, d’infrastructures, perdus à travers le territoire national.

S’il est relativement facile de quantifier le préjudice physique, il n’en est pas de même pour le préjudice moral. Ce désastre laissera des traces et, il faudra du temps, de la volonté et des moyens pour que les zones impactées relèvent la tête.  Et, là, pour établir le bilan, il faut prendre le temps nécessaire, ne pas se précipiter, il n’y a pas le feu. Il faut se préparer pour entamer la reconstruction et la restauration.

Concernant le secteur de l’agriculture (y compris les forêts), l’ASAL, l’agence spatiale algérienne aura à donner les chiffres exacts des superficies détruites par les feux ainsi que le détail (pourquoi pas ?) des différentes cultures touchées.

Ces précisions seront de nature à aider les ingénieurs, techniciens et vétérinaires des différentes directions (DSA et Conservation avec leurs démembrements que sont les subdivisions, les circonscriptions et les communes) en charge des investigations qu’ils affineront sur le terrain avec l’aide des comités des villages et des sinistrés, un long travail d’approche, pénible et fastidieux, mais nécessaire.

L’apport des comités de village, des alliés et collaborateurs, est primordial et incontournable, car qui, mieux qu’eux, connaît le terrain difficile dans lequel vont se mouvoir les recenseurs ?  Certaines wilayets auraient envoyé des personnels afin d’aider à mener à bien cette tâche. Louable initiative s’il en faut, mais attention à ne pas tomber dans les dédales bureaucratiques que nos administrations aiment à en fabriquer. Cela s’était déjà vu sous d’autres latitudes, l’accessoire ayant pris le dessus sur l’essentiel ! Le travail était en grande partie fait par les personnels locaux qui s’étaient engagés et dévoués.

Les cadres des wilayets sinistrées sont assez outillés, intellectuellement et psychologiquement, car connaissant très bien leur territoire et leurs populations, pour mener à terme ce genre d’expertises quand bien même un renfort logistique serait nécessaire.

Leur faire confiance serait déjà une première forme de reconnaissance quand bien même ils sont les moins rétribués. Les revaloriser, un peu plus tard, équivaudrait à reconnaître leur mérite. Tout comme la nation entière est redevable aux soldats du feu, aux techniciens verts et aux jeunes soldats, dont on ne découvre l’importance que quand des drames de ce genre surviennent. Le mérite revient aussi aux villageois qui, les premiers, se sont engagés dans la bataille et aux volontaires qui ont afflué de tous les coins du pays et ont abattu une tâche titanesque.

Une fois le bilan exhaustif et détaillé établi, sur la base de fiches synthétiques claires, les évaluations ne seraient que plus simplifiées. Et c’est là où le rôle de l’État s’avérera prépondérant en mobilisant rapidement les enveloppes financières pour la reconstruction des zones sinistrées.

Certainement que les pouvoirs publics actionneront les différents fonds de garantie (calamités naturelles et calamités agricoles – FCN, FGCA) ou toutes autres sources de financement pour la remise en l’état des régions impactées.

Il faudra que les pouvoirs publics aient à l’esprit : à situations exceptionnelles, solutions exceptionnelles. Plusieurs voies s’ouvrent devant eux, ils doivent à l’avance définir les modes opératoires de la reconstruction et les procédures à mettre en œuvre pour éviter les délitescences et les retards.

Les grands travaux d’assainissements (surtout en forêt) sont les plus prioritaires à engager et là, des entreprises solides comme Cosider et l’EGR peuvent faire valoir leur professionnalisme et leur efficacité.

Ensuite, il y a les aides directes pour les propriétaires dûment identifiés comme tels ; cette solution est la plus rapide et la plus efficace pour ceux qui voudraient reconstruire eux-mêmes leurs exploitations, rebâtir leurs infrastructures ou acquérir les bétails perdus.

Cela pourrait se produire sous la forme financière à libérer en début des travaux (ou à moitié des travaux ) ou matérielle, un choix que doivent faire les pouvoirs publics, tout en ne perdant pas de vue la situation délicate dans laquelle se débattent les sinistrés. Bien évidemment, si ce chemin est suivi, des coûts normatifs doivent être édictés pour tous, sans exception.

La tentation des pâturages intensifs n’est pas à écarter, d’où la nécessité de les protéger.

Ensuite, il y a les aides indirectes pour les espaces regroupés, difficiles d’accès ou pour ceux qui ne préféreraient pas, pour une raison ou une autre, s’y impliquer. L’inscription d’opérations à l’intitulé des deux directions concernées s’avérerait nécessaire, la priorité dans la réalisation sera donnée aux petits entrepreneurs locaux sous la conduite des entreprises déjà citées.

Et là, peut-être bien que ces espaces autrefois considérés accessoires, un tantinet, marginaux et peu rentables, deviendront des espaces de production, car ils seront traités d’une façon moderne.

Les pépiniéristes sont d’ores et déjà sollicités pour préparer le terreau de ces vastes chantiers ; il y a des espèces et des variétés endémiques à la région tels l’olivier principalement, le cerisier, le figuier et autres, à favoriser.  On ne va pas replanter ces espaces en une année ou deux. Et surtout, en cas de manque de plants, il faut éviter de céder aux sirènes de l’importation, la solution la plus facile et la plus rapide, certes, mais la plus coûteuse en termes de coût, d’adaptation et de réussite.

La forêt, quant à elle sera le territoire le moins difficile à traiter, une fois assainie, car expurgée des contraintes humaines qui pourraient entraver les dispositifs de reconstruction. Les terrains présentant des pentes faibles pourraient être pris en charge par les services de l’État à travers de grands chantiers où les petits tâcherons locaux sollicités pourraient absorber une partie du chômage et y injecter de la richesse et des revenus dans les villages.

Il est utile d’opter pour un reboisement sélectif et ciblé afin de prémunir ces espaces des incendies à venir. Les autres surfaces difficiles d’accès se régénéreront d’elles-mêmes, la nature ayant horreur du vide. Aux premières averses de l’automne, de nouvelles pousses germeront, il y a un terreau fertile que les incendies ont préparé.

L’érosion affaiblira les sols la première année, mais se résorbera une fois le tapis végétal en place. Il faudra simplement veiller à mettre ces espaces incendiés, et un temps, fragilisés, en défens et surtout ne pas les brûler de nouveau, le coup leur serait fatal. La tentation des pâturages intensifs n’est pas à écarter, d’où la nécessité de les protéger.

Il est tout à fait naturel que des concitoyens (entrepreneurs, commerçants, diasporas et autres) offrent leur aide matérielle aux régions touchées. Cela ira de dons de plants, de cheptels, d’essaims d’abeilles ou autre, ou tout simplement, de volontariat.

Canaliser cet élan et en faire bénéficier les populations éprouvées dans un cadre organisé concourait à rendre ces aides plus rapides et plus efficaces que n’importe quel autre programme, lourd à faire démarrer.

Ce faisant, comme déjà énoncé plus haut, l’expertise des professionnels est souhaitée. Cette conjoncture dramatique donne la pleine mesure aux développeurs de traiter une région aussi vaste que difficile, ce sera en quelque sorte un examen pour eux ; et là, ils n’ont pas le droit à l’erreur, il y va de l’avenir de toute une population durement ébranlée.

Pour ce faire, le traitement devra être global et non limité aux seuls dégâts de cette année. Des programmes d’ouverture de pistes agricoles, de curages des sources et des points d’eau, des corrections torrentielles, de construction de postes de vigies, de plantations de haies en cactus à l’orée des villages et des pistes, de tranchées pare-feu, ainsi que d’autres travaux à définir selon les spécificités locales, doivent être envisagés dans le sillage de cette reconstruction.

Pour que l’intermède douloureux de cet été 2021 s’estompe et ne se reproduise plus, (il va de soi que personne n’oubliera les victimes) un dispositif national spécifique envers ces contrées doit être envisagé.

Ce n’est qu’à ce prix que l’osmose se réalisera entre les acteurs de ces régions montagneuses et forestières grâce à leur développement d’avec leur environnement immédiat qui n’est autre que la nature elle-même. Faire croire que l’on fait du développement rural en distribuant simplement des ruches pleines, en période de sécheresse où les pâturages mellifères sont inexistants, ne concourt en rien à une édification d’une véritable économie de montagne pérenne.

C’est méconnaître les règles que dame nature impose. Les étés à venir seront, d’après les spécialistes, plus caniculaires que d’habitude. Les périodes de chaleurs seront plus étalées, plus longues. Elles déborderont sur d’autres saisons. Si on ne prend pas garde de préserver et développer notre flore et notre faune fortement impactées à chaque été, il faudrait s’attendre et surtout ne pas s’étonner, de récolter de la datte (de la mauvaise datte) et du lait de chamelle en pleine Mitidja dans les prochaines décades.

 

*Écrivain et agronome


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