Politique

MAK : les langues commencent à se délier

Le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) est officiellement mis en cause par l’État algérien d’être derrière les incendies qui ont gravement touché récemment la Kabylie et d’autres régions du pays, au même titre que le mouvement Rachad.

Les deux organisations, classées « terroristes » depuis le mois de mai dernier par le Haut conseil de sécurité (HCS), sont également accusés du meurtre atroce du jeune Djamel Bensmaïl, mercredi 11 août à Larbaa Nath Irathen (W. Tizi-Ouzou).

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Les griefs retenus contre elles tiennent jusque-là à la seule teneur du communiqué qui a sanctionné la réunion extraordinaire du Haut conseil de sécurité (HCS) de mercredi 18 août.

En attendant la confirmation – ou l’infirmation – des accusations par la justice qui s’est saisie du dossier, les langues commencent à se délier. Le MAK, jusque-là « tabou » pour l’ensemble des partis, organisations et personnalités de la mouvance démocratique, fait désormais l’objet d’un débat public.

« Discours fasciste et raciste »

Au-delà des incendies de la Kabylie et l’assassinat du jeune Djamel, c’est l’essence du mouvement créé par Ferhat Mehenni en 2001, ses objectifs et ses méthodes qui font débat.

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C’est l’écrivain Amar Inegrachen qui a ouvert le bal, après deux décennies de silence,  de « complicité tacite de certains » et de « l’ambivalence irresponsable d’autres », comme il le dénonce dans un long texte mis en ligne sur les réseaux sociaux.

Inegrachen place sans ambages le mouvement dans la case des courants « fascistes », au même titre que celui qui développe un discours ouvertement anti-kabyle. Le post est illustré des photos de Ferhat et de Naïma Salhi et intitulé : « Il faut combattre les fascismes, tous les fascismes ».

L’écrivain rappelle d’emblée que « sans qu’il y ait un quelconque événement nouveau dans la scène politique kabyle et nationale qui puisse susciter un changement radical de cap », le mouvement est passé de sa revendication de l’autonomie de la Kabylie qu’il prônait depuis sa création en 2001, à celle de « l’autodétermination de la Kabylie ».

Cette « mutation spectaculaire et surtout inexplicable » sera vite suivie d’un « discours fasciste et raciste » et d’une « terminologie raciale », jusqu’à évoquer un « sang kabyle ».

Un projet « irréalisable »

Un tel discours était suffisant pour susciter la désapprobation des partis politiques ancrés dans la région et des personnalités qui en sont issues. Même l’État a laissé faire. Une passivité généralisée qu’Amar Inegrachen explique par le fait que le MAK ne s’est pas contenté de développer une rhétorique raciste et séparatiste, mais ses adeptes « se sont transformés en une véritable milice politique », stigmatisant tout avis contraire à leurs thèses et taxant ses auteurs de « traitres ». Le résultat est que le discours du mouvement séparatiste est aujourd’hui banalisé en Kabylie.

L’écrivain estime que l’État algérien a « échoué sur tous les plans », et « constitue un danger pour le pays » et sa « refondation est plus que nécessaire », mais tranche que « cette nécessité vitale » de le refonder « ne doit pas nous pousser à laisser s’exprimer ce qu’il y a de pire en nous : la haine de l’autre ».

Noureddine Boukerouh, qui commente pourtant abondamment l’actualité nationale, s’exprime lui aussi pour la première fois sur le mouvement controversé.

L’ancien ministre et fondateur du PRA (Parti du renouveau algérien) a jugé nécessaire de répondre à Ferhat qui l’a « remercié » de ne pas avoir incriminé le MAK dans les incendies de Kabylie et l’assassinat de Djamel Bensmaïl.

Boukerouh centre le débat sur l’utopie du projet de détacher la Kabylie de l’Algérie. « Votre projet est irréalisable parce que rejeté par la Kabylie et toutes les régions du pays. Vous ne ‎pouvez ni arracher la Kabylie du restant de l’Algérie pour l’emmener ailleurs, ni y implanter une ‎population venue d’ailleurs, ni vivre au beau milieu des uns et des autres », écrit-il à l’adresse du fondateur du mouvement indépendantiste.

« Jamais au cours de l’histoire tumultueuse de l’Algérie un occupant n’a entrepris de couper la Kabylie du ‎reste du pays pour en faire une entité distincte : ni les Phéniciens, ni les Romains, ni les Arabes, ni les ‎Ottomans, ni la France. Si cela avait été faisable en deux millénaires, l’un ou l’autre l’aurait fait. Et si ça ‎ne s’est pas fait en 2000 ans, ça ne se fera pas dans les deux suivants », insiste-t-il.

Laxisme de l’État et affaiblissement de l’opposition modérée 

L’autre grief qui pouvait être retenu contre le MAK et devant lequel presque personne n’avait réagi, c’est le rapprochement avec Israël en dépit de l’extrême sensibilité de la question pour l’ensemble du peuple algérien.

Noureddine Boukerouh le relève après-coup et assène qu’« il y a plus de chances que la Kabylie devienne un Émirat afghan qu’un clone ‎d’Israël ».

Boukerouh s’attarde aussi sur la responsabilité, dans cette dérive sécessionniste, de l’État algérien auquel il impute « le risque de perdre la Kabylie plus qu’à votre organisation (MAK) ».

« Eux l’ont déjà sortie des ‎consultations électorales et des institutions représentatives de la nation, tandis que le MAK n’a pas fait ‎changer de place à un caillou avant la dernière furie incendiaire », écrit-il en allusion aux trois derniers scrutins qui ont eu lieu sans la Kabylie, où le taux de participation était à peine supérieur à 0 %.

Il y a aussi la passivité devant les racistes de l’autre bord. « Le MAK ne doit pas nous faire oublier les autres extrêmes-droites qui menacent constamment le pays et brouillent son intelligence. Le MAK n’est que l’arbre qui dévoile la jungle des extrémismes que l’Algérie tend à devenir », écrit Amar Inegrachen qui juge « absolument nécessaire de combattre l’extrême-droite kabyle représentée par le MAK et les autres mouvements souverainistes, mais il faut aussi combattre l’extrême-droite arabo-islamique, depuis le FIS, Ennahda, le MSP, El Binaa, jusqu’à Rachad et les hurluberlus qui s’expriment tous azimuts à titre personnel ».

Saïd Sadi, ancien compagnon de Ferhat au RCD, a, lui aussi, dénoncé le silence des autorités devant le discours anti-kabyle développé et assumé par des personnalités publiques, allant jusqu’à organiser la fameuse réunion de Mostaganem et l’opération « zéro kabyle ».

Sur les réseaux sociaux, le débat fait rage également. En dehors des extrémistes des deux bords, des voix censées ne manquent pas de souligner que la montée des fascismes et aussi la conséquence de l’affaiblissement de l’opposition modérée et responsable.

Un affaiblissement qui est aussi la conséquence de l’atomisation de la vie politique voulue par le pouvoir pour affaiblir l’opposition démocratique capable de porter un véritable projet politique pour le pays, et en général du recul des libertés démocratiques dans le pays.

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