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Quarante ans après sa mort, l’héritage de Houari Boumediène divise les Algériens

Quarante ans après sa mort, l’héritage de Houari Boumediène divise les Algériens

DOSSIER SPÉCIAL – Quarante ans après sa mort, le colonel Houari Boumediène, deuxième président de l’Algérie indépendante, suscite toujours le débat et la controverse.

Les historiens et les chroniqueurs ont peu écrit sur cet homme arrivé au pouvoir sur les dos des chars en juin 1965. Certains lui reprochent de n’avoir tiré aucune balle contre le colonialisme français. Durant la guerre de libération nationale, Houari Boumediène, Mohamed Boukharouba de son vrai nom, était avec l’armée des frontières au Maroc, en charge du Comité militaire Ouest, puis à Ghar Dimaou, en Tunisie.

D’autres disent que Houari Boumediène qui, dès le début a choisi d’être lui-même ministre de la Défense, a construit l’État après avoir interdit le pluralisme politique et syndical et gelé l’action parlementaire. Quels sont les arguments des partisans et des opposants de Houari Boumediène ? En voici quelques-uns.

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Les partisans :

– Houari Boumediène a mis fin à « la mauvaise gestion » de Ahmed Ben Bella en le renversant le 19 juin 1965 dans ce qui a été appelé « le réajustement révolutionnaire ». Après avoir été son compagnon de route, au lendemain de l’indépendance du pays, Boumediène a qualifié Ben Bella de « tyran » et l’a accusé d’avoir « dévié de la route ».

– Houari Boumediène a unifié l’armée avant l’indépendance (en 1960) et a travaillé pour que la transition entre « armée de libération » et « armée populaire et moderne» se fasse après la reconquête de la souveraineté nationale à partir de 1962. « Boumediène a fait de l’armée une force organisée, véritable appui à l’Etat », soutient Mahieddine Ammimour, qui a travaillé, dans les années 1970, à la présidence de la République. Boumediène est considéré comme le « père » de l’ANP, Armée nationale populaire.

– Houari Boumediène a construit l’Etat en organisant les collectivités locales et en adoptant le découpage administratif par wilayas. « Il voulait une administration affranchie de l’héritage colonial », relève l’ancien ministre Salah Goudjil. Grâce à son ministre de l’Intérieur Ahmed Medeghri, l’état civil a été reconstitué, notamment dans le sud du pays, la Protection civile a été réorganisée, l’Ecole nationale d’administration (ENA) a été créé et les programmes de développement régional ont été mis en place (regroupés notamment dans les Plans triennaux puis quinquennaux).

– Sous le slogan, « La terre à celui qui la travaille », Boumedine impose le système de la Révolution agraire en nationalisant les terres. « Prenez garde, si jamais la Révolution agraire échouait, vous resteriez à jamais des esclaves », disait-il.

– Il décrète la généralisation de l’accès à l’enseignement et impose la gratuité des soins.

– Inspiré par le modèle socialiste, il encourage le volontariat parmi les étudiants qui vont sillonner le pays pour participer à des travaux d’utilité publique ou à des campagnes de reboisement.

– En février 1971, il nationalise les hydrocarbures en imposant le principe de l’Etat-propriétaire et en limitant la marge de manœuvre des sociétés françaises.

– En 1967, Houari Boumediène envoie des troupes soutenir l’armée égyptienne, en guerre contre Israël et propose de bloquer la vente du pétrole pour sauver « l’honneur arabe », après la débâcle.

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Les opposants :

– En militaire, Houari Boumediène s’est opposé aux Accords d’Evian, contribuant ainsi à accentuer les divisions entre dirigeants algériens, après la déclaration d’indépendance en juillet 1962.

– Boumediène a consacré la primauté du militaire sur le politique, contrairement à ce que voulait Abane Ramdane, dirigeant de la Révolution, tué par ses pairs, au Maroc.

– Entré au pays après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, Boumediène a également consacré la primauté de l’extérieur sur l’intérieur en imposant « le clan d’Oujda » au pouvoir politique. Il ne reconnaissait pas « la légitimité » des maquis pour les moudjahidine de l’intérieur.

– Boumediène s’est appuyé aveuglément sur les officiers déserteurs de l’armée française (DAF) pour unifier l’armée. Il n’a pas écouté l’avis de certains de ses amis qui le mettaient en garde contre ces officiers considérés comme « des chargés de mission ». « Slimane Hoffman, qui parlait au nom des DAF, disait qu’ils étaient venus pour diriger l’armée après l’indépendance », a confié Abdelhamid Brahimi, ancien officier de l’ALN.

Houari Boumediène a chargé Slimane Hoffman plusieurs missions dont celles de former les cadres de l’ANP et de diriger le cabinet du ministère de la Défense nationale. Le colonel Mohamed Chabani, chef de la wilaya VI, s’est opposé à ces choix. Il a été exécuté par Ahmed Ben Bella, en septembre 1964 après un jugement expéditif, pour « complot contre le FLN ». Boumediène était d’accord. En 1967, le colonel Tahar Zbiri a justifié sa tentative de soulèvement contre Boumediène par « l’infiltration et de l’influence des DAF » dans l’armée algérienne.

– En juillet 1962, Houari Boumediene s’allie à Ahmed Ben Bella dans la création du « Bureau politique » à Tlemcen. Un bureau qui se dit « habilité à gérer le pays » alors que GPRA, Gouvernement provisoire de la République algérienne, était déjà aux commandes, depuis 1958. Krim Belkacem avait qualifié cette décision d’illégale, puisque non soumise au CNRA, Conseil national de la Révolution algérienne.

– La position de Ben Bella et Boumediène provoque « la guerre des wilayas » ou ce qu’on appelle « la crise de l’été 1962 » qui entraînera beaucoup de morts parmi les Algériens. Des fidèles de Boumediène ont ouvert le feu sur les Algériens à Alger et à Constantine. A Alger, les hommes de Yacef Sâadi se sont accrochés avec les soldats de la Wilaya IV, restée attachée à la légalité du GPRA.

– Le bras de fer entre le GPRA et l’État-major de l’armée est remporté finalement par les militaires après la mise à l’écart des principaux leaders de la Révolution comme Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem et Hocine Aït Ahmed. La réunion de Tripoli de juin 1962 n’avait fait qu’accentuer les divisions.

– Houari Boumediène est accusé d’avoir assassiné, mis en prison ou forcé à l’exile tous ses opposants et tous les leaders de la guerre de libération nationale. La mort de Mohamed Khider, en janvier 1967, un des chefs historiques du Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA) et de Krim Belkacem, signataire au nom du GPRA des Accords d’Evian, en octobre 1970, lui sont attribuées. Autant que celle d’Ahmed Medeghri, ministre de l’Intérieur, en décembre 1974.

– Houari Boumediène est également accusé d’avoir toléré les essais nucléaires et chimiques français dans le Sahara algérien jusqu’à 1967 et d’avoir envoyé des soldats algériens nettoyer, sans protection, les sites contaminés dans les régions de Béchar et de Tamanrasset.

– Il est reproché à Boumediène la persécution de tous les opposants, notamment parmi les militants communistes qui ont dénoncé le coup d’Etat militaire contre Ben Bella, et la concentration de tous les pouvoirs en refusant l’existence d’un Parlement. Le Conseil de la Révolution s’était chargé de tout, sans possibilité de recours ou de contestation. Le Conseil de la Révolution devait construire «un État démocratique sérieux ».

– Boumediène a donné des pouvoirs absolus à la police politique qui contrôlait totalement la société : ministères, wilayas, communes, universités, entreprises publiques, associations culturelles, médias, etc.

– Il est reproché à Houari Boumediène d’avoir fait de mauvais choix économiques en lançant « la Révolution industrielle » avec comme base « l’industrie industrialisante ». Un choix désastreux qui a négligé l’apport de la petite industrie et qui n’a pas pris en compte le manque de main d’œuvre qualifiée et les limites techniques.

– Les choix jacobins de gestion faits par Boumediène ont instauré une lourde bureaucratie au nom du centralisme et empêché l’émergence d’élites économiques. Le privé n’avait pas de liberté de mouvement.

– Les réformes socialistes de Boumediène ont déstabilisé la société rurale avec la création de villages dans tout le pays, éloignant les paysans de leurs terres et de leurs familles.

– Le monopole de l’État sur le commerce extérieur a encouragé l’émergence de grosses fortunes favorisées par de hauts responsables qui avaient droit de vie et de mort sur les opérations d’importation (la fameuse loi secrète du pourcentage sur les transactions). Localement, des maires FLN amassaient des fortunes sans aucune possibilité de contestation.

– Encourageant la politique d’arabisation, Houari Boumediène a ignoré le pluralisme linguistique et culturel en Algérie. Il a empêché les militants de l’identité amazighe de s’exprimer et de s’organiser.

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