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Carnet de campagne française : le « vote utile » ou l’éloge de la vacuité

Carnet de campagne française : le « vote utile » ou l’éloge de la vacuité

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L’ancien premier ministre socialiste, Manuel Valls, est l’illustration parfaite du dicton selon lequel les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent.

Alors que les spéculations allaient bon train depuis plusieurs semaines, Manuel Valls a finalement annoncé qu’il voterait pour Emmanuel Macron… dès le premier tour des élections présidentielles le 23 avril.

Problème, le candidat malheureux à la primaire de gauche s’était engagé, en signant une charte, à soutenir le vainqueur. Cette désertion illustre -au passage- que ces primaires ouvertes de la gauche n’ont servi à rien puisque le programme de son vainqueur, Benoît Hamon, est rejeté par son propre camp.

Forcément, cette annonce a suscité l’ire de plusieurs figures du Parti socialiste (surtout celles qui soutiennent Benoît Hamon). Mais au-delà de ces agitations passagères, cette situation est révélatrice de la médiocrité intellectuelle dans laquelle ces élections ont basculé. Et ce à plusieurs niveaux.

D’abord Manuel Valls martèle que l’intérêt de la France passe avant celui d’un parti (en l’occurrence de sa propre famille politique). « Je ne prendrai aucun risque pour la France, je ne veux pas le soir du premier tour que nous nous retrouvions, que je me retrouve, face au choix entre François Fillon et Marine Le Pen ». Il assène donc l’argument du « vote utile » pour faire barrage au Front national.

Le problème c’est que la notion de « vote utile » a plusieurs significations. Soit, elle est révélatrice d’une gauche française molle, vieillissante, qui n’a plus rien à voir avec ses premiers idéaux auxquels elle tente encore de s’accrocher, et qui refuse d’assumer pleinement une nouvelle orientation « progressiste néolibérale » (qui n’a d’ailleurs de progrès que le nom). Elle préfère alors se cacher derrière cette notion de « vote utile ». C’est exactement ce que nous rabâchent le défenseur du renouveau de la gauche Manuel Valls, de l’écolo soixante-huitard Daniel Cohn Bendit, de Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, etc.

Soit ce concept illustre le fait que le mode de scrutin français -en l’occurrence uninominal majoritaire à deux tours- est parfaitement inadapté puisqu’il aboutit nécessairement au bipartisme. Le « vote utile » est donc un appel à voter pour le parti dominant dès le premier tour, et non pour celui qui répond le plus à sa propre sensibilité politique. Autant dire que l’organisation de deux tours n’a aucune utilité puisque les autres candidats se contentent de jouer le rôle de pantin.

Certes, l’élection présidentielle de 2017 casse un peu les règles du jeu. Aucun des partis traditionnels n’est donné qualifié pour le second tour. Mais le principe reste fondamentalement le même puisque deux partis doivent se distinguer. Le problème aujourd’hui, c’est que les électeurs biberonnés aux sondages depuis des mois sont tentés de voter en fonction de ces études, et non de leurs propres convictions politiques.

Bien qu’ils soient utiles pour prendre le pouls des Français en matière de politique, ces enquêtes d’opinion ne détiennent pas pour autant la vérité. Il faut par exemple se rappeler qu’aucun sondage n’avait vu l’élection de François Fillon à l’issue des primaires de la droite et du centre, ou celle de Benoît Hamon à gauche. Ce mal n’est toutefois pas uniquement français : le Brexit ou l’élection de Trump en sont aussi les parfaits exemples. Ce fameux « vote utile » repose donc sur des suppositions clairement bancales, et qui pourtant s’imposent comme la marche à suivre pour les élections.

Enfin ce « vote utile » est la résultante d’un traumatisme politique qui est désormais utilisé comme argument d’autorité, puis comme argument électoral en période de campagne. Il profitait d’ailleurs jusqu’à présent à la gauche française, traumatisée d’avoir été éliminée dès le premier tour de l’élection présidentielle il y a 15 ans. Bref, le « vote utile » est devenu un rempart contre le FN car la France ne veut pas, et ne doit pas revivre un 21 avril 2002.

Le problème c’est que cet argument a fini d’achever la politique. À gauche comme à droite, les partis politiques traditionnels sont incapables de se positionner par eux-mêmes et par leur propre programme. Leur seul baromètre est devenu le FN. Ils en paient aujourd’hui les conséquences. Plus grave encore : ils ne s’interrogent plus sur le fait que la candidate frontiste, Marine Le Pen, soit naturellement considérée comme qualifiée pour le second tour.

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