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Présidentielle française : la recomposition du paysage politique « En marche ! »

Présidentielle française : la recomposition du paysage politique « En marche ! »

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CONTRIBUTION. Le rendez-vous électoral le plus important de France depuis l’avènement de la Ve République instaurée par et pour le Général Charles De Gaulle, l’élection présidentielle, a pris une tournure qui agace et désempare même les Français, minée qu’elle est par un climat délétère consécutif à des révélations à répétition qui mettent notamment à mal l’image d’un candidat donné favori il y a seulement quelques semaines et qui plombent la campagne électorale. Aussi craint-on un taux d’abstention historique qui serait un indicateur fort de la mauvaise santé de la démocratie dans le pays. A contrario, cette élection est scrutée par les médias du monde entier. Elle est suivie avec intérêt, mais aussi une certaine forme de sidération.

À l’heure qu’il est, et à moins d’un mois du premier tour de l’élection, nul ne peut en prédire le résultat même si les sondages donnent une avance assez confortable à Emmanuel Macron, candidat sans étiquette du mouvement « En Marche ! », qu’il a créé il y a environ une année après avoir démissionné de son poste de ministre de l’Économie, et à Marine Le Pen, candidate du Front National. Si les choses restaient en l’état, la candidate de l’extrême droite et le candidat « de gauche et de droite » devraient donc s’affronter au second tour, avec un avantage pour Emmanuel Macron si l’on en croit les projections de différents instituts de sondages qui le donnent largement vainqueur dans ce cas de figure.

Les outsiders présumés, parmi lesquels François Fillon (Les Républicains), Benoît Hamon (Parti Socialiste) et Jean Luc Mélenchon (Parti de Gauche) veulent encore, cependant, croire en leurs chances. Tous mettent en cause, comme beaucoup d’observateurs d’ailleurs, la crédibilité des sondages. Ils évoquent, pour étayer leur propos, l’élection inattendue et néanmoins incontestable et incontestée de François Fillon à la Primaire de droite et du centre, celle encore moins attendue de Benoît Hamon à la Primaire de gauche, mais aussi de Donald Trump aux États-Unis, ainsi que le résultat du référendum britannique sur la sortie de l’Union européenne. Tous ces résultats ont, en effet, démenti les prévisions des instituts de sondage et les prédictions des grands médias et autres analystes politiques. Les trois candidats tiennent néanmoins pour acquis la présence au second tour de Marine Le Pen dont le socle électoral, qui se situerait autour de 25 à 30%, semble s’être cristallisé et tenir bon malgré les soupçons et les démêlés judiciaires qui n’épargnent pas la candidate du FN mais n’affectent pas, apparemment, ses électeurs.

Marine Le Pen virtuellement présente au second tour, l’enjeu pour le reste des candidats est d’arracher le second ticket qualificatif que les sondages attribuent, pour l’instant, à Emmanuel Macron, qui tantôt talonne la candidate du FN et tantôt passe devant elle. Cette situation fait du candidat d’ « En Marche ! » la cible privilégiée de tous et, de fait, il essuie en permanence les tirs groupés de ses concurrents.

L’offensive de Marine Le Pen contre Emmanuel Macron trouve une triple justification. D’abord, ce faisant, elle le désigne comme son adversaire au second tour car, de son point de vue, mieux vaut se retrouver face à ce dernier que face à François Fillon, en embuscade en troisième position selon les sondages, et dont une partie de l’électorat se reporterait sans doute sur elle. Ensuite, convaincue de passer l’épreuve du premier tour, elle se projette déjà dans le second. Enfin, et c’est essentiel, il y a l’enjeu de la première place à l’issue du premier tour, car la dynamique de la campagne du second en dépend en partie, sans compter l’ascendant psychologique sur l’adversaire que cela induit.

En troisième position, relativement loin derrière Emmanuel Macron dans les intentions de vote, c’est tout à fait logiquement que François Fillon fait de ce dernier sa première cible, s’agissant rien moins que d’occuper, à sa place, une  position qualificative au second tour. En outre, il s’agit pour lui de mettre un frein à la tentation de plus en plus réelle des électeurs du centre et de la droite modérée proche d’Alain Juppé de jeter leur dévolu sur son adversaire d’ « En Marche ! », le mouvement des ralliements dans ce sens ayant déjà été largement entamé.

De plus, le danger pour lui se fait aussi jour sur son aile droite. Il vient du candidat de « Debout la France », Nicolas Dupont-Aignan, qui pour la première fois atteint et franchit même le seuil des 5% dans les intentions de vote, sans doute au détriment du candidat de « la droite et du centre », comme il aime à se définir. Avec une image de sa personne très dégradée, des « affaires » révélées en série, des démêlés judiciaires qui concernent également sa famille, ayant consacré une grande partie de son énergie à sauver sa candidature dans son propre camp, le défi est gigantesque. Il l’est d’autant plus qu’il a changé à plusieurs fois de stratégie, la dernière en date consistant à s’attaquer au président de la République, François Holland, avec l’arrière-pensée d’atteindre Macron par ricochet.

Non seulement cette stratégie est à double tranchant et risque de s’avérer contre-productive, mais elle désespère, déjà, de plus en plus de ses propres soutiens qui lorgnent soit du côté de Macron, soit du côté de Dupont-Aignan lorsqu’ils ne veulent pas se compromettre avec Le Pen.

L’autre difficulté pour François Fillon est qu’il ne dispose plus, en réalité, que de deux semaines pour tenter de réduire l’écart entre lui et le duo de tête car, après l’ouverture de la campagne officielle, les candidats à faible potentiel électoral, qualifiés de « petits candidats », auront droit à un même temps de parole dans les grands médias et, à commencer par Nicolas Dupont-Aignan, ils ne l’épargneront pas.

Le premier bénéficiaire du débat organisé par TF1 est incontestablement le candidat de « La France insoumise », Jean Luc Mélenchon. Depuis ce débat, sa campagne a retrouvé une nouvelle dynamique et il ne cesse de gagner des points, reléguant derrière lui son concurrent direct sur le terrain de la gauche de la gauche, le candidat du Parti socialiste, Benoît Hamon. Pointant à une dizaine de points du duo de tête et à quelques points seulement de François Fillon dans les intentions de vote, lui aussi ne désespère pas de décrocher une place qualificative au second tour, espérant un report massif des électeurs du candidat socialiste sur lui. C’est donc tout à fait logiquement qu’il s’attaque au candidat Macron même si, il faut le lui reconnaître, Marine Le Pen est également dans sa ligne de mire.

Contrairement à Jean Luc Mélenchon, Benoît Hamon, l’improbable vainqueur à la primaire socialiste, dont la victoire a été néanmoins nette, incontestable et incontestée, est indéniablement le perdant du débat de TF1. Il n’a cessé, depuis, de reculer dans les intentions de vote, empruntant une courbe inverse de celle de son concurrent direct, Jean Luc Mélenchon. Il s’approche dangereusement d’une cote à un chiffre et, dans une telle situation, la tendance baissière serait irréversible. De fait, Benoît Hamon, en partie à cause de ses choix et de son positionnement, est doublement victime de la tentation du vote utile.

À sa droite, de nombreuses figures de la gauche réformiste ont déjà rejoint Emmanuel Macron et le mouvement de ralliement s’est accéléré avec l’appel de l’ancien premier ministre Manuel Valls, candidat malheureux à la primaire de gauche qui entraîne dans son sillage pas moins de 80 parlementaires. Parmi l’électorat qui lui est encore acquis, une partie pourrait envisager un vote en faveur de Mélenchon et des voix, timides certes pour l’instant, lui suggèrent même de renoncer en faveur du candidat de « La France insoumise ».

Au final, et sans préjuger du résultat du scrutin – car en un peu plus de trois semaines, tout peut encore arriver dans une compétition atypique et à rebondissements -, de premières conclusions peuvent être tirées. Il y a d’ores et déjà des gagnants et des perdants dans cette confrontation où, depuis les primaires de droite et de gauche, les rebondissements et les surprises le disputent aux révélations scandaleuses et aux postures surréalistes, sur fond de violence rarement vue par le passé.

Parti de rien il y a un an pour créer son mouvement « En Marche ! » après avoir démissionné du gouvernement et refusé de passer par la case primaire de gauche, personne ne misait un rond sur Emmanuel Macron dont la démarche était au mieux qualifiée de farfelue et, au pire, de suicidaire. Aujourd’hui, à une vingtaine de jours du premier tour de l’élection présidentielle, il caracole en tête des intentions de vote en compagnie de Marine Le Pen, continue d’engranger des ralliements de tous bords et se retrouve à la tête de la première force militante de France avec plus de 200.000 adhérents à son mouvement.

Porté par une dynamique jamais démentie jusqu’ici, il a pris tellement d’assurance qu’il n’a pas hésité à refroidir l’ardeur des ralliés et des candidats au ralliement en excluant leur participation à son gouvernement (au cas où il serait élu) ou à l’animation de sa campagne électorale, et en précisant que les investitures aux législatives se feront selon la règle fixée par son mouvement et seront soumises à l’engagement écrit de respecter son programme dont il exclut le moindre amendement. Il sera « le maître des horloges », selon sa propre expression.

Son accession au Palais de l’Élysée est désormais envisagée avec sérieux par ses soutiens et par ses adversaires. En tout état de cause, même si au final il ne devient pas président de la République, il aura réussi un défi improbable : celui de reconfigurer le paysage politique français qui semblait immuable, de mettre à mal (c’est le moins qui puisse être dit) les deux grands partis de gouvernement entre lesquels se jouait exclusivement l’alternance et en créant une grande formation attractive au centre. En fait, quel que soit l’issue du scrutin, plus rien ne sera comme avant dans la planète politique et cela, la France le devra en grande partie à la météorite Macron.

Pré-qualifiée au second tour par les sondages depuis plusieurs mois, Marine Le Pen se maintient au sommet des intentions de vote et seul Emmanuel Macron est en position de lui disputer la première place pour l’instant. C’est déjà en soi un succès certain, même si elle est donnée battue au second tour. En effet, si elle passe le cap du premier tour, et c’est très probable, elle ferait de son parti, dans le pire des cas, la première force politique d’opposition. Mais, au-delà de l’aspect électoral et de la progression chiffrée de son mouvement, son succès est aussi ailleurs. D’abord, elle l’impose comme composante importante et incontournable dans le paysage politique français. Ensuite, l’œuvre de dédiabolisation entamée depuis une quinzaine d’années semble avoir abouti et cela se remarque à travers le traitement réservé à Marine Le Pen et à ses représentants à la fois par les médias et par leurs adversaires. Enfin, ayant gagné en respectabilité, son électorat se décomplexe et des électeurs de la droite classique, radicalisés à l’occasion de cette campagne électorale, n’hésiteraient pas, le cas échéant, à lui apporter leurs voix.

Jean Luc Mélenchon est le troisième bénéficiaire de la situation qui prévaut au cours de cette campagne. Même si ses chances d’accéder au second tour sont ténues, il réussit le tour de force de se placer devant le candidat du PS, issu de la primaire. C’est la première fois dans l’histoire de la Ve République qu’un candidat de la gauche protestataire surclasse celui du Parti socialiste. Et le mouvement a toutes les chances de s’accentuer après le soutien de Manuel Valls et des siens à Emmanuel Macron, vécu comme une déflagration au sein du PS.

Dans le camp des perdants, la palme revient sans aucun doute à François Fillon, même si tout espoir de qualification au second tour n’est pas perdu, se persuade-t-on dans le premier cercle de ses soutiens. Élu triomphalement à la primaire de droite et du centre au détriment d’Alain Juppé et de Nicolas Sarkozy, il était donné hyper favori. Il avait bâti son succès sur un programme de droite dure, à la fois conservateur sur le plan sociétal, ultralibéral sur le plan économique et austère  en matière de politiques sociales, un programme fait sur mesure pour un électorat d’une droite qui se veut et se dit décomplexée, et qui exige des sacrifices de la classe moyenne et les couches populaires.

Il avait aussi, il avait surtout mené campagne sur le terrain de la probité, donnant une image irréprochable de sa personne qu’il mettait en opposition avec ses deux principaux concurrents, tous les deux ayant eu des démêlés judiciaires au cours de leurs carrières politiques respectives.

Très rapidement, il a été contraint d’infléchir ses positions sur certaines dispositions de son programme jugées irréalistes ou électoralement contreproductives. Puis, le ciel lui tomba sur la tête ! Et c’est précisément par le terrain de la probité auquel il doit en partie son succès à la primaire que le malheur arriva. Emplois présumés fictifs de son épouse et de ses enfants qu’il employa comme attachés parlementaires avec des salaires faramineux, cadeaux luxueux d’amis à la réputation sulfureuse, emploi présumé fictif de son épouse à la Revue des deux mondes, activités de conseil fortement rémunérées et induisant de possibles conflits d’intérêts…

En quelques jours, sa stratégie de défense incohérente aidant, son image est passée, sans transition, d’exemplaire à diabolique. Aujourd’hui mis en examen sous de multiples chefs d’inculpation, tout comme son épouse et son suppléant qui l’a remplacé à Assemblée nationale lorsqu’il intégra le gouvernement, ayant maintenu sa candidature malgré ses promesses et contre l’avis de la majorité de son camp, il mène une campagne qui laisse dubitatif. Une campagne de candidat anti système, au risque de jeter nombre d’électeurs de droite dans les bras de Marine Le Pen qui n’en demandait pas tant. Même si sa qualification au second tour reste mathématiquement possible, son attrait pour l’argent et le luxe étant avéré, de même que son attitude surprenante à l’égard d’institutions de la République à certains moments, d’aucuns assurent qu’il n’a plus la crédibilité nécessaire pour mettre en œuvre son programme qui prône l’austérité pour la majorité des Français.

Par ses choix stratégiques et l’orientation résolument à gauche qu’il a imprimée à sa campagne, Benoît Hamon n’a visiblement pas choisi la meilleure voie pour rassembler son camp. Des figures importantes du PS, à l’image du ministre de la Défense, ont rejoint Emmanuel Macron depuis plusieurs jours déjà. Et, n’eût été l’attitude peu accueillante du candidat d’ « En Marche ! » à leur égard, la saignée aurait sans doute été plus importante parmi les membres du gouvernement. Cette attitude hostile, frisant le rejet, a été fortement réaffirmée mardi, au cours d’une conférence de presse organisée dans l’urgence par Emmanuel Macron.

Le soutien de Manuel Valls, annoncé malgré tout, n’est pas loin de l’humiliation. Sa décision de soutenir contre vents et marées son ancien ministre de l’Économie, même au prix de l’humiliation, même au prix de se voir taxer de « traître » et d’ « homme sans honneur » au sein de son parti, traduit, en soi, l’ampleur de la fracture qui traverse le Parti socialiste. La défection de l’ancien Premier ministre avec, dans son sillage, quelque 80 parlementaires sonne comme un coup de grâce porté à Benoît Hamon dont la campagne peine à décoller et que les sondages placent à environ dix points des intentions de vote et en cinquième position. Son appel au rassemblement de toutes les composantes de la gauche lancé dans une déclaration expéditive après le soutien officiel de Manuel Valls à Macron ressemble davantage à un baroud d’honneur sans lendemains qu’à une démarche susceptible de rencontrer le succès.

Au-delà des positions pour le moins inconfortables qu’occupent actuellement François Fillon et Benoît Hamon selon les sondages, ce sont les conséquences sur leurs partis respectifs qui retiennent l’attention. Chez les socialistes, le divorce entre « les gauches irréconciliables » est consommé et l’implosion est inévitable. Chez Les Républicains, la situation est un peu plus nuancée. Les lignes de fracture entre fillonistes, juppéistes et sarkozystes sont réelles. Mais, tant que subsistera un espoir de victoire aussi ténu soit-il pour François Fillon, personne ne prendra la responsabilité de l’implosion. En cas d’échec, la guerre ne sera sûrement pas déclenchée entre les deux tours ou après l’élection présidentielle. Mais, à l’issue du scrutin législatif, l’implosion serait inévitable. Dans tous les cas, une profonde recomposition de la carte politique française est inexorablement « en marche ! »

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*M.A Boumendil est ancien député, journaliste indépendant

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