Politique

« Saïd Bouteflika porte les charges de la rumeur »

Les avocats de Saïd Bouteflika s’apprêtent à introduire une troisième demande de remise en liberté provisoire de leur client, mis sous mandat de dépôt à la prison d’El Harrach depuis janvier dernier.

Il a été écroué dans le cadre de l’affaire de la chaîne Istimraria TV et du financement occulte de la campagne électorale pour un cinquième mandat de son frère, le président déchu Abdelaziz Bouteflika.

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Incarcéré le 4 mai 2019 -avant d’être poursuivi dans cette dernière affaire en correctionnelle- il a passé vingt mois à la prison militaire de Blida dans le cadre de l’affaire dite du « complot contre l’autorité de l’Etat et de l’armée », accusation pour laquelle il avait été condamné à 15 ans de prison ferme en première instance et en appel, avant d’être acquitté après cassation, au même titre que ses co-accusés, les généraux Toufik et Tartag, anciens chefs du DRS, et la secrétaire générale du Parti des Travailleurs, Louisa Hanoune.

Dans une déclaration à TSA, Me Bourayou souligne la simultanéité entre la décision du juge d’instruction du tribunal de Sidi M’hamed de le placer en détention provisoire, en décembre dernier, et l’approche du procès en cassation où il allait être innocenté des charges criminelles retenues contre lui.

« Je suis persuadé que la décision est motivée par la volonté de le maintenir en détention après son acquittement par le tribunal militaire. Il n’y avait aucune raison de le laisser en détention puisqu’il offrait toutes les garanties de rester à la disposition de la justice », dit-il.

L’avocat souligne en outre ce qu’il qualifie d’« incohérence » : Saïd Bouteflika, placé en détention dans cette affaire en correctionnelle, est laissé en liberté provisoire dans une affaire criminelle, celle de l’ancien ministre de la Justice Tayeb Louh.

Le procès en cassation devant le tribunal militaire de Blida s’est tenu le 2 janvier 2021. Saïd Bouteflika, Athmane Tartag, Mohamed Mediene dit Toufik et Louisa Hanoune étaient acquittés. Mais les deux premiers sont maintenus en détention pour leur implication dans d’autres affaires. Le 4 janvier, Saïd Bouteflika est transféré à la prison d’El Harrach.

Me Salim Hadjouti, l’autre avocat de l’ancien conseiller à la présidence, met l’accent pour sa part sur « les irrégularités » ayant marqué les conditions de l’extraction de Saïd Bouteflika du pénitencier militaire de Blida pour répondre à une procédure d’instruction de droit commun.

Abordant les conditions de sa première comparution devant le juge de la troisième chambre du pôle économique et financier, Me Hadjouti relève le refus du juge d’instruction de la demande de Saïd Bouteflika d’attendre l’arrivée de ses avocats.

Il ajoute que « le recours au mandat de dépôt n’offre pas les garanties que dispense la mise en détention préventive en matière de qualification des faits qui doivent revêtir un caractère extrêmement grave de l’opportunité du contrôle judiciaire ».

Alors que le mandat de dépôt n’est à actionner « qu’en cas d’absence de domicile fixe », rappelle-t-il.

De 1999 à 2019, Saïd Bouteflika était conseiller de son frère et des pouvoirs illimités lui avaient été prêtés par l’opinion publique, jusqu’à être surnommé « le régent ». « Oui, mais pour mettre quelqu’un en prison, il faut des preuves tangibles », rectifie Me Bourayou.

Dans le dossier, confie l’avocat, pas une once de preuve n’a été trouvée contre son client. « Pas même un témoignage », assure-t-il. « Il est poursuivi pour blanchiment, alors qu’il n’y a aucun élément, aucune preuve. Pour qu’il y ait blanchiment, il faut qu’il y ait des sommes d’argent à blanchir. Saïd Bouteflika a déclaré devant le juge qu’il vit de son salaire de conseiller à la présidence et personne n’a pu prouver le contraire », révèle l’avocat.

Initialement acquis dans le cadre d’une activité sportive, du matériel audiovisuel a en fin de compte été utilisé pour une Web TV ayant pour dénomination Istimraria TV, destinée à porter le projet de cinquième mandat.

« Saïd Bouteflika ne connaissait rien de cette importation, il a été informé de l’existence de cet équipement et de l’intitulé de la chaîne, Istimraria, au détour d’une discussion », fait savoir Me Hadjouti. « De plus, les témoins entendus ne l’ont pas cité », assure-t-il. Pour les deux avocats, Saïd est maintenu en détention sur la base d’un « dossier vide ».

« Et ce n’est pas tant le fait de se retrouver en prison qui l’affecte, mais le fait d’être détenu sans aucune preuve. Il est très affecté, au vu de la culpabilité qu’on a fait peser sur son dos », révèle Me Bourayou.

« Il suffit de citer Saïd pour qu’on y croie »

Celui-ci assure que son client est à mille lieues du portrait que l’on dresse de lui depuis que son frère a accédé à la présidence et particulièrement depuis que Abdelaziz Bouteflika a eu un AVC en 2013.

Pendant des années, Saïd Bouteflika était présenté comme le faiseur de la pluie et du beau temps en Algérie, celui qui nommait et dégommait ministres, PDG d’entreprises et généraux de l’armée, intervenait pour octroyer des marchés publics, introniser ou détrôner des chefs de partis politiques…

Même s’il n’est pas aisé de démentir une accumulation de deux décennies de « rumeurs », comme il les qualifie, Me Bourayou se lance dans un plaidoyer pour, dit-il, « remettre les choses à leur endroit ».

« Voici un homme qui porte les charges de la rumeur. Aujourd’hui, il suffit de citer Saïd pour qu’on y croie. Il a été présenté comme le mal du système. S’il a laissé colporter toutes ces rumeurs pendant toutes ces années, c’est parce que c’est un homme conscient des enjeux. C’est un homme qui a rempli sa mission auprès du président et qui n’a pas essayé de travailler au grand jour ».

Me Bourayou poursuit : « Il s’est imposé une ligne de conduite qui consiste à ne pas répondre aux rumeurs, préférant se consacrer à son travail. Sa culpabilité judiciaire n’a rien à voir avec ce qu’il a accompli comme travail auprès de son frère. Jamais il n’a été tenté de poursuivre quelqu’un. »

Me Bourayou dit ne rien savoir concernant la programmation du procès qui « en principe ne doit pas dépasser quatre mois, l’affaire étant enrôlée en correctionnelle », mais il se dit « obligé d’être optimiste » quant à une remise en liberté provisoire de son client. Une troisième demande devrait être incessamment introduite.

« Sanctionner un homme pour des considérations politiques ne me semble pas être la bonne manière de rendre justice », conclut le célèbre avocat.

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