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Relations avec l’Algérie : le Maroc joue et perd

Relations avec l’Algérie : le Maroc joue et perd

Décidément, ce n’est pas demain la veille que l’Algérie et le Maroc seront des voisins comme les autres. De nouveau, c’est la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays.

L’annonce a été faite par le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, hier mardi 24 août, après plusieurs semaines de tensions.

Pour les plus avertis, la décision était attendue au vu de tout ce qui s’est fait et dit au moins depuis la mi-juillet. Pour Alger, c’est une décision prise à contrecœur mais inévitable devant la multiplication des « actes hostiles » de son voisin.

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En conférence de presse, Ramtane Lamamra a tenu à souligner que c’est la première fois que l’Algérie a pris la décision de rompre avec un pays pour des considérations « nationales », et que les rares fois où elle a eu à prendre ce genre de mesure extrême c’était en soutien à des causes justes.

La dernière rupture des relations entre les deux pays, en 1976, a été prise à l’initiative du Maroc suite au soutien de l’Algérie au Front Polisario. Les relations ne sont rétablies qu’en 1988.

« Ça ne nous fait pas plaisir de rompre les relations avec le Maroc. Cette fois, on a pris la décision après une longue attente », a-t-il expliqué. Une manière de signifier que le royaume n’a guère laissé le choix à son voisin.

Les relations entre les deux pays butent depuis près d’un demi-siècle sur la question sahraouie, mais ces derniers mois, le Maroc a poussé le bouchon trop loin en portant l’affrontement sur le terrain de la situation interne de l’Algérie et de la géostratégie internationale.

Le 14 juillet, son ambassadeur à l’ONU a apporté un soutien franc à « l‘autodétermination du vaillant peuple Kabyle ». Juste après, la presse mondiale a dévoilé l’implication du Maroc dans une vaste opération d’espionnage ciblant principalement l’Algérie.

Le 14 août, le ministre marocain des Affaires étrangères et son homologue israélien lancent à partir de Rabat des menaces à peine voilées à l’égard de l’Algérie à laquelle est reproché entre autres son « rapprochement avec l’Iran ». Du jamais vu. « Depuis 1948 aucun responsable israélien n’a fait de déclaration hostile à un pays arabe à partir d’un autre pays arabe », s’est indigné Ramtane Lamamra.

Une inimitié qui ne date pas d’hier

Le 18 août, lorsque le Haut conseil de sécurité (HCS) reproche directement au Maroc d’avoir un rôle dans les incendies  qui ont endeuillé le pays et l’assassinat du jeune Djamel Bensmail, la rupture ne faisait plus de doute. La gravité des griefs et la multiplication des « actes hostiles » ne pouvaient s’accommoder de demi-mesures.

Pour bien moins que ça, l’Algérie a fermé sa frontière avec le voisin de l’ouest il y a 27 ans. La décision avait été prise suite à l’imposition du visa d’entrée pour les Algériens après un attentat à Marrakech. C’était le 27 août 1994, trois jours après l’attentat qui a eu lieu trois jours auparavant, le 24 août.

27 ans plus tard jour pour jour, le 24 août 2021, l’Algérie prend une autre décision ferme en réaction aux agissements de son voisin. C’est peut-être le hasard du calendrier, comme cela pourrait relever d’un choix délibéré pour rappeler que les inimitiés du Maroc ont un prolongement dans le temps.

Elles ont été d’ailleurs égrenées dans la déclaration de rupture lue par Ramtane Lamamra lors de sa conférence de presse d’hier à Alger.

« Il est historiquement et objectivement établi que le Royaume du Maroc n’a jamais cessé de mener des actions hostiles, inamicales et malveillantes à l’encontre de notre pays et ce, depuis l’indépendance de l’Algérie », lit-on en préambule de la déclaration.

En 1963, au lendemain de l’indépendance, le Maroc avait eu des visées sur une partie du territoire algérien, déclenchant un conflit armé, la guerre des Sables, qui a fait 850 morts côté algérien.

En 1976, il a rompu unilatéralement les relations diplomatiques avec l’Algérie après le soutien de celle-ci à l’autodétermination du peuple sahraoui. En 1994, il a accusé l’Algérie d’être derrière un attentat terroriste sur son sol et imposé, unilatéralement aussi, des restrictions sur l’entrée des Algériens sur son territoire.

En 2013, un citoyen marocain a violé l’enceinte du consulat d’Algérie à Casablanca et profané le drapeau national, un 1er novembre, jour à forte charge symbolique pour tous les Algériens. L’auteur de l’acte a écopé de deux mois de sursis.

L’illusion d’une fausse protection

Puis sont venus les trois actes graves de ces dernières semaines. Entre-temps, les appareils de propagande et sécuritaire de la monarchie n’ont pas cessé de mener une guerre médiatique à l’égard de l’Algérie.

Cette dernière peut aussi légitimement retenir à l’encontre de son voisin le grief de saborder l’édification maghrébine et le règlement juste et définitif de la question sahraouie.

S’il est donc établi que son attitude inamicale ne date pas d’hier, il reste que le Maroc s’est ostensiblement enhardi ces derniers mois. Précisément, notent les observateurs, depuis le deal triangulaire de décembre 2020 prévoyant la normalisation avec Israël et la reconnaissance par les Etats-Unis de la souveraineté marocaine sur les territoires sahraouis occupés.

« Depuis la décision de Donald Trump, le Maroc bombe le torse », estimait en mai dernier sur TSA le journaliste espagnol Ignacio Cembrero, spécialiste du Maghreb. Ce sentiment d’impunité s’était exprimé quelques jours auparavant par le chantage aux migrants exercé sur l’Espagne et les attaques frontales contre l’Allemagne.

L’intimidation n’a pas marché avec les deux pays de l’Union européenne et ne pouvait pas non plus faire son effet avec l’Algérie. Le Maroc joue et perd.

En diplomate chevronné, Ramtane Lamamra a expliqué que la décision de Trump peut être « substantiellement considérée comme un non-événement », ne serait-ce que par le fait qu’elle n’empêche pas la première puissance mondiale de demeurer attachée à la démarche de l’ONU pour le règlement de la question sahraouie.

Soit la diplomatie marocaine ne l’a pas comprise et s’est laissé piéger par l’illusion d’une fausse protection, soit elle s’est sciemment adonnée à une partie de poker menteur qui a mal fini.

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